Mon cher Pancrace, cette intégrité dont je parle se ressent aussi dans la misère de nos villes, surtout lorsqu’elles sont hantées par le spectre du régionalisme qui est l’essence de la philosophie politique de Monsieur Yayi Boni
La misère de nos villes qui arborent des noms mais dont la réalité à laquelle ces noms renvoient est quasi indéterminée, impalpable, fugitive voire inconsistante. Adjarra et Sakété que j'ai tour à tour visitées m'ont donné l'occasion de faire le constat de cette triste réalité. Adjarra est sur un embranchement de la route qui, de Porto-Novo, mène vers le département du Plateau. Elle n’échappe pourtant pas au modèle classique de nos villes, bourgs, faubourgs ou villages qui se réduisent à une petite animation marchande le long d'un tronçon de la nationale ou de la départementale ; en dehors de ces dizaines de mètres où les villes s'ébrouent, quelques rues terreuses débouchant sur des ruelles et des sentiers broussailleux mènent à des masures poussiéreuses devant lesquelles les femmes, debout derrière des étals de marchandises diverses, attendent désabusées l'arrivée de clients improbables, dans une ambiance où, à chaque pas, chacun est à la fois client et vendeur, acheteur et marchand. Beaucoup d'hommes et de vieillards assis devant ces demeures sombres et décharnées, attendent on ne sait quoi, l'air résigné. C'est ainsi que m'est apparue hier la ville de Sakété. De cette ville pourtant, l'imagination avait pu faire un écrin de légendes animées par des personnages, des institutions et des images haut en couleur. Au lieu de quoi, nous tombâmes, un jour qui n'était pas celui du marché, sur quelques gamins qui n’étaient même pas capables de nous dire où nous pouvions trouver à acheter des tambours à tension variable (gangan) dont la quête méthodique nous avait conduits, Béatrice et moi dans cette ville de l’Ouémé-Plateau, de culture yoruba. Mais, de ce yoruba fortement métissé, espace de confluence entre les populations ouémé et celles venues des contrées yoruba plus à l’est. De sorte que, les habitants —comme la commune de Takon en est l'expression la plus étonnante —du plus petit au plus âgé, se mouvaient avec facilité dans la langue yoruba et les divers parlers ouémé, comme si ces deux catégories idiomatiques, ailleurs opposées, formaient pour eux une indistincte unité. Avant Sakété, nous étions d'abord partis à Adjarra en quête de quelques instruments de musique traditionnelle. La ville qui ne faisait illusion que les jours de marché nous a paru dans son indigence désertique de quelques boutiques ou d'étals alignés le long d'une portion de la route principale qui la traverse vers Avrankou. Par acquit de conscience, des contrées comme Adjarra dont les noms sont montés en épingle par les hommes politiques en raison sans doute de leur histoire passée, exhibent dans une atmosphère poussiéreuse leur carré républicain symbolisé par l'école élémentaire, le collège, le dispensaire et la mairie. Voilà tout, circulez, il n’y a plus rien d’officiel à voir ! Dans le cas d'Adjarra, la mosquée ancienne, édifice qui dans cette agglomération aux habitations en terre de barre et aux toits de tôles rouillées ou de chaume, était l'une des plus imposantes, a, on ne sait par quel miracle sociologique, fait l'objet d'un dédoublement par une nouvelle mosquée plus petite, construite quelques mètres plus loin sur le même alignement. L'apparition de la nouvelle mosquée pallierait-elle aux insuffisances de l'ancienne devenue exigüe malgré sa taille imposante ? Ou, est-ce l'expression d'une fantaisie politique du nouveau maire, un certain Saka Yaya dont le nom ne fait pas mystère de la confession musulmane et qui, installé par trahison dans ce bourg typique de l’Ouémé, fief naturel des Goun, grâce à l'activisme régionaliste du pouvoir actuel, à travers ce renfort apporté à la bonne santé du culte islamique, avait pour mission de relever, serait-on tenté d’affirmer, sinon la prépondérance des Yoruba auxquels on identifie cette religion, du moins l'affirmation politique incontournable de ceux-ci. Ce qui participe d’une constante idéologique du régime de Yayi, qui à chaque fois impose une vision régionaliste factice et injuste de l’ordre des choses.
À Adjarra où nous fûmes, les prix des instruments de musique traditionnelle avaient flambé, de façon fantaisiste —sans doute rançon de l'image de touristes venus des pays les Blancs qui nous précédait. Raison pour laquelle, j'avais fui en direction de Sakété, pays plus directement yoruba où j'étais sûr de trouver au moins le gangan. Juste pour entendre le premier garçon de cette ville à qui je m'adressai, demander à son camarade «ilou gangan ô man tâ ni ? » (Le tam-tam gangan cela se vend-il ?). Et, en fin de compte, une femme auprès de qui les jeunes garçons s'étaient renseignés nous renvoya vers le même Adjarra d'où nous venions, tenu pour le lieu profane où l’on pouvait se permettre de vendre ces instruments qui chez eux étaient perçus comme sacrés.
A suivre…
Binason Avèkes
Part 3
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