Mon Cher Pancrace,
J’ai reçu ta dernière lettre depuis Genève où le comité éthique du Groupe Trépied a tenu sa dernière réunion trimestrielle. Et alors que j’imaginais toute ton attention captivée par des sujets aussi sérieux comme la paix, la lutte contre la Corruption, la promotion de l’Ethique de Responsabilité dans notre société, etc. voilà qu’à la faveur d’une transition pertinente, tu me poses une question qui en apparence, n’a pas l’air de flotter dans l’éther des hautes considérations éthiques. Mais je dis bien “n’a pas l’air” car en y réfléchissant, je me rends compte que ta question sur Monsieur Adovèlandé, loin d’être triviale est d’une portée éthique réelle. Car à mon sens, elle touche à la thématique combinée de la fraternité, de l’empathie et de la compassion qui est au cœur de la problématique du lien social . En effet, tu me demandes pourquoi personne dans le landerneau politique béninois ne se lève pour M. Adovèlandé, le Coordonnateur national du MCA incarcéré depuis le 25 décembre 2009.
Oui, cher ami, par ta question, tu prouves que si les hommes politiques en manquent, toi tu as de la compassion à revendre ; et je me réjouis que, partout où tu vas, tu en fasses bon marché autour de toi, pour le plus grand bien de notre pays. Aussi, est-ce avec joie que je vais répondre à ta question. Oui, mon cher Pancrace, personne ne se lève pour Pierre Simon Adovèlandé, c’est un fait. Au Bénin actuellement, dans la perspective des élections de 2011, on ne compte plus les comités de soutien d’Untel, les amis d’Untel, et autres groupes de soutien qui pullulent de-ci de-là. Ceux qu’on soutient sont tous en liberté. Il faut croire que le Béninois ne prête qu’aux riches. Mais concrètement pourquoi personne ne se lève pour refuser qu’un homme comme Pierre Adovèlandé croupisse en prison ? La réponse, mon cher ami est simple : parce que son incarcération arrange tout le monde. Quand je dis tout le monde, ce n’est pas le monde, ni même le Bénin tout entier mais les trois côtés du landerneau politique béninois dans son état actuel. Quels sont ces trois côtés ? Eh bien ce sont HYT : H pour Houngbédji, Y pour Yayi et T pour Tchané. Dans son état d’avant l’incarcération de Simon Adovèlandé, le landerneau Politique incluait celui-ci, et donnait le quadrilatère AHYT, le A étant pour Adovèlandé. Pour comprendre pourquoi personne ne se lève pour Adovèlandé ou bien, pourquoi son incarcération arrange les trois autres, il faudrait définir chacun des sommets de ce quadrilatère politique
Tout honneur étant dû au prince régnant, commençons par le Y, c’est-à-dire Yayi Boni. Eh bien Yayi Boni est le Président actuel ! Il se pose en Nordique, en Docteur en économie, et en Banquier de la BCEAO et précisément de la BOAD. Il occupe donc en premier le pôle du technocrate du sérail financier avec une option dévéloppementiste. Il est arrivé au pouvoir par ce truchement fantasmatique qui touche à la source de l’argent incarné par le concept du Cauris qui a fait mouche dans l’esprit de ses concitoyens pauvres, frustrés et avides. Jusqu’à son élection, en 2006, il avait la réputation d’homme neuf non politicien, réputation qu’il a en cinq ans largement le temps de ruiner, au point d’avoir basculé dans l’excès contraire. Sa soif d’intrigues politiques se manifeste par un tempérament d’abus de pouvoir, porté au non respect de la constitution et des libertés au nom d’un pragmatisme autoritaire. A ce titre, abusant de son pouvoir régalien, il utilise la prison comme un outil de contrôle, de menace, d’humiliation, voire d’élimination politique de ses adversaires, qui sont aussi bien réels qu’imaginaires.
Arrêtons-nous à ces éléments de définition du point Y, et passons, cher ami, au point H. Pour ne rien te cacher, Houngbédji est le type même de l’homme dont les qualités, la formation, l’expérience, la conception de l’homme et des sociétés humaines, du Bénin et de l’Afrique lui confèrent la position de leader de peuple et de bâtisseur de nation. Car, contrairement à ce que pensent certains esprits, pour être à la hauteur de sa mission, un président n’a pas à être un technocrate, ou un économiste mais un homme de vision, de dialogue, de sagesse, d’expérience, d’intelligence et de rassemblement. Et Houngbédji est celui qui rassemble le plus ces qualités. Il est candidat de l’UN, un ensemble politique, qui d’un point de vue démographique et de la logique du fils du terroir – euphémisme subtil pour régionalisme – constitue la majorité électorale du pays ; même s’il faut compter beaucoup avec la culture du chacal, qui fait florès au sud. De par son âge, il est l’ainé, le plus mûr et le plus expérimenté des quatre sommets du quadrilatère.
Passons maintenant à Bio Tchané. C’est un technocrate. Ancien Directeur Afrique du FMI, économiste de formation, il est actuellement Président de la BOAD, la banque ouest-africaine du promontoire duquel Yayi Boni s’est lancé avec succès à l’assaut de la Présidence du Bénin en 2006. Il est Nordique, et contrairement aux autres sommets du quadrilatère, il est de confession islamique, bien que pour les besoins de la cause, il puisse se faire appeler “Pierre” pour rester dans une conformité consacrée par l’histoire. En fait, le fait que Bio Tchané piaffe d’impatience pour prendre la place de Yayi rend raison de l’idée que les Béninois, en décidant de tourner la page Kérékou et d’une manière générale celle des anciens hommes politiques, ont raison sur le fond et en général, mais ont eu tort sur la forme et en particulier en choisissant Yayi Boni un homme aussi inconnu que dissimulateur, aussi médiocre qu’autoritaire. Pour sauver l’idée de fond et corriger l’erreur, Bio Tchané se propose aux Béninois comme une occasion de renouer avec leur génie et leur bonne conscience. Il y a aussi la problématique de l’authenticité nordiste qui fait rage en filigrane. Celle de savoir, tant qu’on est enlisé dans le marais ethnique et régionaliste, jusqu'à quel point un homme comme Yayi qui ne fait pas mystère de son ancrage nago essentiel peut, au nom d’un métissage bariba marginal, et d’une transition régionale mal assumés peut endosser le manteau du Nordique en chef, au nez et à la barbe d’un homme comme Abdoulaye Bio Tchané. Cela dit, cher ami, la guerre de l’authenticité nordiste qui fait rage se livre a fleuret moucheté, et il ne faut pas compter sur Bio Tchané, dont l’espérance est fondée sur le consensualisme national pour sortir des plates bandes du politiquement correct.
Enfin, last but not least le sommet A représenté par Pierre Simon Adovèlandé, l’homme dont la situation ne soulève aucun élan de compassion de la part des autres, et pour cause. Simon Pierre Adovèlandé est de la même génération que T et Y. Comme eux, il occupe le pole technocratique, en sa qualité de cadre des finances et gestionnaire. Jusqu’à son incarcération, il était le Coordonnateur national du MCA-Bénin, le plus performant et le mieux géré d’Afrique. Il est originaire du Sud et de la même région que H. Il a été dans le sillage de Kérékou, comme T.
Voilà succinctement définis les quatre sommets du quadrilatère des candidats crédibles à l’élection de 2011. Comme tu le vois, quelques identités, positionnements et pôles se dégagent de ces définitions. On a le pôle de technocrate des finances, directeur ou ancien directeur d’une banque Ouest-africaine ou d’un programme financier d’envergure internationale. Ce pôle est occupé par les sommets A, T et Y avec pour les deux derniers une troublante similitude dans le temps, qui prend valeur de formule. Il y a aussi le pôle de l’homme politique expérimenté, leader national et chef de parti. Ce pôle est occupé par le sommet H, en quasi singleton. En ce qui concerne les identités, il y a d’abord l’identité régionale avec deux occurrences principales clivées que sont le Nord et le Sud. Le Nord correspond aux sommets T et Y tandis que le Sud est incarné par les sommets A et H. Il y a aussi l’identité religieuse affichée ou de fait, qui a aussi deux occurrences qui sont Chrétien et Musulman. De tous les quatre sommets seul T fait figure de singleton avec l’identité musulmane, tandis que les trois autres sommets se retrouvent dans l’identité chrétienne ; même si cette variable n’est pas décisive, il faut tout de même signaler que depuis cinquante ans d’indépendance tous les présidents du Bénin ont été de confession officielle chrétienne et portent des prénoms qui reflètent cette origine religieuse.
Or donc, cher ami, que remarque-t-on en observant attentivement ces pôles, ces identités et les positionnements auxquels ils donnent lieu ? Eh bien, force est de constater que le quadrilatère en question est une véritable jungle, ou plus précisément un champ de western où chacun a des raisons d’être rivé contre l’autre, désirer sa mort politique ou son élimination. Déjà pourquoi Yayi Boni a-t-il emprisonné un homme qui même s’il a commis des erreurs dans le passé, gérait bien un domaine financier qui fait du bien au pays ? Comment se fait-il qu’une affaire essentiellement commerciale soit traitée selon une procédure pénale ? En Président responsable, vu que M. Adovèlandé par sa gestion du MCA faisait du bien au Bénin, si la version officielle fournie était vraie, Yayi Boni n’avait-il pas obligation de lui servir de paravent ? Lui qui est si prompt a donner des passeports béninois à des étrangers plus ou moins douteux, que ne peut-il intervenir pour assurer l’habeas corpus à un homme qui contribuait avec ardeur au développement du pays dont lui Yayi se dit le Président ? Donc, mon cher ami, il va de soi que, fidèle à son habitude – qu’ont illustrée les emprisonnements des Fagbohoun, Adihou et autres hommes politiques qui, soi dit en passant se recrutent exclusivement au Sud, – Yayi Boni a utilisé l’emprisonnement pour éliminer, et contrôler les ambitions politiques légitimes de Pierre Adovèlandé, concurrent sur le pôle technocratique financier.
Pourquoi alors un Houngbédji, qui se réclame du pôle de la sagesse et de leader national ne lève pas le petit doigt insistant contre cet arbitraire et cette violation des libertés individuelles ? Eh bien parce que pour lui aussi, Adovèlandé est un concurrent identitaire. Dans la mesure où l’idée d’alternance régionale ou ethnique à la tête du pays prévaudrait en 2011, c’est tout naturellement que le peuple se tournerait vers un homme comme Simon Pierre Adovèlandé. De ce point de vue, il constitue une menace non seulement pour Me Adrien Houngbédji mais aussi pour l’UN dans son ensemble, qui n’a de raison d’être et de survie politique que dans la mesure où sa stratégie unioniste va jusqu’à son terme, et elle n’est pas court-circuitée sur sa gauche par un outsider, dans une euphorie miraculeuse, comme les Béninois en ont montré l’exemple en 2006.
Alors Quid de Bio Tchané ? Eh bien l’idée qui anime secrètement la démarche des amis de ABT, est que la volonté de tourner la page Kérékou qui s’est exprimée en 2006 reste d’actualité. Yayi Boni est alors perçu comme une erreur à corriger, une erreur qu’il suffit de corriger pour que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes politiques béninois possibles. On changera donc de pilote, fut-ce en vol, mais on conservera l’avion et le plan de vol. Malheureusement, ABT n’est pas le seul pilote technocratico-financier à bord. A bord, autoritairement enfermé dans les soutes, il y a aussi Simon Pierre Adovèlandé. Et s’il arrivait que la majorité des voyageurs désirât que leur pilote pour une rare fois ait la même identité régionale qu’eux, alors on voit que les chances de ABT sont en l’air ! Voilà pourquoi, même le plus saint de tous les quatre candidats potentiels à la présidentielle de 2011 n’ose lever le petit doigt pour libérer son rival mis au frais par le commandant de bord…
Oui, cher ami, avec toutes ces considérations, on est dans le marais politicien avec tout ce que cela suppose de stratégie, de mesquineries d’égoïsmes et de froide élimination du concurrent. Dès lors toutes les idées éthiques, de fraternité et de compassion qui sont au cœur de la problématique du lien social sont évidemment passées à la trappe. Or quelle vision peuvent nous proposer nos hommes politiques, et vers quel but humain veulent-ils nous conduire, comme Moïse conduisait le peuple juif, si a priori et sur des cas aussi triviaux, ils ne savent pas faire preuve de compassion à l’égard de leur prochain immédiat ? Cette question, cher ami, est posée à nos soi-disant leaders, à nos candidats potentiels à l’élection présidentielle. Il est tout à ton honneur par cette intarissable source de compassion qu’abrite ton cœur et que nourrit ton esprit, d’avoir offert l’occasion de la poser. Tout le plaisir fut pour moi de tenter d’y répondre avec des maladresses que, par empathie, je sais que tu pardonneras.
Amicalement,
Binason Avèkes
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