Mon cher Pancrace, Tu expliques, et là-dessus ton raisonnement mérite l'attention, qu'il est très rare que des militaires fassent un coup d'État contre un autre militaire ; même si ATT est considéré et a été élu en tant que président civil. Par ailleurs, pour un homme qui est d'origine militaire, tu restes sceptique quant à la possibilité de se faire renverser par de petits capitaines en un tour de main ; et cela te paraît plutôt étonnant. À l'appui de ces constats tu poses un ensemble de questions qui méritent le détour. Pourquoi ce qui pouvait se justifier comme mutinerie, voire même un coup d'humeur d'une catégorie de l'armée désorientée par la guerre dans le Nord du pays, se transforme-t-il en une entreprise insensée de renversement du régime et d'attentat à la République ? Peut-on comprendre que la démocratie malienne n’était pas assez démocratique pour que des putschistes s'en prennent à elle sans état d'âme ? Quel sens y a-t-il à brutaliser un régime démocratique, certes imparfait, pour le remplacer de force par un régime qui serait plus parfait ? Ce sont des militaires et leurs méthodes de brutes qui vont perfectionner la démocratie ? Quelle est la part de l'histoire des rapports humains des institutions et du peuple dans le perfectionnement continu de la Démocratie ? Qui peut croire que cette approche autoritaire, naïve et absurde de la réalité politique est ce qui sortira l'Afrique des ténèbres ? Quels sont les griefs politiques concrets des putschistes à l'encontre de ATT et de son régime ? Quel est ce coup d'État en demi-teinte où les putschistes ne sont pas parvenus à mettre la main sur le président qu'ils prétendent avoir renversé ? Et celui-ci serait réfugié quelque part à Bamako sans que les soi-disant nouveaux maîtres du pays ne puissent le repérer et le mettre aux arrêts…. Enfin, bien qu'ayant été renversé, l'ancien général, ATT, et ses soi-disant fidèles, ceux qu'on appelle les loyalistes, en dépit des rumeurs de contre-attaque de leur part, restent dans une passivité et un silence pour le moins troublant. À ce trouble, dis-tu, il faut aussi ajouter l'annulation mystérieuse de la rencontre des chefs d’État de la CEDEAO initialement prévue dans la capitale malienne, Bamako. Toutes ces questions et ces faits, dis-tu laissent pantois et là-dessus tu as tout à fait raison. Ils t'amènent à t'en poser d'autres sur la vérité de ce coup d'État absurde qui, selon toi, ne laisse pas d'intriguer. Et si c'était ATT lui-même qui, incapable constitutionnellement de se présenter aux prochaines élections, et pressentant que ce qui se passera après lui n’est pas de son goût, décidait de mettre le pied dans le plat ? Faire casser la baraque par des soldats manipulés, pour apparaître à la fois comme une victime, un innocent, l'homme indispensable à l'unité nationale. Et tu relèves à juste titre qu'à l'instar des manigances de Wade au Sénégal autour de la constitution, cela pourrait donner lieu à une interprétation controversée de son droit à ce représenter aux élections dès lors qu'une nouvelle constitution serait adoptée. |
De ce point de vue, la spécificité apparente de ATT qui voudrait qu'il fût le seul de ces anciens généraux qui en Afrique de l'Ouest ont gouverné, à vouloir quitter le pouvoir tranquillement, laisse un peu songeur. Mais de là à l'expliquer par une théorie du soupçon et de la supercherie me paraît un peu vite aller en besogne. L'hypothèse de la supercherie n'est certes pas à écarter mais il faut ouvrir le débat et rendre raison des conditions dans lesquelles effectivement la transition de régime en Afrique en général et en Afrique de l'Ouest en particulier peut poser des problèmes dans le contexte de ce que nous appelons la démocratie théâtrale, c'est-à-dire une démocratie qui met le peuple hors jeu, une démocratie privée de l'essentiel de ce qui en fait la substance, comme un couteau sans lame ni manche. Eh bien, il faut rappeler effectivement ces conditions avant de porter un jugement ou une conclusion Alors, premièrement ce qu'il faut dire c'est que lorsqu'un président arrive au terme de sa durée constitutionnelle, eh bien, souvent ce sont toutes les possibilités offertes par la constitution qui sont épuisées : on a joui d'un premier mandat, puis d'un deuxième etc. certains tripatouillent la constitution pour se maintenir etc. avec tous les trucages que l'on connaît, les bidouillages, les fraudes, les K.-O. etc. Mais si après qu’il a épuisé toutes les ressources constitutionnelles à sa disposition, on entend dire qu’un président ne veut pas partir, en fait ce n'est pas seulement lui qui ne veut pas partir mais c’est toute la classe des profiteurs dont il est le représentant qui voit d'un mauvais œil ce départ. Et on ne peut comprendre la résistance, la difficulté à partir qu’en les rapportant aux intérêts de cette classe, et à sa volonté de les perpétuer. Cet éclairage étant donné, dans le cas du Mali, il est vraisemblable que le coup d'État est moins dû aux raisons invoquées par l'armée qu'à des raisons politiques liées à la transition constitutionnelle qui se profilait. Dès lors, deux possibilités sont à considérer avant tout jugement. Binason Avèkes |
Belle interrogation qui ne manque pas de pertinence. Si Mamadou Tanja du Niger avait procédé selon l'hypothèse que vous soulevez, au lieu de modifier lui-même la constitution, peut-être serait-il encore là ? En tout cas, au pire ATT a probablement prévu s'il ne devait pas se présenter lui-même de pousser en avant un de ses pions qui serait adoubé par des élections "savamment orchestrées" par un gouvernement de capitaines...
Rédigé par : Thomas Coffi | 30 mars 2012 à 01:35