Mon cher pancrace,
Dans notre chat d’hier, j'ai très clairement dit que tant qu'on n'aura pas apaisé l'esprit de l'ancêtre de Dangnivo, le Bénin ira de crime sordide en meurtre crapuleux. Et j'ai qualifié le meurtre d'assassinat inaugural. En outre je t'ai demandé de bien réfléchir au sens profond de mes propos. Aujourd'hui, après mûre réflexion, me dis-tu, tu n'es pas plus avancé qu'hier, et tu me demandes : « qui est cet ancêtre de Dangnivo auquel je fais allusion et en quoi l’apaisement de son esprit peut-il éviter au Bénin d'être le théâtre de crimes aussi odieux que ceux qui agitent l’opinion depuis plusieurs semaines ? »
Pour répondre à la première question, je dirai que Dangnivo est un haut fonctionnaire de l'État. Quand a-t-il été tué ? Il a disparu ou été tué il y a une quarantaine de jours, soit plus de six mois avant les élections de 2011. Dans quel but a-t-il été assassiné ? Eh bien avant de répondre à cette question permets-moi de faire un rapprochement analogique dans le temps ! Quel haut fonctionnaire de l'État, de préférence originaire du sud, aurait été assassiné de façon barbare à moins d'un an des élections de 2006 ? La réponse à cette question est évidente : il s'agit du juge COOVI. Et ce pauvre juge COOVI qui a été tué de façon sauvage quelques mois avant les élections de 2006 qu'un certain Yayi Boni gagnera haut les mains, c’est lui qui est justement l'ancêtre de Dangnivo. Non seulement parce que, comme cela se voit, les deux victimes entretiennent une frappante analogie dans leur sort, mais aussi parce que si les assassins du juge COOVI avaient été trouvés et châtiés comme cela se doit, si la pédagogie du refus de la barbarie avait été faite par un régime qui se disait du changement ; si les auteurs du meurtre du juge COOVI ne s'étaient pas égaillés dans la nature, et au contraire avait pu s'inquiéter de la volonté du nouveau régime de leur faire rendre gorge, nous n'en serions pas à déplorer aujourd'hui le meurtre crapuleux et inhumain de notre compatriote Dangnivo.
Cette explication intermédiaire et préalable ayant été faite, mon cher Pancrace, il importe de savoir le mobile du meurtre de Dangnivo. Pour ce faire il ne suffit pas de dire que son meurtre entretient un rapport d'analogie avec celui du juge COOVI commis il y a de cela cinq ans ; il faut en tirer toutes les conséquences. En effet si politiquement les deux meurtres se ressemblent comme deux gouttes d’eau, leur fonction est aussi la même. À quoi a servi expressément le meurtre du juge COOVI en 2005 ? Eh bien ce meurtre dont l'accusé tout trouvé avait été le maire de Parakou, Rachid, Gbadamassi, n'avait eu pour but que d'éliminer celui-ci de l'espace politique à la veille des élections présidentielles. Localement, cette élimination à créé un effet d'aubaine pour un certain candidat qui a pu alors réussir sa stratégie de mainmise régionale sans laquelle son émergence nationale n'aurait pas été possible.
Donc, mon cher Pancrace, pour résumer, on peut dire que ce type de meurtre est un meurtre inaugural dont la fonction consiste à éliminer l'adversaire ou l'obstacle politique imminent. Il est aussi un meurtre rituel et ce à double titre. Il est rituel comme tout meurtre inaugural qui a un caractère d'holocauste. Mais il est aussi rituel parce que depuis la nouvelle ère post-Kérékou, placée prétendument sous le signe du changement, tout se passe comme si l'assassinat de hauts fonctionnaires de l'État était devenu un incontournable des choses de l'ombre qui précèdent les élections au Bénin. Et, en ce qu'il est un rituel de cette nature, l'ordonnateur du meurtre de Dangnivo est le même que celui qui a commandité l’assassinat du juge COOVI.
Sous la fonction se cache l’usage dit-on. Selon l'interprétation et les appréhensions populaires, l'usage exprès de l'assassinat de Dangnivo consisterait d'une part à semer la zizanie au sein de l'UN et surtout à en faire porter le chapeau à son candidat unique après avoir subrepticement fourgué le cadavre de la victime dans l'une de ses propriétés. Comme en 2005 où l’accusation évidente du coupable tout indiqué a conduit à son élimination de l'espace électoral, si le montage grossier avait réussi, le pouvoir et son chef n'auraient pas hésité à procéder à l'arrestation de Me Adrien Houngbédji. Sans avoir froid aux yeux, le pouvoir aurait perfidement enfermé son opposant numéro un dans une tourmente judiciaire kafkaïenne dont le résultat immédiat eût été son élimination de la course présidentielle. Cette hypothèse basée sur l'élimination judiciaire ou carcérale de l'adversaire est d'autant plus plausible sinon dans ses prémices du moins dans ses conséquences qu'elle est cohérente avec l'habitude bien connue de Yayi Boni a utiliser la prison pour se débarrasser de ses adversaires du Sud : les cas encore frais dans les mémoires de Séfou Fagbohoun, Clément Gnonlonfou et surtout de Pierre-Simon prouvent si besoin est la tendance de Yayi Boni à spéculer sur la haine de soi fratricide des gens du sud, et sa capacité à résoudre l’équation électorale qui se profile en 2011 par l’élimination carcérale et judiciaire de son plus redoutable adversaire. Ce soupçon loin de relever du délire associatif à l’état pur tire sa validité de la personnalité de Yayi Boni. Son caractère autoritaire et sa petite carrière d’aspirant dictateur le poussent à s’inventer des prétextes artificiels pour commettre ses forfaits et injustices. Il y a quelque chose d’archimédien dans la psychologie de Yayi Boni. Donne-lui un point d’appui aussi imaginaire et farfelu soit-il, dut-il relever d’un montage grossier, il n’hésitera pas à s’en saisir pour perpétrer ses insanités morales les plus immondes. Regarde un peu, mon cher ami, les arrestations des Simon Pierre et autre Clément Gnonlonfoun, et tu sauras que Yayi Boni ne recule devant aucune absurdité et aucune mesquinerie, aucune loufoquerie pour réaliser ses buts les plus obscurs, prendre ses vessies les plus idiotes pour des lanternes. Et pour assurer la vraisemblance masturbatoire de son cinéma, il compte sur le tintouin et le tohu-bohu de sa machine à propagande dont la perfidie et le zèle emberlificoteur le disputent au mépris de la vérité et de l’équité démocratique. D’où le fait que la version populaire de l’usage express du meurtre de Dangnivo doit être prise très au sérieux. Et ce n’est pas pour rien que, comme tu me le dis dans ta lettre, l’alerte était maximale hier à Porto-Novo comme à Cotonou aux alentours des domiciles du président Houngbédji. Population, Police municipale, Zangbéto, aucune mesure, me dit-tu n’a été jugée insignifiante par les militants et sympathisants du candidat unique de l’Union fait la Nation pour monter la garde au domicile de Me Adrien Houngbédji. Dans les gesticulations médiatiques de ses sbires patentés, toute une allégorie de propos, de faits, et d’actes corroborent l’idée d’un complot monstrueux ourdi par le pouvoir pour éliminer son adversaire unique qu’il a dans l’œil comme une poutre. En effet, n’a-t-on pas commencé d’abord par entendre quelques conseillers du chef de l’Etat ou assimilés évoquer l’éventualité du caractère sacrificiel des disparitions à l’approche des élections, non pas tant pour la banaliser mais histoire d’orienter les regards et de rendre raison du mobile du meurtre ? Puis il y a eu surtout le grossier montage d’enregistrement truqué d’une soi-disant indiscrétion de l’honnorable Ahouanvoébla recueillie par le loubard de service de la mouvance présidentielle, l’inénarrable Rachid Gbadamassi, qui ne rougit pas du tout depuis 5 ans d’être au cœur des intrigues préélectorales les plus criminelles qui agitent la vie politique béninoise. Tout cela pour que lorsque la police aura découvert le cadavre de la victime dans l’une des propriétés de Me Houngbédji, l’accusation qui s’ensuivra puisse revêtir le caractère d’une évidence dont les signes avant-coureurs auront été savamment disséminés dans le champ naïf de la conscience populaire.
Voilà, pourquoi mon cher Pancrace, sans m’éterniser, dans mon propos d'hier que tu qualifiais d'alambiqués, je parlais de l'ancêtre de Dangnivo, celui dont il faut exorciser le meurtre commis cinq ans plus tôt pour libérer notre pays du spectre de la disparition et du meurtre rituel à la veille des élections. Cet ancêtre, comme tu le vois, est à peine une image métaphorique. Quand on y pense bien, il s'agit d'une réalité indéniable ancrée dans les mœurs et pratiques obscures de notre vie sociopolitique. Et sans faire d'insinuations malveillantes quant à la déduction logique qui pourrait amener à attribuer au régime actuel la responsabilité directe de ce crime rituel il y a au moins un biais par lequel sa responsabilité indirecte est établie : c'est le biais politique et éthique. En effet si M. Yayi Boni, depuis 2006 qu’il a pris le pouvoir, avait fait de l'arrestation et du jugement des auteurs du meurtre du juge COOVI sa préoccupation primordiale ; si cette préoccupation avait été animée par un souci éthique de respect de la vie humaine et de l'intégrité physique et morale des personnes, alors sûrement il y a belle lurette que les auteurs de l'assassinat du juge COOVI auraient été démasqués ; belle lurette que leur arrestation, leur jugement et la peine exemplaire qui leur aurait été infligée aurait produit un effet pédagogique d'une grande utilité sociale et morale. Au lieu de quoi l'impunité, la confusion savamment orchestrée, la complaisance et même le mépris par lequel on a traité le meurtre du juge COOVI n'ont servi qu'à ouvrir grandes les portes de la possibilité de réédition d’un crime aussi odieux. Et la victime, cinq ans après s’appelle Dangnivo. Si rien n’est fait pour mettre fin à cette culture satanique qui prospère sous l’ère du changement, il va de soi qu’à l’instar de son ancestralité la descendance de Dangnivo est assurée…
J’espère mon cher Pancrace qu’après toutes ces explications tu ne continueras pas à penser que mon allusion d’hier à l’éventuel ancêtre de Dangnivo était le propos d’un esprit alambiqué. Ce que je ne récuse pas du reste, car l’alambic n’est-il pas aussi le lieu de passage obligé des vapeurs qui par sublimation se condensent en une liqueur savoureuse de pensée et d’amitié ?
A bientôt
Binason Avèkes
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