Comme tu as pu le remarquer, en Afrique noire, il y a de plus en plus de partenariats avec les pays asiatiques et principalement la Chine ; en témoigne le récent sommet Chine/Afrique. Le mot partenariat est sans doute plus rassurant que l'exploitation dont nous sommes victimes depuis plusieurs siècles. Mais ne cacherait-il pas quelque chose? Sachant que les décennies prochaines consacreront sans aucun doute la montée en force de l'Asie, sous la houlette de la Chine, cette dernière ne chercherait-elle pas à nous mettre sous sa coupe, et nous exploiter comme les autres le font pour arriver à ses fins?
Dis-moi ce que tu en penses et qu'elles sont tes visions de ces ententes!
Merci
Hilaire
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Mon cher Hilaire,
40 chefs d'Etat et de gouvernement de 48 pays d’Afrique, ont répondu présents au Forum sur la Coopération Chine-Afrique (FCCA), le troisième depuis 2000, qui s’est déroulé à Pékin du 3 au 5 novembre 2006. Il s’agit d’une grande réunion politique internationale et le Bénin était représenté au plus haut niveau par le Président Yayi Boni dont la boulimie diplomatique trouve là matière à se restaurer. Je comprends donc, mon cher Hilaire ton intérêt pour la question. Mais au-delà de l’événement, ton intérêt se porte sur le destin international de l’Afrique, dans ses rapports avec les grands pays ou zones du monde. Tu te demandes si l’Afrique va pouvoir enfin sortir la tête hors de l’eau ou si de Charybde elle ne va pas retomber en Scylla. Ton inquiétude est légitime. Chat échaudé craint l'eau froide. Depuis quelque temps, en Europe et notamment en France les media s’alarment de l’offensive diplomatique de la Chine en direction de l’Afrique. Moi-même je fais l’expérience de cette inquiétude dans les média, comme l’illustre cette anecdote. Depuis une vingtaine d’années, j’écoute une radio nationale française entièrement dédiée à la musique classique. Un choix qui, en dehors de ma passion pour ce genre est dicté par la volonté de limiter les bruits idéologiques des médias généralistes à sa portion congrue. Sur cette radio en effet, le temps dédié à l’information en une journée n’excède guère trente minutes, répartie en quatre temps forts.
Ce n’est pas le lieu de parler de la discrimination tenace dont font l’objet les Africains dans les médias français : il n’y a pour ainsi dire pas de journalistes d’origine africaine dans les comités de rédaction des journaux, écrits ou audiovisuels, et les rares fois où les médias s’intéressent à l’Afrique ou à ses enfants dits immigrés, ce n’est pas pour les couvrir de roses, bien au contraire. Depuis que j’écoute cette radio, je n’ai jamais entendu donner la parole à un Africain, sauf à quelques rares exceptions près lorsqu’un ludion de service est mandaté pour rappeler le génie oublié d’un grand chantre de la francophonie, ou des choses délicieusement poétiques du même genre. Or ce matin, quelle ne fut ma surprise de voir que le bulletin d’information donnait la parole à des Africains, et ce pendant une petite moitié de sa déjà courte durée. Les Africains en question étaient des Gabonais. Des écologistes Gabonais, oui, c’est une race qui existe ! Et comme tous les écologistes du monde, l’espèce gabonaise elle aussi se plaignait des dégâts causés par les hommes à la nature. Les coupables, mon cher Hilaire, étaient les Chinois. Ayant obtenu des licences d’exploitation minière ou pétrolière, dans leur aveugle cupidité, les méchants n’hésitaient pas à détruire la faune et la flore des grands singes, des mammifères, des animaux et des essences rares, etc. Les commentaires, les questions et les réponses convenues, résonances insidieusement enfilées allaient bon train, à n’en plus finir. Tout cela pour démontrer la nuisance inénarrable des Chinois et la coupable complicité des dirigeants gabonais qui avaient laissé faire en signant les honteux contrats de destruction de la flore et de la faune africaines jusque là préservées de la prédation sauvage.
Voilà que tout à coup, grâce aux Chinois on donnait la parole aux Africains dans les médias français. La chose est rare pour qu’on le remarque. Evidemment, martelé de cette manière le thème de la coopération entre la Chine et l’Afrique peut susciter une certaine inquiétude. Et je comprends ta position, toi qui rêves d’une Afrique enfin libre et majeure.
Je pense qu’il convient d'aborder la question du partenariat entre l’Afrique et la Chine avec sérénité, loin de tout esprit de panique et de propagande.
En raison de l’histoire de leurs rapports avec l’Afrique, rapports étroitement ambigus, les Français ne voient pas d’un bon œil l’avènement du nouveau partenariat entre leur pré carré et la Chine. Cette crainte fort compréhensible explique la vigilance d’arrière-garde des médias français. Les deux angles d’attaque des Occidentaux pour discréditer la nouvelle donne chinoise en Afrique sont la question écologique et la "politique de non-intervention" prônée par la Chine : selon eux, l'empire du Milieu poursuivrait des visées "prédatrices" consistant à engranger le maximum de résultats économiques tout en étant peu regardant sur la moralité des régimes avec lesquels il traite. Tout cela ressemble à une levée de bouclier idéologique. Je pense qu’il convient d'aborder la question du partenariat entre l’Afrique et la Chine avec sérénité, loin de tout esprit de panique et de propagande.
De quoi s’agit-il ? Les écologistes Gabonais se plaignent, et les médias français dans leur étincelant altruisme se font l’écho de ce que les Chinois abattent à l’excès le bois gabonais. Mais en matière de bois abattu, l’Afrique n’en est pas à sa première saignée : le bois d’ébène, celui qui était le plus essentiel pour le dynamisme et la prospérité de l’Afrique, ce n’étaient pas les Chinois qui les abattirent et les mirent quatre siècles durant en coupes réglées. Et pourtant, l’occasion ne leur en a pas manqué. En effet, contrairement à tout ce qu’on t’a raconté, les Européens ne « découvrirent » ni l’Afrique ni l’Amérique. Quatre-vingts ans avant eux, les Chinois étaient sur nos côtes ; ils avaient foulé le sol de l’Afrique. Bien sûr, aujourd'hui Vasco de Gama, Christophe Colomb et Magellan sont connus de tous. Mais qui connaît en Afrique le nom du navigateur chinois Zheng He ? Or, il y a six siècles, le 11 juillet 1405, l'Etat chinois envoie sa première expédition à travers l'océan Indien. L'empire du Milieu ne fait pas dans la demi-mesure. Le convoi, composé de 370 navires, transporte 27 800 hommes. Le navire amiral est environ cinq fois plus grand que la Santa-Maria de Colomb. On estime qu'il déplace 1 500 tonneaux, contre 300 pour les bateaux européens à la même époque. Il ne comporte pas moins de neufs mâts. Le but de cette expédition n'est pas commercial mais essentiellement diplomatique. Au cours de sept expéditions, de 1405 à 1433, Zheng He parcourt l'océan Indien de Java à Ceylan, jusqu'à l'actuel Mozambique. Les résultats de ces expéditions semblent avoir répondu aux espérances engagées par les Chinois.
Tandis que les trois premières expéditions furent consacrées au contact diplomatique avec l’Asie, c’est au cours de la quatrième expédition que la flotte de Zheng He, après un passage par l’Inde, aborda la côte est de l'Afrique vers la Somalie actuelle, après quelque 6000 km de voyage sans escale. Une mission fut ensuite détachée à la Mecque et en Egypte. Par la suite, au cours de ses expéditions ultérieures, Zheng He et ses hommes visitèrent diverses contrées de la côte africaine. Maints indices laissent à penser que les Chinois auraient bien pu contourner le Cap de Bonne Espérance, à une centaine de kilomètres seulement au sud de leur dernier lieu de débarquement consigné en Terre africaine. On a retrouvé des tessons de céramiques chinoises à Grand Zimbabwe , ainsi qu'une tombe au Kenya, très différente de l'architecture locale et dont la forme rappelle celle des tombes chinoises Les expéditions de Zheng He firent l'objet de nombreuses publications géographiques en leur temps, et vinrent enrichir les connaissances chinoises des océans et de l'outre-mer.
Bref, mon cher Hilaire, telle est la vérité de l’histoire des rapports de la Chine et l’Afrique, avant la fin de l'ère Xuande qui marqua aussi celle de la politique diplomatique de la Chine, et le repli des Ming sur leur territoire sous la houlette des eunuques du Palais, désormais les véritables maîtres de l'Empire. Ce qui est sûr, c’est que ces gens sont venus chez nous. Ils étaient armés jusqu’aux dents. Mais leur puissance a surtout servi à la sécurité des mers, à éliminer les pirates qu’ils rencontraient sur leur route. Leurs voyages avaient un but diplomatique et scientifique. Ils étaient fascinés par la flore et la faune africaine, sa culture et ses institutions, mais à aucun moment, ils ne cherchèrent ni à nous capturer ni à nous torturer. Tout ça se passait au 15ème siècle et depuis, mon cher Hilaire, il est passé beaucoup d’eau sous les ponts.
Pour te donner une idée de l’ampleur des investissements financiers des Chinois en Afrique, sache mon cher Hilaire que 800 entreprises chinoises ont investi, en 2005, 5,5 milliards de dollars dans 43 pays !
Maintenant, nous sommes au 21ème siècle et la vérité est que l’Afrique, et j’ose l’espérer, à force de souffrance et de malheur, a pris dans ses mains la calebasse et la bouteille et sait ce qui est le plus lourd. Notre continent a besoin de se frotter à d’autres sources d’influence et de connaissance, d’autres conceptions d’organisation sociale et économique ; elle a besoin de faire et de savoir faire, de se mettre à l’école d’un dynamisme rénové, de diversifier ses rapports avec le monde après des siècles d’enfermement dans un attelage boiteux : celui du cocher blanc paternaliste, sadique et exploiteur et du cheval noir, source et matière première des tractions, tractations et attractions les plus violentes. De l’autre côté, la Chine, à l’instar des premiers dragons asiatiques éclaireurs, est en train de monter en puissance, et de prendre une place dans le monde qui n’est pas usurpée, au vu de sa taille géographique, culturelle, démographique et historique. Le quart de l’humanité comme on dit, première démographie au monde et quatrième par la superficie avec 9 Millions et demi de km², ce grand dragon parmi les dragons a de grandes ambitions, de grandes capacités et surtout de grands besoins. Au premier rang desquels se trouve l’énergie. Une énergie dont l’Afrique regorge, jusqu’ici pour son plus grand malheur, car comme tu le sais, sur notre continent, les pays les plus malmenés économiquement et politiquement sont ceux qui sont les plus riches en matières premières. La Chine a besoin de matières premières. Depuis 1993, elle a cessé d’être autosuffisante en pétrole et importe environ le tiers de sa consommation. L’Afrique lui fournit 30% de ses importations d’or noir qui vient principalement du Soudan, de l’Algérie, de l’Angola et de notre grand voisin, le Nigeria. Selon la volonté de l’empire du Milieu, cet échange avec l’Afrique est appelé à s’accroître et à se diversifier. En 2006, le commerce sino-africain devrait dépasser les 50 milliards de dollars, soit cinq fois plus qu'en 2000. Pour te donner une idée de l’ampleur des investissements financiers des Chinois en Afrique, sache mon cher Hilaire que 800 entreprises chinoises ont investi, en 2005, 5,5 milliards de dollars dans 43 pays ! Sur le plan commercial, la Chine n’est plus à la traîne : en peu de temps, elle est devenue le troisième partenaire commercial de l’Afrique derrière les Etats-Unis et la France.
Les Chinois veulent diversifier les sources de leur approvisionnement en matières premières, ainsi que les marchés alternatifs de leur production industrielle ; les Africains veulent eux aussi diversifier les investisseurs et partenaires au développement dans leurs pays respectifs. Des deux côtés, tout le monde veut diversifier. Il s’agit donc bien d’un partenariat, qui au demeurant se veut engagé. Mais mon cher Hilaire, je sens dans ta lettre que tu te méfies un peu des mots. Le mot "gagnant-gagant" te semble un peu enjôleur, de quoi endormir les esprits, susciter une espérance illusoire, un appel du pied à la corruption des pratiques, une manière de faire saliver les cupides amasseurs d'or qui nous dirigent ; quant au mot "partenaire", il semble inoffensif voire positif, comparé aux rapports passés de l’Afrique avec le monde extérieur et tu te demandes si sous la roche lisse de ce vocable, ne se cacherait pas quelque anguille sournoise. Et tu crains que si duplicité il y a celle-ci ne consacre la logique du piège sans fin dont parle Olympe Bhêly-Quenum. Je te comprends parfaitement.
Ma réponse sera un peu chinoise, c’est-à-dire qu’elle ne sera ni tranchée, ni directe. En général les grands regroupements entre nations à finalité diplomatique, politique et économique se font souvent sur la base de liens plausibles : géographiques, historiques, culturelles ou idéologiques, souvent avec ou autour d’un élément de contiguïté sinon de continuité territoriale ou symbolique avérée. Or avec la Chine rien de tel. Pas de continuité territoriale ou culturelle plausible. Bien sûr, il y a Zheng He. Et la Chine ne se prive pas de faire des expéditions du célèbre amiral sur les côtes africaines au 15ème siècle, un élément de référence éthique, esthétique et historique. Zheng He, le musulman, Zheng He l’eunuque, un homme d’extraction périphérique ! Zheng He l’homme des mers qui a le premier découvert l’Afrique sans jeter sur elle un regard de convoitise démesurée, sans la malmener ! Zheng He l’homme qui a respecté l’homme en l’Africain. On peut toujours accepter ce regard et ce discours, même si dans le ciel des faits marquants de la destinée africaine, ils ne font figure que de simple météore. Dans le fond, ce qui m’interpelle d’entrée c’est le fait que la Chine, pour répondre aux exigences de son propre développement, ait pensé à l’Afrique. Au risque de te surprendre, mon cher Hilaire, je dois avouer que la chose m’embarrasse un peu. En effet, cela montre in fine que l’Afrique est un continent qui inspire aux autres l’idée de l’usage – à tous les sens du terme – un usage dont tous les autres, sauf les Africains eux-mêmes, découvrent, exploitent ou recherchent l’utilité.
Cette conception de l’usage de l’autre n’est pas une mince affaire et peut se révéler d’une importance insoupçonnée.
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Et, pour répondre à ta question, à savoir si le concept de partenariat ne cache rien de vicieux, on est amené à s’interroger sur le sens de l’usage que les Chinois ont dans leur tête, lorsqu’ils nous font l’honneur de penser à nous, et nous ouvrent grands leurs bras en partenaires de développement économique. Cette conception de l’usage de l’autre n’est pas une mince affaire et peut se révéler d’une importance insoupçonnée. L’exemple le plus parlant en est donné par l’histoire de nos rapports avec l’Occident. Si on considère que les deux nations les plus importantes qui ont tenu l’Afrique sous leur coupe, la France et l’Angleterre, relèvent toutes les deux de la même civilisation judéo-chrétienne, on ne peut pas non plus sous-estimer la différence de leur conception respective de l’usage de l’Afrique. Ces deux conceptions sont pérennisées dans des institutions caractéristiques distinctes qui sont celles de la Francophonie et du Commonwealth. Bien que ces deux conceptions s’enracinent dans le même terreau de civilisation, tout le monde s’accorde à leur reconnaître des contours, des buts et des philosophies politiques différentes. Mais la différence entre ces deux systèmes de relations internationales n’est pas toujours là où l’observateur le moins attentif aux choses et le plus porté sur le sens des mots croit la trouver. En effet, on prête volontiers une intention humaniste et poétique à la francophonie vue comme un bastion de doux rêveurs, là où par une approche étymologique superficielle on fait facilement rimer Commonwealth avec business. Mais, mon cher Hilaire, dans l’esprit de ceux qui ont conçu cette institution, le mot wealth n’a pas qu’un sens matériel : il a aussi une valeur symbolique. Vues ainsi, les deux conceptions de l’usage de l’autre qui ont sévi jusqu’ici en Afrique, outre leur terreau commun, ne sont pas aussi éloignées qu’on le croit. Or pour peu que subsiste entre elles une certaine différence, nous en voyons la triste traduction sous nos yeux tous les jours. En effet, on n’a pas besoin de chausser des lunettes mesquines pour remarquer qu’en Afrique, les pays où ont lieu des coups d’Etat, des guerres ou même des génocides relèvent plus souvent de l’une de ces deux conventions institutionnelles plutôt que l’autre.
Ainsi les Chinois loin de nous embobiner avec des gaz soporifiques façon francophonie, situeront leurs rapports avec nous dans une espèce d’au-delà du Commonwealth version business très débridée.
Tout cela prouve si besoin en est l’importance de la conception de l’usage de l’autre. Et c’est pour cela que je me pose la question au sujet du partenariat que les Chinois nous proposent aujourd’hui. Pour le peu que j’en sais, je puis te dire que les Chinois, ou d’une manière générale les Asiatiques d’obédience confucianiste, ne sont pas seulement gens pragmatistes mais ils sont aussi réalistes et empiristes. Ce qui fait qu’avec eux nous ne devons pas nous attendre à beaucoup d’idéologie. Ainsi les Chinois loin de nous embobiner avec des gaz soporifiques façon francophonie, situeront leurs rapports avec nous dans une espèce d’au-delà du Commonwealth version business très débridée. Je peux même aller plus loin, en te disant, mon cher Hilaire, que du côté chinois, il n’y a pas de piège qui nous guette ; mais le piège – car il y en a bien un – se trouve en nous-mêmes et de notre propre côté. En effet, si avec les Européens comme nous y invite Cheikh Hamidou Kane, nous devons nous interroger à grands frais sur l’art de vaincre sans avoir raison, sur les Chinois la question se pose tout autrement. A méditer sur l’issue diplomatique et pacifique des expéditions de Zheng He en Afrique un siècle avant les Européens, alors que la flotte et l’armada chinoises étaient cent fois plus puissantes et plus équipées que celles de nos impitoyables conquérants blancs, l’art que nous inspirent les Chinois serait plutôt l’art de ne pas vaincre bien qu’on soit plus fort. De ce point de vue, nous n’avons pas de souci à nous faire de leur côté. Contrairement aux Européens qui pour des raisons culturelles dès les premiers instants ont vu en nous l’incarnation du mal qu’ils n’ont eu de cesse de sublimer pour leur plus grande paix intérieure, les Chinois ne nous veulent pas du mal. Contrairement aux Européens, ils ne pensent pas que la condition absolue de leur bonheur réside dans notre malheur ; ni qu’une lueur d’espoir pour nous serait pour eux l’enfer. En revanche, ils ne nous veulent ni forcément encore moins expressément du bien. Le bien que nous aurons par eux, ce serait à nous-mêmes de le cueillir. Or de ce point de vue, il semble que les choses soient mal engagées. Nous avons besoin d’être un peu plus subtils et profonds. L’uns de nos points faibles sur lesquels les Européens s’appuient pour nous dominer est notre superficialité. Or si les Européens sont de loin plus profonds que nous, les Chinois eux, sont infiniment plus profonds que les Européens ; c’est d’ailleurs pour cette raison que ceux-ci ont tendance à traiter ceux-là d’hypocrites. En effet, si votre capacité de profondeur, de sérénité, d’autonomie intérieure et de pénétration de l’ordre des choses vous permet de comprendre et d’éviter les pièges qu’ils vous tendent, les Européens vous taxent très vite d’hypocrisie. Dans leur langage, le contraire d’hypocrisie veut dire « grand enfant » C’est pour cela que pour eux les Chinois sont hypocrites, et les Noirs de grands enfants. Mais pour ne pas mériter ou donner raison à ces stigmatisations fonctionnelles passablement racistes, ils nous appartient de bien penser nos rapports avec les autres. Ainsi, loin de toute euphorie sur une éventuelle nouvelle ère, loin de tout affairisme dans lequel une certaine élite de kleptocrates patentés retrouveront de nouvelles poches obscures de corruption à l'abri de tout contrôle rationnel, loin de toute opération politico-médiatique à visée surborneuse, loin d’opposer les partenaires au développement, bref, loin de toute approche superficielle sans boussole ni réflexion de fond, les Africains doivent au contraire comprendre qu’ils entrent dans une phase marchande des rapports internationaux. La diversité des partenaires est l’expression d’une évolution des rapports politiques avec le monde extérieur. Et la meilleure façon d’en tirer profit n’est pas de se précipiter sans réflexion ni préparation, encore moins de se complaire dans des schémas simplistes d'opposition des partenaires les uns aux autres : les anciens aux nouveaux, les bons aux méchants, mais de concevoir de cette opportunité historique un marché ouvert où l’Afrique puisse optimiser ses gains en fonction de la diversité des offres.
Bref, mon cher Hilaire, veuille excuser la longueur que j’ai mise à te répondre. Mais il me fallait établir certains faits afin d’éclairer mon propos pour le conduire le plus loin possible des rivages incantatoires d’une simple opinion sans preuve ni raison. Pour ce qui est de ta question principale à savoir si le partenariat des Chinois cache quelque chose de néfaste, surtout eu égard à l’expérience passée de notre continent, la réponse est non. Certes il n’y a rien d’expressément philanthropique dans la démarche des Chinois. Quand ils parlent de coopération gagnant gagnant ils sont sincères et c’est à l’Afrique de savoir donner son sens et son contenu à cela, en sachant se prendre résolument en mains. Nous ne devons pas nous faire des illusions idéologiques excessives sur les Chinois en voulant les opposer aux occidentaux. Toute complaisance de cet ordre serait un piège. La chance de l’Afrique c’est de pouvoir jouer des diverses sollicitations dont elle est l’objet. De pouvoir faire ses emplettes sur le marché du partenariat diversifié qui s’ouvre à elle ; plutôt que de se complaire dans une simpliste opposition des partenaires : ceux d’hier contre ceux d’aujourd’hui. De ce point de vue, les Chinois ont beaucoup à nous apprendre en matière de subtilité, l’art de ne pas opposer les choses, les genres, les êtres tout en restant soi-même.
Cela étant dit, nous devons quand même marquer une nette différence de mentalité et d’éthique entre les civilisations : celle des Européens et celle des Chinois dans leur rapport avec les autres. Vu sous cet angle, le partenariat avec les Chinois est déjà une source d’enrichissement. A l’art de vaincre sans avoir raison, nous devons ajouter maintenant celui de ne pas vaincre bien qu’on ait raison...
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