Tu me demandes dans ta dernière lettre comment comprendre la fuite de Me Lionel Agbo : “Est-ce de l’héroïsme ou de la couardise, de la désobéissance civile ou du réalisme politique ?” Je te remercie pour ta réaction à cet événement, qui accentue l’atmosphère de tension politique du Bénin depuis 2006. Pour ma part, j’y vois d’abord la preuve d’un courage exemplaire, qui se traduit en trois actes, révélateurs de l’homme et de son parcours.
Sur sa photo, Me Lionel AGBO apparait calme, souriant, presque charmeur. Séducteur, il l’a certainement été, si on considère son métier, son parcours professionnel, politique et social. Avocat à la cour, il a été vocal et s’est illustré dans maints combats socioéconomiques comme en témoigne sa lutte pour les abonnés du GSM, etc. Par ailleurs, Lionel Agbo est candidat malheureux aux élections présidentielles et législatives de 2006 et 2011, respectivement. Bref l’homme a sans doute investi à fond, et pas forcément à fonds perdu tout son savoir-faire de rhéteur et de bretteur, ainsi que son talent d’avocat.
Quand il a été appelé par Monsieur Yayi comme son porte-parole, c’est, on l’imagine, en reconnaissance de ce talent, de son bagou. Le Président voulait qu’il défende sa cause, vende sa soupe, la faire mieux aimer de ses compatriotes comme il a su le faire sur d’autre théâtres, à d’autres moments et niveaux de la vie sociale, politique et économique. Alors au vu du caractère impondérable et douteux de M. Yayi, on aurait pu penser que Me Lionel AGBO allait refuser l’offre. Mais s’il avait refusé saurions-nous même jamais qu’une telle proposition lui a été faite ? Car l’annonce publique de telles propositions est toujours consécutive aux accords entre les intéressés.
Mais comme l’a rappelé un autre Ouidanier célèbre – O.B.Q. pour ne pas le nommer – Me Lionel Agbo n’est pas seulement Béninois mais un digne fils de Ouidah, et un fonnouvijiji. Or dans la langue fon, il y a un proverbe qui dit qu’on ne refuse pas l’appel, bien qu’on puisse refuser ce qui suit l’appel.
Et de fait, l’exercice de sa fonction de porte-parole du Président Yayi a surpris plus d’un. Était-ce déjà une façon de refuser ce qui a suivi l’appel ? Les choses qu’il découvrait jour après jour dans l’entourage du Président, les pratiques et les excès dépassant l’entendement. Les Béninois s’attendaient à un exercice vocal, ponctué de plans média, d’interventions tous azimuts dans la presse écrite et surtout audiovisuelle, de la mise en jeu et en œuvre de son bagou, de son talent de rhéteur et de porte-parole, de la part de celui qui somme toute en était un maître par profession.
En fin de compte, l’exercice fut des plus discrets possible. Me AGBO porta le silence plutôt que la parole. Et ce silence paraissait par moment criants. Que cachait-il au juste ? Nul ne le sait. Et le mystère plongeait les Béninois dans un océan de conjectures où certains buvaient la tasse tandis que d’autres se noyaient. Le silence devint institutionnel et, paradoxalement, finit par définir son passage à la Marina. Il dura tant et plus. Nul ne sut d’ailleurs quand exactement le président prit la décision de se séparer de son porte-silence, quand il se sépara de son porte-parole devenu le maître incontesté de la parole non-portée.
A mon avis, mon cher Pancrace, il y avait déjà un acte de courage dans cette attitude de circonspection d’un observateur participant épris de justice et d’amour pour son pays, qui découvrait des choses qui lui en bouchaient un coin. Et alors qu’il était payé pour parler, c’est-à-dire, dire le contraire de ce qu’il voyait, transformer le plomb de la corruption et du régionalisme moyenâgeux en l’or du changement et de l’émergence, Me Lionel AGBO eut le courage de se taire. Silence éloquent et parlant d’un beau parleur. Était-ce pour ce premier acte de courage, refus de ce qui suit l’appel, qu’il fut remercié en catimini, presque clandestinement alors qu’il avait été nommé tambour battant ? Nul ne le saura jamais !
Puis vint l’heure du second acte de courage. Quand en citoyen libre, profitant de son droit à l’expression libre reconnu dans la Constitution, il dévoila succinctement quoique de façon elliptique voire métaphorique un pan de la déviance éthique et pratique dont il avait été témoin. Ce qui souleva l’ire du Président. C’était comme si, novice initié du kouvito, qui venait de « voir le awo », il était allé raconter sur la place publique et aux non-initiés, comment cela se passait au couvent, qui était derrière tel ou tel masque, de quelle chair et de quel sang étaient faits les os dansants…
Mais la Présidence de la République dans un État de Droit est-elle un gbalè d’egungun ou de oro? Et ceux qui y ont fait leur entrée ont-ils fait vœu d’opacité ? Doivent-ils être traités comme des traitres lorsqu’au nom de l’intérêt général, ils exercent leur Devoir de Transparence ?
Le troisième acte de courage de Me Lionel AGBO a été de ne pas accepter le verdict bidon d’une parodie de justice. Ce faisant, il nous a décillé les yeux. Quand Talon avait fui, il n’avait pas été jugé, et son acte était préventif et ne nous permettait pas de prendre conscience de notre situation éthique et morale. Comme l’a dit Jean Paul Sartre les Français n’étaient vraiment libres que sous l’occupation : un homme ne devient libre que quand il a été jugé. Libre en son for intérieur d’accepter le jugement d’une justice impartiale ou de ne pas accepter la parodie de procès d’une justice aux ordres. Or tout le monde sait qu’avec Yayi Boni, depuis 2006, tout est régi par l’ordre pervers d’une facticité parodique : la Cour Constitutionnelle est une parodie de Cour ; le Parlement est une Caisse de résonnance parodique ; les élections, notamment la dernière élection présidentielle, sont une parodie d’élection ; la HAAC avec sa hache de guerre de la pensée unique et du conditionnement pour le culte de la personnalité est une parodie d’instance de régulation. Et la Justice elle-même, entre incarcérations arbitraires et procès sans suite est une parodie de justice. Les Béninois peu à peu étaient en train d’accepter que leur vie soit régie par un système autocratique de parodie. Comme si cela était une fatalité synonyme de politique. Or, comme nous l’ont montré de grands Africains, comme Kwame Nkrumah, Nelson Mandela, et Thomas Sankara, la Politique est plus noble, plus libératrice, moins faite de médiocrité, de peur et de résignation.
En refusant d’obéir à ce diktat, en ne se soumettant pas à l’oukase de la justice parodique à la solde du pouvoir, Me Lionel Agbo se fait l’avocat de notre conscience endormie et de notre liberté emberlificotée. Me Lionel Agbo nous apprend à dire non à la chloroformisation des esprits qui sévit au Bénin depuis 2006. De par sa formation et sa profession, l’homme est suffisamment averti du droit pour savoir le sens éthique et politique d’une décision de justice. Et en refusant la parodie de justice qui le condamne en toute innocence, c’est nos inhibitions qu’il bouscule ; c’est un signe d’appel à notre réveil qu’il nous fait. Et il le fait au prix de sacrifices personnels dont la lourdeur est incommensurable. En cela, Me Lionel AGBO mérite notre respect, notre soutien et notre admiration.
Bien à toi, et que Dieu sauve le Bénin !
Binason Avèkes
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