Ou le changement selon Tanizaki (谷崎 潤一郎) .
Maintenant chez nous au Bénin le thème du changement est à l’honneur. Le régime actuel le revendique, et pour cause : le pacte inaugural qui le lie au peuple, et qui s’est traduit en un raz-de-marée électoral, est basé sur la promesse du changement. Les Béninois veulent le changement et dans leur écrasante majorité ont élu l’homme du changement. Mais, paradoxe apparent, ce même changement est aussi revendiqué par le vaincu. Même s’il est vrai que d’une part, en terme de disposition éthique et pratique à réaliser ce vœu politique, le peuple a su sans hésiter séparer le bon grain de l’ivraie, et d’autre part il est bien connu que le succès attire après coup des revendications. Beat them or join them, dit la sagesse...
Mais dans l’esprit du peuple, et dans la manière dont le Gouvernement sur sa lancée électorale entend donner du sens, du contenu à ce qui n’était qu’un son, un slogan, il faut dire que le mot ne recouvre pas tout à fait la chose. Non seulement parce que définissant la chose le mot reste au-delà de celle-ci, mais aussi parce que, aussi spectaculaire qu’ait été l’alternance démocratique qui porte le changement, et peut-être en raison de ce caractère, nul n’a cru devoir en donner une définition précise. Par rapport à ce que voulait le peuple, il n’y avait pas photo. Dans l’esprit du gouvernement actuel, dans sa volonté, il s’agit de changer les pratiques de gestion et du rapport à la gestion de la chose publique, de concevoir un cadre efficace de production de la richesse et de jeter les bases éthiques de sa redistribution, avec une répercussion immédiate sur les conditions de vie des plus nécessiteux. Tout le monde connaît le climat délétère de concussion, de prévarication et de corruption qui était l’âme politique du régime précédent. Dans la misère chronique de masse qui ne cessait de s’étendre, la kleptomanie insolente et l’enrichissement illicite d’une minorité aux dépens de la collectivité étaient un motif de profonde frustration et de révolte. Dans ces conditions, apporter le changement c’est mettre fin à ce climat et lui substituer une politique de bonne gestion et de respect du bien public. Mais la croyance populaire d’un lien mécanique entre prospérité et éradication de la corruption est une idée simple, un malentendu entretenu dans l’esprit du Peuple. Le changement se donnant comme chose sous les dehors actifs d’un Président soucieux de tenir sa promesse et d’un gouvernement entreprenant, et quelque espoir qu’on puisse en attendre, rien n’oblige à abdiquer le droit intellectuel de s’interroger sur le mot lui-même. Au-delà de l’évidence de son illustration, le changement est un thème passionnant de réflexion. Il intéresse maints domaines de la pensée : social, politique, économique, physique, littéraire et philosophique pour ne citer que ceux-là. Dans le domaine de la littérature, on le sait, les œuvres donnent lieu souvent à des interprétations contrastées. Ainsi en est-il de l’œuvre célèbre, Eloge de l’Ombre, du non moins célèbre écrivain japonais, Junichirô Tanizaki. Cette œuvre, qu’il faut avoir lue absolument, est un petit essai d’une cinquantaine de pages, écrite au fil de l’eau à la manière japonaise, c’est-à-dire empirique et tissée d’anecdotes et d’exemples sans aucune prétention de généralité. Pour les Occidentaux, Eloge de l’Ombre, ou In Praise of Shadows[1] pour les Américains, est un traité d’esthétique qui peut fasciner ou choquer par ce qu’elle énonce et illustre un paradigme opposé au fondement de l’art en Occident. Evidemment, on ne passe pas en pertes et profits ni le contexte ni l’intention politique sous-jacente de l’auteur, et le dispositif sémantique là-dessus est assez clair pour ne pas les passer sous silence. La thématique du face à face de deux civilisations, la question de l’entrée dans la modernité et ses déchirements ontologiques et identitaires sont bien sûr reconnues dans cette œuvre. Mais à aucun moment l’interrogation légitime sur les mutations, le mode d’emploi pour un changement sain que proposait Junichirô Tanizaki dans Eloge de l’Ombre, en somme l’art de changer tout en restant soi-même qui fait la force actuelle du Japon n’a été reconnu à sa juste valeur. Rien d’étonnant à cela, le propre des œuvres n’est-ce pas de leur faire dire ce qui en elles nous tient à cœur et nous touche directement ? Si les Occidentaux ont compris le propos de l’écrivain japonais comme essentiellement esthétique et accessoirement politique, moi-même qui vous parle en tant que Béninois, je n’étais pas en reste. Je n’en veux pour preuve que le seul extrait qui me vienne à l’esprit après ma première lecture de la traduction anglaise, In Praise of Shadows, que m’avait offerte une amie américaine qui, quoique blanche, était très à cheval sur la question noire.
Il faut dire que, fraîchement débarqué en Europe, et recevant en pleine figure le rejet du Noir sous ses formes multiples, -- rejet contre les effets duquel le temps nous immunise au point de les faire disparaître à nos yeux !-- à la recherche d’un réconfort à travers une voix neutre, ces propos n’ont pas laissé indifférent le jeune homme de 25 ans, passionné de littérature et épris de justice que j’étais. Il y a 20 ans, dans le feu et la suite de ma première lecture d’Eloge de l’Ombre, sans être aveugle à l’esthétique mais prenant l’exact contre-pied de la critique occidentale qui n’y voyait que le livre de chevet des artistes et architectes, moi j’y voyais la politique et surtout l’Eloge du Noir… A l’instar de nombre de congénères de bonne foi, je croyais en cette idée simple de l’existence d’une unité de destin des peuples non-européens, sous le rapport de la colonisation ou de l’influence politique. C’est bien plus tard que l’idée d’une lecture d’Eloge de l’Ombre comme une réflexion philosophique sur le changement fera son chemin dans mon esprit. Mais alors me dira-t-on à juste raison qui donc est cet écrivain japonais que je tente de faire accommoder à la sauce béninoise du changement ? Jun'ichirō Tanizaki (谷崎 潤一郎, 24 juillet 1886, Tōkyō, Japon - 30 juillet 1965, Tōkyō, Japon) est un écrivain japonais, auteur de très nombreux romans. Son premier roman le Tatouage le lance dans une intense activité littéraire. ses principales oeuvres sont: La clef, (adapté cinq fois au cinéma), Les Sœurs Makioka, Le Goût des Orties et Eloge de l'Ombre. Il a vécu sous le règne de trois empereurs différents en s'impliquant peu dans la vie politique de son pays. Son grand roman Les Sœurs Makioka sera censuré par les autorités gouvernementales, parce que la guerre y est passée sous silence. Le roman recevra le Prix Impérial en 1949. Son activité d'écrivain l'a amené à élaborer une œuvre très personnelle tout en restant attaché à la grande tradition littéraire japonaise. Sa vie personnelle a été à tout le moins aussi scandaleuse que certains de ses romans, notamment avec "L'incident d'Odawara": marié très jeune à une jeune geisha provinciale, et voulant divorcer, il convainc son meilleur ami, l'écrivain Haruo Sato, de se marier avec elle. Divorce et mariage seront mentionnés sur une même annonce et publiés dans les journaux dans la localité d'Odawara. Pressenti pour le Prix Nobel, il meurt six mois avant son attribution en 1965. Le prix littéraire qui porte son nom est l'un des plus prestigieux au Japon.
Dans Eloge de l’ombre, le parti-pris de l’esthétique est affirmé par l’auteur lui-même. Mais à mon sens, et mes lectures suivantes m’en apporteront la certitude, le propos fondamental n’est pas l’esthétique mais la réflexion sur l’assimilation de l’autre, la volonté de préserver l’identité dans un contexte de mutation technologique et culturelle. Il y a chez Tanizaki un romantisme ontologique affirmé, qui dans le contexte du monde de l’époque n’avait rien de scandaleux. Certes, l’exaspération du romantisme ontologique va connaître une fortune politique douteuse et dégénérer dans les surenchères nationalistes dont les conséquences catastrophiques marqueront le 20ème siècle. Mais pour autant, toute collectivité, quelle qu’elle soit et quel que soit le nom qu’on lui donne – société, nation, civilisation – pour s’affirmer doit se saisir en son histoire, son vécu, ses aspirations, ses rites, son espace et son temps, sa volonté d’être. Ce faisant, elle se distingue. En anthropologie, l’hypothèse de l’origine multiple du peuplement humain possède des arguments crédibles, mais l’évolution de l’homme et du monde ne laisse aucun doute quant à l’unité de destination et d’identité du genre humain. Dans la mesure où la technologie détermine les rapports humains, l’image du monde comme village global est de moins en moins une métaphore moderne et de plus en plus une réalité. Du coup, nombre de considérations et de données qui jadis étoffaient la foi charismatique du romantisme ontologique s’estompent sous nos yeux. Pour autant, le nationalisme, la notion d’identité des peuples et des groupes humains gardent toute leur pertinence. Et à certains égards, l’identité est la condition de la volonté et la volonté la condition de l’action. Nous ne pouvons pas faire l’économie de la prise en compte de ce que nous sommes si nous voulons réaliser notre volonté. Il y a donc quelque chose d’insidieux sinon de suborneur dans les discours de dilution de l'identité, notamment au nom d’idéologies prétendument universalistes. Car souvent, l’expérience a montré que les donneurs de leçons en cette matière impalpable et abstraite qu’est l’universalité sont ceux-là mêmes qui en toute conscience impériale tissent la toile de leur propre identité. Les Japonais sont réalistes. Et c’est un regard réaliste que Tanizaki pose sur la question de la mutation technologique et au-delà de l’influence culturelle de l’Occident telle qu’elle se posait au détour de la révolution de Meiji. Conformément à un tropisme historique qui a marqué la vie des Japonais pendant des siècles, c’est presque en terme isolationniste que Tanizaki aborde le problème de l’acculturation. « Et pourtant, dit-il avec conviction, si l’Orient et l’Occident avaient chacun de son côté et indépendamment, élaboré des civilisations scientifiques distinctes, que seraient les formes de notre société et à quel point seraient-elles différentes de ce qu’elles sont ? » A cette question basée sur une hypothèse, l’auteur apporte lui-même une réponse partielle : « Pour les découvertes d’ordre pratique toutefois si nous avions suivi des directions originales, les répercussions en eussent été sans aucun doute considérables sur la façon de nous vêtir, de nous nourrir et de nous loger, ce qui va de soi mais aussi sur les structures politiques, religieuses, artistiques et économiques ; et l’on peut imaginer, l’Orient étant ce qu’il est, que nous eussions trouvé des solutions radicalement autres » Sur sa lancée, Tanizaki n’hésite pas à faire incursion dans le domaine scientifique : « Supposons par exemple que nous ayons développé une physique et une chimie qui nous fussent propres ; les techniques, les industries fondées sur ces sciences auraient évidemment suivi des voies différentes plus conformes à notre génie national » ! « Génie national », voilà le concept clef du romantisme ontologique qui inspire Eloge de l’ombre. En clair, voici ce que dit Tanizaki : nous les Japonais nous sommes en train d’imiter l’Occident ; la sensibilité de notre peuple valorise l’ombre qui est au cœur de notre esthétique et de notre histoire, or nos modèles réprouvent et méprisent l’ombre et tout ce qui y ressemble de loin ou de près ; dans ces conditions, allons-nous les imiter aveuglément sans l’ombre d’aucune réflexion ?
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La question est d’autant plus cruciale que pour Tanizaki, tout changement social a un caractère systémique parce que l’édifice national forme un tout. L’abandon du bol en laque noir contenant traditionnel de la soupe de miso, pour la porcelaine blanche est la conséquence logique de l’adoption de l’éclairage électrique. Des aspects différents du changement sont liés. Et c’est sur cette subtile articulation que l’auteur d'Eloge de l’ombre veut attirer l’attention de ses concitoyens et, au-delà, celle du lecteur. « Eh bien supposons que l’inventeur du stylo ait été un Japonais ou un Chinois d’autrefois, il est bien évident qu’il l’aurait muni, non point d’une plume métallique, mais d’un pinceau. Et ce serait non pas une encre bleue, mais quelque liquide analogue à l’encre de Chine qu’il se serait ingénié à faire descendre du réservoir jusqu’aux poils du pinceau. Par voie de conséquence, les papiers de style occidental ne convenant pas à l’usage du pinceau, il eût fallu pour répondre à la demande accrue, produire en quantité industrielle un papier analogue au papier japonais. Et si le papier, l’encre de Chine et le pinceau s’étaient développés dans cette voie, (…) notre pensée et notre littérature elles-mêmes n’auraient pas imité aussi servilement l’Occident et qui sait ? peut-être nous serions acheminés vers un monde nouveau tout à fait original… Par ces réflexions, j’ai voulu montrer que la forme même d’un outil d’apparence insignifiante pouvait avoir des répercussions presque à l’infini… » Fidèle au réalisme positiviste cher à l’esprit japonais, Tanizaki est conscient de la situation ontologique des Japonais. Cette conscience est le fondement même du regard qu’il jette sur la Révolution Meiji, le face à face vertigineux de deux civilisations irréductibles l’une à l’autre, et la déchirante mutation qu’elle entraîne. Pour Tanizaki, l’irréductibilité des identités culturelles ne fait aucun doute. Saisie dans le lieu privilégié de son intimité, l’esthétique, cette irréductibilité des identités confine à leur incommensurabilité. A travers maints exemples, Tanizaki semble tracer une ligne de démarcation entre l’Occident et l’Orient : « Ce sont les Chinois encore qui apprécient cette pierre qu’on appelle le jade : ne fallait-il pas, en effet, être Extrême-Orientaux comme nous-mêmes pour trouver un attrait à ces blocs de pierre, étrangement troubles, qui emprisonnent dans les tréfonds de leur masse des lueurs fuyantes et paresseuses, comme si en eux s’était coagulé un air plusieurs fois centenaire ? » « Non point que nous ayons une prévention a priori contre tout ce qui brille, mais, à un éclat superficiel et glacé, nous avons toujours préféré les reflets profonds, un peu voilés ; soit, dans les pierres naturelles aussi bien que dans les matières artificielles, ce brillant légèrement altéré qui évoque irrésistiblement les effets du temps » « Contrairement aux Occidentaux qui s’efforcent d’éliminer radicalement ce qui ressemble à une souillure, les Extrême-Orientaux la conservent précieusement, et telle quelle, pour en faire un ingrédient du beau » Et comme pour emporter la conviction, en véritable magicien de l’ombre Tanizaki passe des faits aux effets : « Un coffret, un plateau de table basse, une étagère de laque brillante à dessein de poudre d’or, peuvent paraître tapageurs, criards, voire vulgaires ; mais faites une expérience : plongez l’espace qui les entoure dans une noire obscurité, puis substituez à la lumière solaire ou électrique, la lumière d’une unique lampe à huile ou d’une chandelle, et vous verrez aussitôt ces objets tapageurs prendre de la profondeur, de la sobriété et de la densité » « Le bol de laque au contraire, lorsque vous le découvrez vous donne, jusqu’à ce que vous le portiez à la bouche, le plaisir de contempler, dans ses profondeurs obscures, un liquide dont la couleur se distingue à peine de celle du contenant et qui stagne, silencieux, dans le fond. Impossible de discerner la nature de ce qui se trouve dans les ténèbres du bol, mais votre main perçoit une lente oscillation fluide, une légère exsudation qui recouvre les bords du bol, vous apprend qu’une vapeur s’en dégage, , et le parfum que véhicule cette vapeur vous offre un subtile avant-goût de la saveur du liquide, avant que vous en remplissiez votre bouche » Au-delà de la magie saisissante des ombres, au-delà du romantisme ontologique d'Eloge de l’ombre, et sa résonance essentialiste, Tanizaki avance l’idée pertinente selon laquelle l’assimilation des technologies « d’emprunt », en elle-même, n’est pas seulement un acte inconscient d’acculturation mais impose une logique intégrale de conformité exogène, dans leur adoption et usage. Assimilation sans conscience n’est que ruine de l’âme semble nous dire Tanizaki. Et si la modernisation du Japon se présente aujourd’hui sous l’aspect d’un équilibre original entre préservation de l’identité et ouverture au monde, entre tradition et modernité c’est sans doute que le propos de Tanizaki n’a pas été vain. Alors donc, après une leçon aussi subtile sur l’art de rester soi-même en toute circonstance, la question qui vient à l’esprit du Béninois épris de changement est celle-ci : que retenir de l’Eloge de l’ombre pour notre bonne gouverne ? D’abord il faut faire remarquer que si le changement de la Révolution Meiji était confronté à un simple défi, celui de la modernisation, notre changement à nous autres, Africains, Béninois semble confronté à un défi double et complexe : construire le socle de notre identité, et prendre en main notre destin sur le chemin de la prospérité. Ces deux défis doivent être relevés de front. Ce qui suppose qu’au-delà de l’urgence du relèvement économique de notre pays, il faut penser et préparer la dimension éthique du changement. Plus qu’un slogan électoral, plus qu’un leitmotiv de l’action gouvernementale, le changement doit être une pensée structurante de la vie politique, sociale et institutionnelle du pays. Le changement est quelque chose de subtil ; soit il est violent et il s’achève plus ou moins vite par retournement à l’ordre ancien ; soit il est déterminé mais en douceur, gradué, organisé, pensé dans le temps et l’espace, hiérarchisé dans ses priorités et alors il porte ses fruits. La conception systémique du changement selon Tanizaki s’applique aussi à notre changement. En effet il faut savoir ce que l’on veut changer et ce qu’il en coûte de le changer. Par exemple, pendant la Révolution marxiste-léniniste, au nom d’une conception matérialiste de l’homme on avait décidé de supprimer des pratiques religieuses autochtones. Or celles-ci étaient partie intégrante du socle de notre identité. Cette violence symbolique exercée sur la société n’a pas été sans conséquence sur la régression morale et économique du pays. Tout récemment, au nom d’un dogme économique à courte vue, à coup de rodomontades, on a voulu décréter la suppression du jour au lendemain des produits pétroliers de contrebande. L’oukase a tourné à la pantalonnade politique. Dans l’un ou l’autre des cas, on a sous-estimé le caractère systémique du changement. Donc à mon avis, tout changement viable doit être compris de manière systémique sur la base d’une perception holiste des structures sociales. Tanizaki attire notre attention sur ce fait. De même, le changement, à terme, pour ne pas être un coup d’épée dans l’eau, ne pourra pas faire l’économie d’une réflexion approfondie sur le sens, le but et la hiérarchie de ses actions. Au-delà des slogans, au-delà d’une politique de l’urgence, il faut prendre en compte le rapport entre les pratiques et les valeurs pour mieux opérer un changement. C’est sans doute là la lueur la plus étincelante qui nous vient de l’ombre magique de l'oeuvre de Tanizaki. Par Abe Basho
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[1] In Praise of Shadows, Tanizaki, trad. E. G. Seidensticker, T. J. Harper, 1988.
[2] Eloge de l'ombre, Tanizaki, trad. René. Sieffert, Pof, Paris, 1993.
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Modernité et traditions au Japon
LA PERSISTANCE DES TRADITIONS NATIONALES DANS LE JAPON MODERNE (1905)
"Accoutumés à accueillir les choses nouvelles sans sacrifier les anciennes, notre adoption des méthodes occidentales n'a pas aussi grandement affecté la vie nationale qu'on l'a cru. Le même éclectisme qui nous avait fait choisir Bouddha comme guide spirituel, Confucius comme guide moral, nous a fait saluer la science moderne comme le fanal du progrès matériel. Notre adoption de certaines formes de la civilisation occidentale a abouti à un accroissement d'activité industrielle et à l'introduction des sciences, telles que l'hygiène et la chirurgie, tandis que nos moyens de communication et de transport se sont grandement améliorés et que le confort ordinaire de la vie est plus généralement répandu qu'à aucune autre époque. Dans ces conditions, notre développement n'eut guère d'action sur le caractère national que pour le stimuler à de nouveaux efforts.
Il en fut de même pour l'adoption des coutumes politiques et sociales de l'Europe, qui ne nécessitèrent pas, de notre part, un changement aussi profond qu'on eût pu le croire tout d'abord. Notre expérience du passé nous avait appris à ne choisir dans les institutions occidentales que ce qui était en concordance avec notre nature orientaleŠ Celui qui ne se contente pas de l'apparence des choses et les approfondit, peut voir, sous ses atours modernes, battre le coeur du vieux Japon. Notre code civil, qui traduit fidèlement l'esprit de la loi occidentale, a adopté, pour une grande part, les coutumes et les usages de notre passé. Notre constitution, bien qu'elle puisse paraître semblable à beaucoup de constitutions européennes, est fondée sur notre ancien système de gouvernement et trouve son prototype au temps des dieuxŠ
Les vieilles coutumes et les cérémonies sont rétablies et la connaissance de notre ancienne étiquette fait partie de l'éducation d'un gentilhomme, au même titre que jadis, les tendances démocratiques n'aidant qu'à les généraliser davantage. La cérémonie du thé et l'arrangement des fleurs sont redevenues les occupations habituelles de la vie de nos dames japonaises. L'étude de la musique et du drame classique est très répandue, même chez ceux qui ont reçu une éducation européenne. On ignore peut-être que les anciennes fonctions du cérémonial de la Cour sont conservés aujourd'hui sans aucune altération de formes. Un exemple frappant s'en trouve dans le fait que la déclaration de guerre avec la Russie fut annoncée à la déesse Soleil , par un envoyé spécial du Mikado, et qu'une garde impériale fut désignée, pour le service du temple d'Ise, pendant toute la durée des hostilités."
extrait de OKAKURA, Le réveil du Japon, Paris, Payot, 1917, pp.333-337.
Rédigé par : Athanase Assiongbon | 24 septembre 2006 à 14:12