Propos recueillis et transcrits par Gaston B.B. YAMARO Pascal CHABI KAO était ministre sous le Conseil Présidentiel jusqu’à la prise du pouvoir par le Président Kérékou. C’est à ce titre qu’il a participé avec celui-ci à fomenter le coup d’Etat du 26 octobre 1972 en inventant l’Affaire dite COVACS. Pour lui, « il n’y a jamais eu d’affaire COVACS, plutôt un dossier COVACS, dossier politique monté à dessein pour renverser le Président Ahomadégbé qui s’apprêtait, selon lui à exécuter Maurice Kouandété avec qui, ils s’étaient mutuellement menacés de mort. Historique inédite du coup d’Etat du 26 octobre 1972, Voyage au cœur des affaires d’Etat entre 1970 et 1972. Pascal Chabi Kao nous a gratifiés de révélations inédites lors de la conférence organisée au domicile du Président Hubert Maga lors du Cinquantenaire de l’indépendance du Bénin en 2010. Récit exclusif. LISEZ ! « Je suis heureux aujourd’hui, et c’est à vous que je confie cela. Parce que quand quelqu’un dit l’affaire covacs, si je lui demande qu’est-ce qu’il entend par l’affaire Covacs, personne ne peut répondre. Si quelqu’un peut me dire c’est quoi l’affaire Covacs je serai heureux. Personne ! Mais tout le monde en parle. C’est le loup garou. Tout le monde parle du loup garou, on ne l’a jamais vu. Il sera difficile aux gens de pouvoir parler avec précision de ce qu’ils ne savent pas. Au lieu d’aller aux sources, ils forgent, ils affabulent pour jouer aux plus importants, aux plus malins et tout. On les regarde faire et on suit. Je vous avoue solennellement ce soir, qu’il n’y a pas eu «d’affaires Covacs» avec moi Chabi Kao. Il y a eu le «dossier Covacs» qui est un montage politique que nous avons mis en place pour renverser le Président Ahomadégbé, parce que nous étions à deux doigts d’une guerre civile entre le Nord et le Sud. Je le révèle aujourd’hui, vous pouvez demander aux collaborateurs d’Ahomadégbé qui sont encore là. Cette affaire-là, je l’ai montée avec Kérékou et Baba Moussa, paix à son âme, qui est décédé. Même le Président Maga ignorait ça. Nous l’avons monté, c’était pour éviter que le sang coule une fois encore. S’il n’y avait pas eu ce montage du dossier Covacs, le montage politique d’un dossier qui existe réellement, dont je vais vous parler, s’il n’y avait pas eu ça, le sang aurait coulé entre le Nord et le Sud. Pourquoi ? Quand le tour du Président Ahomadégbé approchait, qu’il devait prendre le pouvoir, les services de renseignement ont dit partout qu’ils ont des raisons de croire que le Président Ahomadégbé s’il prend le pouvoir, il y aura coup d’Etat. De faire en sorte que le Président Ahomadégbé renonce à son tour. Ou bien il dit à Maga de continuer ou bien il arrête et puis on revient aux élections normales mais il ne faut pas qu’il prenne son tour. Les gens ont essayé de le contacter, plusieurs pays; je ne vais citer aucun pays; plusieurs pays ont essayé de le contacter soit directement, soit par délégation interposée, où on lui a dit de sources sures, « tu n’iras pas loin, renonce au pouvoir. Si c’est de l’argent que ça rapporte, nous sommes prêts à te donner cet argent-là pour que tu renonces ». Ahomadégbé a refusé. Toute son équipe a refusé parce qu’ils ont dit que les fils des autres régions ont porté le «grand collier», et qu’il faut aussi qu’un Houégbadjavi d’Abomey porte aussi ce grand collier même s’il doit mourir trois jours après. Et c’est ainsi donc que Ahomadégbé a refusé de renoncer à son tour, ce qui est normal. Mais il s’est fait que entre Ahomadégbé et Kouandété, il y avait eu une menace de mort. Quand il restait deux ou trois mois pour que Ahomadégbé prenne son tour, j’arrivais au palais de la République où Maga était Président, quand dans les escaliers, Ahomadégbé et Kouandété se sont saisis aux collets. J’arrivais en ce moment. Et tout le monde est venu les séparer. C’est ainsi que je les entendais dire, Kouandété dit « moi vivant, tu ne prendras pas ton tour, si tu prends ton tour de Président, je vais te tuer ». Et Ahomadégbé de répondre : « je prendrai mon tour et c’est moi qui vais te tuer». Voilà les menaces qu’ils se sont proférées. Automatiquement, on en a parlé au Président Maga qui a appelé Ahomadégbé. Celui-ci a dit au président Maga de demander à Kouandété de retirer ses mots, sinon, il sera sanctionné. Kouandété réplique que lui ne retire rien de ce qu’il a dit. Maga a dit « dans ce cas-là, on sera obligé de te sanctionner ». Kouandété a dit qu’il est prêt à toutes les sanctions. Mais il martèle que si Ahomadégbé prend son tour, il va le tuer, lui Kouandété. Il y avait en effet, quelque chose qui les opposait il y a longtemps. Je ne vais pas rentrer dans ce détail. Donc, j’ai assisté à cette scène-là. Maga a fait tout pour les réconcilier mais en vain. On s’est tu et l’affaire semblait s’être calmée. Il restait un mois ou un mois et démi pour que Maga passe la main à Ahomadégbé. Kouandété ayant appris que Ahomadégbé a refusé toutes les avances qui lui ont été faites de renoncer à son tour s’est dit : « si je laisse Ahomadégbé prendre, ça ! Il m’aura ». Et Kouandété a fait une tentative de coup d’Etat. Il a pris tout le camp militaire de Cotonou en otage. Le Gouvernement lui a intimé l’ordre de cesser immédiatement, mais chaque fois que nous envoyons quelqu’un représenter le Gouvernement, on le prend, on l’enferme là. Les officiers, tous étaient enfermés. Kérékou qui était le Chef d’Etat Major Adjoint est allé plusieurs fois, mais on ne lui a pas permis d’approcher le camp pour aller discuter. On lui dit tout le temps, « halte là ! », et on tire des tirs de sommation. Kérékou a dû tout abandonner. Et ça durait plus d’une semaine que le camp militaire de Cotonou a été pris en otage par Kouandété et tous les officiers. Tout ce monde était là, et on ne trouvait pas de solution. On ne trouvait plus personne pour aller négocier. Un soir, on nous a convoqués en conseil extraordinaire des ministres. Nous ne savions pas quel était l’ordre du jour, et c’est dans la salle qu’on nous a informé que le Chef de l’Etat en exercice, et les deux autres se sont réunis et décidé ce qui suit : « ça fait plus d’une semaine qu’un seul individu est en train de narguer tout un Gouvernement, ce n’est pas possible. Il faut que force reste à la loi. On a donné un ultimatum à Kouandété. On lui a dit que si ce jour d’aujourd’hui, à 21 heures il ne dépose pas les armes, des dispositions sont prises pour qu’on rase le camp militaire. » Et des instructions auraient été données à la gendarmerie de Porto-Novo de Owens, parce que la gendarmerie était très équipée, on lui a dit de faire une marche sur Cotonou. Arrivé à Cotonou on lui dira les consignes, mais nous on nous a informés qu’on va lui demander, avec les engins lourds qu’il a, de tirer, jusqu’à ce que Kouandété se rende. Et donc, les trois présidents ont tenu à nous en informer ce soir-là en conseil des ministres. Alors, on a tous pris peur, moi le premier. Et j’ai dit : « mais, messieurs les Présidents, le camp militaire de Cotonou, c’est en pleine ville ! Il y aura trop de civiles qui vont mourir si on tire à l’aveugle! » On m’a répondu « mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? ». J’ai demandé s’il n’était pas encore possible de négocier. Maga a répondu « ça suffit !». Apithy a dit « ça suffit ! ». C’est Ahomadégbé qui m’a défendu en disant : « le jeune homme a peut-être une idée, laissez-le parler ! C’est ainsi qu’on m’a laissé parler, j’ai dit « bon, donnez moi encore une chance, j’irai voir Kérékou pour voir ce qu’on peut faire. Reculez l’heure de l’attaque.» On m’a autorisé à aller voir Kérékou, mais « si avant 00 heure, Kouandété ne dépose pas les armes, ne nous dis plus rien, on donne le signal et puis le camp sera rasé, tant pis, tant pis ! ». …Et j’ai dit à Oussa Albert, il est là, qu’on lui pose la question, il était ministre de la santé, et j’ai dit à Ouassa de m’accompagner chez Kérékou. Kérékou est là qu’on lui pose la question aussi. Et nous sommes allés réveiller Kérékou, qui dormait déjà en face du petit palais. Il a dit, « mais ne me dérangez pas ! » On lui a expliqué tout, mais il dit « qu’est-ce que tu veux ? Qu’est-ce que tu veux que je fasse ! J’ai déjà tout essayé moi-même, ma vie a été en danger, je ne peux rien ! Ça dépend de vous, c’est vous le Gouvernement, ce n’est pas moi ! » . Je lui ai demandé d’aller encore essayer, parce que voilàce qui a été décidé, tout à l’heure la gendarmerie va tirer avec des armes lourdes à distance sur tout le camp. Il y a une poudrière, quand ça va exploser, ça sera un carnage dans la ville de Cotonou. Il a vu que c’était sérieux, il a dit qu’il va essayer mais qu’il ne promet rien. Mais qu’il nous demande à nous de prendre l’engagement, s’il arrive à amener Kouandété à la rémission, que nous les civiles politiciens on ne va pas se mêler; que cette affaire est militaire puisque c’est avant tout eux les militaires qui ont été justement déconsidérés par Kouandété. Eux-mêmes, ils ont des tribunaux militaires et qu’ils vont les juger. Je le rassure que le Gouvernement prend l’engagement de ne pas s’en mêler. « A cette condition je vais essayer encore», conclut-il. Nous sommes retournés Ouassa et moi en conseil des ministres rendre compte. Et puis, on a attendu. Tous, on transpirait, on attendait que le téléphone sonne. Et vers 00h moins quelque chose, le téléphone a sonné. Je ne sais plus qui a pris et automatiquement on a passé au Président Maga et il s’est écrié : « Ah ! Kouandété s’est rendu ! ». Dans la salle du Conseil des ministres, nous tous on a bondi comme des gosses. On était heureux. Voilà comment l’épisode s’est terminé. Kouandété s’est rendu, on l’a arrêté. Les Docteurs Boni Pierre, les Affouda,… tous ceux-là avaient été arrêtés, on les a enfermés en prison. Et puis nous avons cru que l’affaire était enterrée. Le Président Maga préparait donc la restitution du pouvoir à Ahomadégbé au mois de Mai. Mais entre temps, les présidents et les ministres du monde entier étaient invités à aller en Iran pour un centenaire; et Maga a été invité. Il a emmené trois ministres : moi, Paoléti et Joseph Kèkè. Le Président Maga se demandait à qui confier l’intérim. Nous lui avons proposé que comme Ahomadégbé va bientôt prendre son tour, de lui confier l’intérim pour lui faciliter la tâche. Il a jugé que c’était une bonne idée et c’est ainsi que le Président Maga a confié son intérim à Ahomadégbé. Nous avons pris l’avion. Nous sommes partis. Les militaires avaient commencé déjà à juger les Kouandété au niveau de leur tribunal. Ils étaient contents qu’on ait tenu l’engagement. Mais dès que nous avons pris l’avion et que nous avons décollé, nous ne sommes même pas encore arrivés en Iran quand Ahomadégbé a mis sur place un tribunal d’exception; il a récupéré le dossier et il les a fait comparaître devant ce tribunal d’exception pour les faire condamner, une bonne partie à mort, une bonne partie à perpétuité. Les gens ont téléphoné à Maga. Maga voulait revenir, j’ai dit « non, pourquoi tu vas revenir, c’est déjà fait, c’est fait. Etant donné que c’est lui qui va prendre le pouvoir dans quelques semaines, il va gérer son dossier, ne t’en mêle pas ! ». A notre retour, le Président Ahomadégbé a voulu faire un rapport d’intérim à Maga. Maga a dit « non, il reste deux semaines à peine pour ton tour, garde ton rapport d’intérim et continue de gérer ». C’est ainsi que le Président Ahomadégbé a été très embarrassé. Il voulait que le dossier soit au cou de Maga parce qu’on avait pris l’engagement de ne pas s’en mêler. Maga en partant a dit « ne t’en mêle pas », mais Maga a tourné le dos, il s’en est mêlé. Kouandété a dit « Kérékou nous a trahi », et Kérékou a dit « vous les ministres, le Gouvernement, vous m’avez trahi. Parce que si je n’avais pas dit à Kouandété que les civiles n’allaient pas les juger, Kouandété ne se serait jamais rendu, je le connais ». Voilà l’engrenage ! Le tour d’Ahomadégbé est venu. Il a pris son tour. Dieu merci, ça s’est passé sans problème. Et puis nous étions là quand le samedi de la pentecôte de l’année 1972, vers 21h et quelque, le Président Maga nous appelle, nous ses ministres, que le Chef de l’Etat veut qu’on vienne en conseil des ministres la nuit-là. A cette heure-ci ! Et on nous dit « faites en sorte que personne ne sache, déguisez-vous ». Nous avons dit « mais on veut nous tuer ou quoi ! ». Nous sommes allés quand même. En changeant de voiture ou bien en changeant d’habit. Et nous sommes allés au Palais de la République un samedi de pentecôte. On peut retrouver la date en 1972. Et dans la salle, Ahomadégbé était là avec tous ses ministres et certains gars de son parti politique. Et nous, nous sommes venus avec le nombre de ministres que Maga a pu récolter en chemin. On est venu s’asseoir face à face avec les ministres d’Ahomadégbé. Et puis Maga dit « mais, et Apithy ? Pourquoi il n’est pas encore arrivé ? ». Il répond : « non, tu sais très bien que Apithy est en Guinée, en mission officielle ». Maga a dit mais s’il n’est pas là, son gouvernement, ses ministres sont là ! Ahomadégbé répond « non ce que je veux vous dire, c’est entre nos deux partis pour nous entendre. Apithy lui c’est l’ami des militaires. C’est lui qui est derrière les coups d’Etat des militaires là. Entre nous deux, si on prend une décision, deux sur trois en démocratie ça l’emporte ». On a dit bon, on t’écoute. Et c’est là où Ahomadégbé révèle cette nuit-là, que tous les avocats des condamnés à mort ont écrit pour demander la grâce présidentielle pour commuer la peine de mort en peine à temps, c’est-à-dire la perpétuité. Mais de ne pas les exécuter. Et que, lui, il a réuni pendant plus de trois jours son staff politique pour dire « qu’est-ce qu’on fait ? On gracie ou on exécute ? ». Et tous ont dit « on exécute pour donner l’exemple. C’est toujours les mêmes qui font les coups d’Etat. Notre pays n’ira jamais de l’avant si ces gars-là sont vivants. Il faut exécuter». Et que lui n’a pas voulu prendre la responsabilité tout seul, il veut que Maga et les siens, qu’on l’appuie pour exécuter les autres. Le Président Maga a demandé qu’on attende Apithy. Ahomadégbé a refusé. Ils étaient en train de discuter sur l’affaire d’Apithy quand j’ai levé le doigt et j’ai demandé la parole. J’ai dit « non, Messieurs les Présidents, pour moi ce n’est pas une question de Apithy est absent, non ! C’est une question de principe. J’ai dit Monsieur le Président Ahomadégbé, vous dites que les vôtres ont dit, vous leur avez donné la parole et ils ont confirmé, qu’il faut exécuter. Si demain matin, les gens du Nord se réveillaient et apprenaient que Kouandété est exécuté, personne ne donnera l’ordre aux éléments du Nord, ils vont se mettre à égorger les sudistes, à les frapper partout dans le Nord. Et vous, en représailles, vous allez nous tuer aussi. Ça va donner quoi ? Nous allons nous entretuer, parce que, qu’on le veuille ou non, Kouandété continue d’être une idole du Nord et surtout de sa région. Si on apprend qu’on l’a exécuté, ils vont tuer les sudistes aveuglément et les sudistes vont nous tuer aussi. Voilà pourquoi moi je suis opposé ». Automatiquement, tous les nôtres qui étaient là ont dit que j’ai raison. Alors attendons que le Président Apithy revienne et nous remettrons la question sur tapis. C’est ainsi qu’on s’est séparé la nuit-là. Et j’ai encore appelé Ouassa Albert; il est vivant, posez-lui la question, j’ai dit que si nous ne faisons rien, Ahomadégbé pourrait exécuter Kouandété demain matin. Il est dans son droit. Il peut accepter ou refuser. De GAULLE n’aime pas verser le sang, mais Thiry-Bastien qui a tiré sur lui dans le petit Clamart, on l’a condamné à mort, Thiry a demandé la grâce à De GAULLE et De GAULLE a refusé. Il a dit non, il faut l’exécuter et on l’a exécuté. Et personne ne peut rien dire, il est dans son droit. Oussa Albert me dit « mais qu’est-ce qu’on va faire ?», j’ai dit « allons réveiller Kérékou », il est là qu’on lui pose la question; c’est moi qui ai dit. Nous sommes allés réveiller Kérékou en pleine nuit, nous avons dit que nous venons d’un conseil des ministres. Il s’est exclamé « quoi ! ». Et on lui a raconté tout ça. Je lui ai dit, « si tu dors cette nuit, demain matin, c’est le cadavre de ton frère Kouandété que tu iras récupérer ». Et il nous a dit « allez vous coucher; le reste, ça me regarde ». Et la nuit-là il s’est levé, avec d’autres officiers, du Nord comme du Sud; ils ont fait la ronde autour de la prison de Cotonou toute la nuit et ils ont fait passer même des armes aux Kouandété pour dire que, si d’aventure, on venait ouvrir de façon insolite la porte, c’est peut-être un «machin» d’exécution, « vous tirez et vous-vous sauvez, vous vous évadez ». Donc, dedans comme dehors, les gens étaient prêts à «accueillir» le comité d’exécution. Ahomadégbé ne l’a pas fait. Apithy est revenu, ils n’ont rien dit. Le temps a passé, il y a près d’un mois de passé, on ne nous a plus rien dit, on ne nous a plus appelé. Et il n’a pas donné la grâce. J’ai dit qu’il va nous surprendre. Et j’ai dit à Oussa allons voir Kérékou encore, on est allé revoir Kérékou. Qu’on, lui dise que c’est moi qui ai dit, si je mens, il n’a qu’à venir me démentir. On est allé le revoir, j’ai dit mais voilà, ça fait près d’un mois qu’on n’entend plus rien. Il dit « mais c’est vous ! Qu’est-ce que vous voulez que moi je fasse ! C’est vous qui avez tout créé. Il ne fallait pas les juger ! ». Je lui ai dit « mais en tout cas, si tu laisses, un de ces quatre matins, puisqu’il n’a pas donné la grâce, il va les exécuter ». C’était donc le samedi dans la nuit. Le dimanche de pentecôte, j’ai pris Oussa Albert, à bord de ma voiture. J’ai conduit moi-même et je suis venu; j’ai fait tous les camps militaires du Nord. J’ai été voir tous ceux qui dirigeaient les camps militaires du Nord et je leur ai raconté ça. J’ai dit: mettez-vous sur le qui-vive, évitez que cela arrive. Si jamais on exécutait Kouandété, évitez que les sudistes soient tués, soient massacrés. Faites tout possible pour éviter cela. Parce que si vous ne faites pas ça, si on tue même un seul sudiste, nous nordistes là-bas on va nous tuer aussi. Je suis passé à Parakou; je suis passé à Bembèrèkè, je suis passé à Natitingou. Je les ai tous vus, ils ont dit « calme toi, nous allons prendre toutes les dispositions ». Et c’est ainsi que le lundi de pentecôte étant férié, Oussa Albert et moi on est retourné, et le mardi chacun était dans son cabinet. Le temps passe, rien ne se manifeste. On va voir Kérékou; Kérékou dit qu’il ne peut rien faire. Finalement, il me demande ce que je lui conseille. J’ai proposé que la seule façon pour que Ahomadégbé évite d’exécuter Kouandété parce qu’ils s’étaient promis déjà la mort l’un et l’autre, maintenant que lui il a le pouvoir, il va l’exercer, j’ai dit la seule solution c’est de renverser immédiatement le conseil présidentiel. Je dis « tu fais venir tes militaires et vous prenez le pouvoir ». Il me dit « mais toi tu es ministre et tu demande de renverser le pouvoir ! » Je dis « oui !, prenez le pourvoir pour qu’on sauve ce pays du sang». Il dit « mais, on va vous arrêter et vous enfermer ! Je dis oui, ça ne fait rien, mais le pays aura évité le bain de sang ». Il explique : « nous ne pouvons pas sortir comme ça pour faire un coup d’Etat, ils vont dire que c’est crapuleux, trouve nous un alibi, un motif. Ainsi, si nous sortons, nous allons dire que c’est ce motif-là et on ne dira pas que c’est crapuleux». J’ai dit que c’est trop simple. Si on a pu renverser un Gouvernement pour une question de fesses, donc c’est facile de créer un motif ! |
Et il y avait le dossier COVACS. Ça veut dire quoi tout simplement? COVACS est un fournisseur. Il est polonais. Il est immigré français. La France ne peut pas le mettre dans la fonction publique française. Alors, on leur a demandé à eux tous de créer des sociétés privées. Et chacun de nos Etats est devenu la chasse gardée de ces gars-là. Puisque c’est la France qui nous donne de l’argent pour acheter les fournitures de bureau, la France a dit que désormais, pour qu’elle nous donne de l’argent, il faut que nous nous engagions à acheter ce matériel auprès d’un tel ou d’un tel. Donc COVACS lui, il avait le Dahomey, le Cameroun, et le Togo. La France vient vous dire, « on va vous donner de l’argent, mais à condition que vous achetiez avec tout cet argent-là chez ce bonhomme ». Nous, on n’avait même pas fini de régler cette affaire de Kouandété, quand COVACS qui a l’habitude de le faire, parce que tous les ministres des finances qui ont passé des indépendances jusqu’à présent connaissent COVACS. Quand COVACS vient, il dit qu’il y a un crédit que la France veut nous donner. On dit d’accord, livres les marchandises, les commissions travaillent et puis la France paie. Ça ne sort pas de la caisse du pays. On en était là quand COVACS dit « mais tiens, je viens de décrocher une promesse de crédit de 500 millions de la France. La France dit si vous êtes d’accord à m’acheter les produits jusqu’à 500 millions, la France paie l’argent et moi je vous livre les marchandises. » Moi, j’ai dit que c’est très simple, nous sommes en plein exercice budgétaire, le budget est déjà voté. « Moi, je suis un financier de formation et de métier, même si on vous donne de l’argent cadeau, vous ne pouvez pas l’accepter dans le budget en exercice sans faire un collectif budgétaire immédiatement. Il faut introduire ou à l’Assemblée ou au niveau du Gouvernement un dossier pour reprendre le budget et introduire ce qu’on vous donne. A plus forte raison, les dépenses non prévues. Vous voulez nous donner 500 millions, que nous devons introduire comme recettes dans le budget national, mais il faudrait que moi, j’avertisse d’abord le Gouvernement ! Et ce n’est qu’en Octobre que j’ai mon collectif budgétaire, il faut attendre. Alors COVACS dit que c’est trop tard, que lui il a déjà acheté les marchandises. J’ai dit que ça ne me regarde pas. Et pour prouver que c’est vrai que la France est derrière, Monsieur Plato qui est le responsable de la coopération dans notre pays, j’appelle son nom, monsieur Plato est venu dans mon cabinet me dire, « Monsieur le Ministre, je viens confirmer que nous venons d’obtenir pour votre pays, 500 millions pour acheter les marchandises auprès de COVACS, ça c’est sûr ». Je lui ai expliqué et j’ai dit « mais, vous, au moins vous êtes financier et ceci étant, vous comprenez ce qu’on appelle un collectif budgétaire». Et je lui ai expliqué que c’est dans deux mois. Il a dit « ah ! Vous avez raison ». Je dis que je ne peux pas accepter le cadeau de 500 millions sans d’abord l’avoir prévu et avoir obtenu l’autorisation du conseil des ministres. C’est ainsi donc que moi j’ai rejeté et le dossier est resté là, ça traînait. Il allait, il venait, il suppliait. A plusieurs reprises, trois fois de suites, il m’a apporté 100 millions de FCFA. Je lui ai dit non ! Je lui ai dit que moi, je suis du Nord. Je ne mange pas de ce pain-là. On ne m’achète pas. Je dis « je n’ai pas refusé, mais il faut que le conseil des ministres me donne l’autorisation et que mes services refassent le budget et qu’on prévoie d’un côté 500 millions de don français, et de l’autre côté 500 millions d’achat de produits dans les magasins ! Et à plusieurs reprises je l’ai renvoyé. Je dis « ça ne me regarde pas ». Et quand Kérékou m’a dit « trouve nous un alibi pour qu’on puisse faire le coup d’Etat », je dis « tiens, ça tombe bien, il y a un dossier qui traîne là, le dossier Covacs. On va le ficeler, et puis on va lui donner un aspect que personne ne peut définir. D’aucuns vont dire que c’est des détournements, d’aucuns vont dire que c’est la corruption, mais personne ne pourra dire exactement ce que c’est. Vous, vous allez faire votre coup d’Etat sur cette base-là en disant, il y a l’affaire COVACS. Vous n’entrez pas dans les détails, vous dites qu’il y a l’affaire COVACS, c’est une question de marchandises, une question de l’argent que la France va donner, vous n’entrez pas dans les détails ». Et c’est ainsi donc que quand il a donné son accord pour dire que ça peut marcher, que moi, avec mes services, on a donc ficelé le dossier COVACS. On a écrit à la maison pour dire que, nous on attend de faire d’abord le collectif budgétaire. Mais entre temps, COVACS, sans rien me dire, ni à personne a fait venir les marchandises au port de Cotonou. Et il s’apprêtait à les envoyer dans les magasins de l’Etat à Porto-Novo en disant que si le conseil rejette, que lui va récupérer ses choses pour vendre sur place. Je dis non, je suis un juriste. Si j’accepte que ces produits entrent dans nos magasins, c’est un début d’exécution d’un contrat. Je dis non, il n’est pas question ! Et j’ai dit au port, s’il y a un douanier qui laisse sortir ne serait-ce qu’un seul cahier sur ce qu’il y a là, automatiquement je le fais arrêter. Ils ont donc bloqué les marchandises de COVACS, dans un magasin au port de Cotonou et c’est COVACS qui payait les frais et tout le reste, ce qu’il voulait éviter en France. On a donc commencé par dire aux gens « est-ce que tu es au courant de l’affaire COVACS ? Il paraît qu’il y a une question d’argent dedans, une question de ceci ou de cela ! » De telle sorte que nous avons envenimé nous-mêmes exprès, l’opinion de Cotonou. Des tracts, on en a faits nous-mêmes pour distribuer et pour dire « l’affaire COVACS », sans rien préciser du tout et ça a permis donc à Kérékou d’avoir l’alibi. Quand Kérékou était prêt, une nuit il est venu chez moi vers deux heures du matin. Avec d’autres officiers, ils étaient en treillis. Ils ont réveillé ma femme. On a préparé la pintade grillée. Ils ont mangé avec les Owens et tout et c’est là où il me dit « nous, on est prêts ». Je dis moi aussi je suis prêt. « Puisque l’opinion est en train de parler de l’affaire COVACS, vous pouvez maintenant aller. Mais attention, ne faites pas votre coup le 26 Octobre. Parce que Pompidou fait une tournée dans les pays du conseil de l’entente, il sera au Niger et du Niger il viendra ici. Alors si on fait ça ce jour-là, la France va penser que c’est dirigé contre elle. Attendez son départ ». Pendant que Kérékou, Baba Moussa et moi, on était en train de concocter ce coup d’Etat, moi je ne savais pas que le Président Ahomadégbé a appris. Et il a appelé Assogba, Alladayè et Aïkpé, les «3A» et il leur dit : « les «kaï kaï» veulent me renverser pour remettre Maga en place. Il faut les prendre de vitesse. Il leur a dit, c’est très simple, ils veulent faire un coup d’Etat, nous, nous allons faire le nôtre, mais ce sera un coup d’Etat de Palais. Vous viendrez au Palais, vous allez nous prendre et vous allez dire c’est un coup d’Etat de Palais, ce n’est pas un coup d’Etat. Tout simplement ce que vous voulez, c’est que Maga sorte, puisqu’il a fini ses deux ans, qu’il quitte le conseil présidentiel. Apithy dont le tour n’est pas encore arrivé, qu’il quitte aussi le conseil présidentiel, et qu’il attende que son tour arrive. Qu’on laisse Ahomadégbé seul diriger pendant deux ans le conseil présidentiel. Vous direz donc que c’est un remaniement intérieur, puisque c’est vous les militaires qui nous avez installés, vous pouvez venir nous remanier ». Et ceux-là ont donné leur accord. Deux coups d’Etat se préparaient donc parallèlement mais Kérékou était dans les deux coups ! Ce que nous on décidait, les Aïkpé étaient au courant ! Nous, on ne savait pas ! On croyait qu’on était les seuls. Et voilà pourquoi le 25 octobre, nous étions en réunion chez le Président Maga avec Baba Moussa et d’autres ministres, quand vers minuit, quelqu’un téléphone à Baba moussa et Baba moussa m’appelle pour me dire qu’il a appris que les commandos de Ouidah demain viendront faire un coup d’Etat. Je dis « mais demain le 26, ce n’est pas possible !, Pompidou est là ! » Il a dit que c’est ce qu’il a appris. On est alors partis chez Kérékou, on a rien dit au Président Maga. Il a demandé ce qui se passait. On lui a dit qu’il n’y avait rien. On est allé réveiller Kérékou. On lui a dit que voilà le coup de fil que Baba Moussa vient de recevoir. Il dit « ah bon ! Ils veulent faire un coup d’Etat sans moi ! Laissez-les venir, je les attends ! Allez-y vous coucher, laissez-les venir ! » On est allé, on s’est couché tranquillement et le lendemain, 26 octobre, on était en conseil des ministres quand ils sont venus. Mais alors, ce qui est symptomatique de la situation, c’est que Ahomadégbé, depuis qu’il est président, quand il est 12h, 13h, qu’on ait fini les dossiers ou pas, il lève la séance. Mais ce jour 26 Octobre-là, on a fini à 12h, il a relancé les débats. On a fini à 13 h, il a relancé jusqu’à 14h, nous avons commencé par nous regarder. Et tout ça là parce que le Président Ahomadégbé attendait qu’on vienne nous ramasser. Et effectivement, à un moment donné, on entend « Gboaaaa… ». Les Charres sont rentrés. Le Président Maga qui était assis et qui voyait les charres entrer criait « mais qu’est-ce qu’il y a ! Qu’est-ce qu’il y a ! …..Président Ahomadégbé, fais quelque chose. C’est toi le Président ! ». Le président Ahomadégbé est resté assis. Il n’a rien dit. Il regardait les charres venir. Les charres sont rentrés. Le conseil des ministres a été envahi par les militaires armés. Donc, on nous a dit de ne pas bouger. On était là, jusqu’à 18h sans entendre la proclamation. Donc, jusque là, Ahomadégbé était assis. Nous on bougeait en conseil des ministres, on nous a apporté à manger, on mangeait mais lui, il était assis. Il n’a pas bougé. On attendait qui va lire la proclamation. Parce que, moi je me disais intérieurement « si c’est le coup avec Kérékou, alors c’est nous qui avons gagné ! Moi j’espérais ! ». Ahomadégbé lui aussi, il espérait, parce que c’était Alladayè qui devait lire la proclamation du coup d’Ahomadégbé ! Et puis, vers 18h moins quelque chose, l’aide de camp du Président Ahomadégbé sort et il revient lui remettre son étui à lunettes. C’est Kèkè qui était assis à côté de moi; Kèkè m’a dit : « il doit y avoir quelque chose ». Ahomadégbé a ouvert son étui, il a enlevé un petit mot, il a lu le petit mot. On le regardait Kèkè et moi, et dès que le Président Ahomadégbé, paix à son âme, a lu le mot, nous ne savions pas ce qui a été écrit dessus, mais le Président Ahomadégbé s’est mis à transpirer; tous ses habits étaient mouillés comme si on lui avait versé de l’eau dessus. Automatiquement le Président Maga a crié pour dire : « mais Justin ! Qu’est-ce que tu as ! Dis-nous qu’est-ce que tu as ! ……. ». On s’est tous affolé dans le conseil des ministres. Pourquoi il transpire comme ça? Il n’a rien répondu mais il transpirait à grosses gouttes. Kèkè qui avait son poste radio; et qui s’était retiré dans un coin a écouté et il m’a fait signe. Je suis venu et il m’a fait écouter, c’était la voix de Kérékou qu’on entendait qui lisait la proclamation. Donc Ahomadégbé a conclu que c’est le coup de Maga qui a réussi. Alors qu’il ne savait pas que et lui, et nous, avons tous perdu. Voilà comment à 1h du matin, nous tous on est venu nous ramasser. On nous a envoyés en taule. Certains sont restés 8 ans, 9 ans, 10 ans, moi je suis resté 10 ans. Voilà ! Mais c’était « le dossier COVACS », un montage politique pour donner un alibi aux militaires pour renverser le conseil présidentiel et éviter que Ahomadégbé n’exécute Kouandété et qu’une guerre civile ne s’en suive »… Pascal Chabi Kao |
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