Chez Béa donc, entre deux actes des mille et une figures de sa charmante hospitalité, zappant au hasard d’un bouquet satellite, j’eus l’occasion de tomber sur une chaîne camerounaise où se déroulait un débat sur je ne sais quel sujet. Il est vrai que là comme ailleurs, — tu connais mon credo — le désordre aliéné consubstantiel à l'ordre des choses en Afrique m’amène souvent à jeter sur les programmes — de radio, télévision, journaux —un regard plus de forme que de fond où, loin de ce qui est immédiatement donné à voir ou à vivre, je me plais à mesurer les déviances naturalisées par rapport à une norme d'autonomie dont l'ombre de l'idée n'est même pas effleurée, et à laquelle presque partout et presque tout le monde préfère l'atmosphère de joyeuse inconscience qui fait rage sur le continent. C'est ainsi que, accordant peu d'importance au sujet du débat, je me plus à observer la manière dont les intervenants parlaient le français, cette tendance particulière aux Camerounais à exhiber une compétence prétendument parisienne dans leur parler, nonobstant la charge d’idiosyncrasie repérable au premier coup, cette façon qu'ils ont de jouer les « plus Parisien que moi tu meurs » malgré leur lourd accent camerounais ; la diversité des opinions dans un pays dirigé d'une main de fer par un autocrate libidineux, kleptotocrate paresseux, baron respecté de la Françafrique, qui passe le plus clair de son temps en Suisse à dilapider sa fortune colossale acquise en toute illégalité. Le jeu des échanges, sa façon d'alterner les interventions dans une diversité apparente avait jusque dans son orthodoxie professionnelle quelque chose d'ennuyeux. Jusqu'au moment où apparut un monsieur dont la manière de s'exprimer, appuyée par de forts gestes mimétiques, trahissait quelque chose qui m'apparaissait primaire, de ce primaire qui, comme l'insinuait récemment un écrivain béninois dans un article sur les velléités de pérennisation au pouvoir de M. Yayi Boni à propos du député Rachid Gbadamassi, chantre crapuleux de cette hérésie anticonstitutionnelle, ce primaire qui, dis-je, allait de pair avec un français qui, pour reprendre la vision très françafricaine de cet écrivain, serait « approximatif ». (Ah, mais un député béninois est-il né pour parler français ! ) Mais, par la suite, l'homme à l'instruction présumée approximative, se révéla un débatteur percutant, au discours fortement idéologique avec des relents révolutionnaires, regorgeant de la colère des minorités marginalisées qui menacent le pouvoir scélérat de révolution. L'homme vitupérait contre la France et sa mainmise sur l'Afrique, et promettait d'y mettre fin. À première vue, pour le croisé de la vigilance africaine que j'étais, le discours avait quelque chose de séduisant ; il m'emplissait de satisfaction de voir que dans le laisser-aller général presque infantile qui caractérise l'Afrique, il y avait des consciences ardentes, décidées à redresser la barre et à redonner à notre continent toute sa dignité pour la préservation de ses biens de la convoitise pluriséculaire des Blancs occidentaux, capitalistes et criminels en cheville avec leurs valets locaux, ces grands enfants cruels. Mais par le retour de la réflexion, j’eus comme l'intuition que ce monsieur révolté n'était peut-être qu'un leurre posé là comme un paratonnerre pour capter la révolte des consciences en lutte, la désamorcer.
A suivre…
Binason Avèkes
Part 2
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