Mon cher Pancrace, la comparaison entre la France et le Bénin ne se limite pas aux seuls hommes d’affaire, mais dans son aspect aliéné tel que l’exhibent les média, elle met aussi et souvent en jeu les hommes politiques. La presse nationale du Bénin donne volontiers dans une naïve représentation paritariste des rapports diplomatiques —au motif que nous avons affaire, entre la France et le Bénin, à des rapports d'État à État —lorsqu'elle embouche la trompette en écrivant : «Brouille entre Yayi et Hollande ». Est-ce qu'il peut y avoir —et comment peut-on le penser ? —brouille entre l'éléphant et le cobaye au motif qu'ils sont tous des quadrupèdes poilus ? Dans le cas d'espèce, un ravalant la naïve euphorie de l'idée que nous nous faisons de nos dirigeants dans leurs rapports avec leurs soi-disant homologues des grands et vrais pays du monde —pays dont les citoyens sont respectés par leurs dirigeants, et où les choses marchent non pas sur la tête comme chez nous mais sur des roulettes ; où, lorsque le taux de chômage— au demeurant indemnisé—dépasse les 10 %, cela crée un tumulte sociopolitique alors que chez nous c'est plus souvent le taux inverse qui atteint péniblement les 10 % dans l’indifférence du gouvernement ; pays dans lesquels les dirigeants ne bénéficient pas d'un régime d'impunité au sein d'un océan de corruption mais où au contraire, un ancien président peut être gardé à vue et mis en examen pour des crimes dont il est soupçonné ; que dis-je, enterrant cette naïve euphorie, il serait plus conforme à la réalité de dire modestement : « Un sous-secrétaire adjoint de la direction Afrique du Quai d'Orsay a sermonné Yayi Boni ». Tout le monde l'a vu d'ailleurs, lorsque Yayi Boni est allé faire sa soi-disant table ronde en France, ce n'était pas Hollande qui l’y a accueilli ni à son arrivée ni pendant la table ronde ni à son départ ; mais il n’ eu droit qu’au passage éclair d'une secrétaire d'État, juste de quoi lui sauver la face alors même que d'une manière aliénée, il était allé organiser chez autrui et dans le mépris des hommes affaires de son propre pays, une réunion économique et financière que tout dirigeant épris de dignité met un point d'honneur à faire chez soi !
Mon Cher Pancrace,
Comme l'allusion en a été faite plus haut, tout le monde —les médias et les hommes politiques en tête —aime à présenter les rapports entre les Blancs et nous comme égalitaires. Ainsi Yayi Boni, président du Bénin est présenté par les médias complaisants, au titre de l'homologie diplomatique bilatérale, comme étant un pair de François Hollande ou de Obama. Sous-entendu en tant que membre du concert des nations — appartenance sanctionnée par l'ONU —le Bénin et la France, où le Bénin et les États-Unis constituent des paires de nations à égalité. Préférant rester uniquement dans la forme, cette parité complaisante évite soigneusement de questionner les exigences de fond qui structurent toute parité et toute homologie. Pas plus qu'elle ne veuille voir l'anomalie qui conduit l’un des membres de cette relation paritaire à dépendre de l'autre non seulement économiquement mais aussi culturellement et politiquement. Cette dépendance ou cette disparité qui a un caractère historique, je l'ai expérimentée à Cotonou en passant en voiture devant la représentation diplomatique de France au Bénin. Sans compter le centre culturel, le domaine de l'ambassade à proprement parler était d'une telle extension territoriale que mon chauffeur nigérian qui roulait à plus de 60 km/h n'a pas mis moins de 40 secondes pour le dépasser. Ce qui, tous calculs faits, laisse entrevoir une superficie de 2500 m² de domaine qui rivalisait de profondeur avec le Palais de la présidence de la république, depuis la route de l'hôpital jusqu'en bordure de mer. 2500 m² comparés aux 150 ou tout au plus aux 250 mais carrés de l'ambassade du Bénin en France, voici qui en dit long sur la fameuse homologie bilatérale entre ces deux nations et leurs présidents que les médias se plaisent à dépeindre comme des collègues à tu et à toi. Cette préemption territoriale n'est pas sans rappeler la cession controversée et frauduleuse de Cotonou dont les Français prétendaient avoir la jouissance et dont la dénonciation vigoureuse par Béhanzin avait constitué l'un des prétextes causaux de la guerre de conquête coloniale. Mais pour en revenir au temps présent, alors que Yayi Boni entre et sort régulièrement de France comme dans un moulin sans aucun égard officiel de son soi-disant homologue français, est-il pensable d'envisager une visite même éclair de François Hollande au Bénin, qui n'ait pas été présentée comme un événement national de grande envergure, la grande bénédiction diplomatique et pourquoi pas l'affaire du siècle ?
Mon Cher Pancrace,
La réponse à cette question va de soi. Mais la problématique de l’aliénation va au-delà de la comparaison délirante entre nous et les autres. A priori se pose la question de notre rapport à nous-mêmes, à notre liberté ou plus précisément à notre volonté d’autonomie. En effet, ce qui est préoccupant à l'observation de l’élite Africaine en tant que représentant leur société, nation, communauté ou individus, c’est le peu de volonté d'autonomie dont ils font preuve, leur refus soutenu de s'affranchir de l'aliénation politique, mentale, religieuse, culturelle et linguistique du blanc. Le fait qu'ils recherchent à tout moment avec frénésie à reproduire des comportements de dépendance à son égard, comme si l'histoire avait reproduit dans leurs gènes le besoin irrépressible de dépendance vis-à-vis du colonisateur—anglais et surtout français. Dans ces conditions ou une race entière brûle de dépendre et ne rêve que de s'empaler avec joie sur le gibet de l'hétéronomie, comment voulez-vous envisager sa liberté ? Des preuves de l'évidence de cette frénésie d'hétéronomie sont légions dans l'existence sociopolitique, les décisions et les actes politiques de nos nations. Exemple, Boko Haram sévit dans le plus grand pays de l'Afrique de l'Ouest et, au lieu que ce pays et ses voisins se réunissent spontanément en Afrique pour lutter contre le mal, c'est à Paris sur les bords de la Seine qu’ils se transportent pince sans rire dans un désir obscène de laver le linge sale en dehors de la famille. Ce sentiment que les choses sérieuses ne commencent qu'en présence, avec l'aval ou sous le regard paternaliste du Blanc n'est pas propre au Nigéria et à son président, M. Goodluck Ebele Jonathan. Mais, plus d'une fois, on l'a vu en acte chez d'autres de ses collègues, comme avec Yayi Boni qui s'en donne à cœur joie d'aller organiser une table ronde financière à Paris, où il a pris soin d'étaler à la face du monde le peu de cas qu'il fait des hommes d'affaires de son propre pays alors que cette réunion aurait pu se tenir au Bénin à moindre coût et sans doute pour les mêmes résultats. Loin de la politique, comment penser autrement la frénésie et la fureur irréfléchie avec lesquelles, dans les médias audiovisuels et plus précisément à la télévision, les gens usent du français à tout propos alors que rien n'empêche tout locuteur, même institutionnel, de s'exprimer dans sa langue, quitte à ce que celle-ci soit ensuite sous-titrée en français. Ou d’utiliser un système d’écriture idéographique à la chinoise qui permet sinon à tous les Africains, du moins aux citoyens d’une même nation de se comprendre par écrit. Le soupçon que l'exhibition de la compétence illocutoire, grammaticale et lexicographique en français motive au Bénin les rituels ou les actes de prise de parole dans l'espace sociopolitique ou à tout le moins en est indissociable, eh bien, ce soupçon en dit long sur notre état d'aliénation linguistique, culturelle, mentale et symbolique !
A suivre…
Binason Avèkes
Part 5
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