Critique de la Banalisation de l’Échec de Yayi Boni
Mon Cher Pancrace,
Aussitôt reçue la nouvelle de ton retour au bercail, me voilà déjà aux prises à ta fougue de questionnement qui, comme d’habitude, interpelle. Merci pour ta confiance soutenue. Tu me demandes ce que je pense de ceux qui disent que Yayi Boni n’est pas pire que ses prédécesseurs. La question est sérieuse ; elle permet en tout cas de marquer une idée que certains esprits douteux voudront bien faire passer en contrebande dans l’auguste province de la vérité. Elle mérite une véritable mise au point, que je m’efforcerai de faire en toute sincérité.
Oui, Cher ami, beaucoup de gens, pour noyer le poisson, disent que la situation politique du Bénin n’est pas pire maintenant qu’avant 2006. Bien que ceux qui parlent ainsi avancent souvent masqués, certains ne cachent pas leur sympathie au régime de Yayi Boni. Soit pour des raisons politiques, soit par affinité élective, idéologique ou en toute bonne foi. Eh bien mon cher Pancrace supposons même que sur les chapitres essentiels de la vie politique : gouvernance, institutions, Éthique, Démocratie, Corruption, Impunité, etc. ; supposons dis-je que Yayi Boni ne soit pas pire que les autres ! Même si en toute conscience, une telle supposition peut rester en travers de la gorge compte tenu de la réalité, passons, et n’offrons pas au raisonnement insidieux que nous cherchons à déconstruire matière à se redresser sur son séant. Et demandons : Est-ce que Yayi Boni a été élu en 2006 pour conserver le statu quo ? Maintenant que le vent a soufflé et que nous avons vu l’anus du poulet, au nom de quoi Yayi Boni continuerait-il d’endosser l’image de la nouveauté ? Pourquoi les autres devraient-ils continuer de camper le pôle de la médiocrité par opposition à lui ? À mon avis, ce genre de perception manichéenne qui a prévalu en 2006 a maintenant fait long feu ; une bonne fois pour toute !
Mon cher Pancrace, Yayi Boni n’a pas été élu à 75% en 2006 pour que l’on accepte aujourd’hui, comme une banalité sur laquelle on n’aurait pas le droit de trouver à redire, le fait qu’il ne soit pas pire que ceux auxquels le peuple l’a préféré en 2006. A supposer même que ce soit le cas. Cette comparaison négative que ses thuriféraires invoquent à sa décharge est au contraire un élément à charge : il s’agit là, à n’en pas douter, d’un défaut rédhibitoire. Et maudit soit celui qui ferait croire que le temps aurait en quelque manière refroidi les événements. Yayi Boni doit subir les foudres du peuple. Il doit faire l’épreuve des fourches caudines de la critique. Et, à moins de vouloir distraire la galerie, il n’est pas sérieux de changer la question de fond. La question de fond que pose l’élan du peuple électeur en 2006 n’est pas : “Est-ce que Yayi Boni est égal ou pire que les autres ?” On ne pense tout de même pas sérieusement que le peuple aurait élu avec tant d’espérance un homme dont il n’exigerait que d’être égal ou moins pire que ceux auxquels il l’a préféré !
Donc que l’on soit ami ou ennemi de Yayi Boni, dès lors qu’on est ami de la Raison on doit admettre que la question procédurale ainsi posée implique un jugement sans appel : Yayi n’est pas pire que les autres, Yayi n’est pas mieux que les autres, donc Yayi doit partir. Il doit céder la place pour une autre réflexion sur la manière de sortir notre pays de l’ornière sociale, politique et économique dans laquelle il se trouve. Pour ce faire il y a débat sur la méthode et les moyens. Trois points de vue rivalisent de position. Il y a ceux qui, derrière l’euphémisme de l’échec de Yayi Boni, cachent une subtile volonté de continuité dans la médiocrité, ce qui ne serait rien moins qu’un accaparement du pouvoir par un homme dont la personnalité et le style ne sont pas en phase avec les idéaux du Renouveau Démocratique. Or à médiocrité égale, nous devons privilégier l’attachement scrupuleux à ces valeurs fondatrices. Après tout si Kérékou jouit d’une certaine sympathie aujourd’hui, c’est d’avoir, à sa manière certes, fait siennes ces valeurs.
Et puis il y a ceux qui pensent qu’il faut toujours continuer à fuir en avant dans le rêve de trouver l’oiseau rare technocratique qui, avec son savoir faire et sa bonne volonté prométhéenne, hisserait à notre place le Bénin de l’abîme économique et social dans lequel il se trouve actuellement. Cette option ne fait pas cas du verdict de la réalité, du coût d’entrée de la nouveauté, des risques et déconvenues d’une mise en selle et en scène de la génération spontanée en politique. Enfin, il y a ceux qui, faisant preuve de sagesse, croient que la vérité et le progrès peuvent sortir des errements du passé, dès lors que ceux-ci sont passés par une longue étape de prise de conscience mûrement élaborée et sous-tendue par une volonté forte.
À priori, comme Yayi est reconnu par tous y compris par ses sympathisants sérieux comme n’étant pas pire ni meilleur que les autres, en apparence on peut lui reconnaître le droit à l’amendement. A condition qu’il passe par le purgatoire, car on ne peut pas lui donner le bon Dieu sans confession. Attention, il ne s’agit pas de renvoyer Yayi Boni dans les vestiaires sans ménagement, il peut rentrer au vestiaire sous les applaudissements du public, car il a quand même eu une utilité historique inestimable : celle d’avoir été l’homme grâce à qui le Bénin s’est débarrassé de l'hypothèque Kérékou. Celui-ci, en dépit des complaisances rituelles et des mièvreries émotionnelles dont certains clients ou obligés le couvrent, n’a pas lieu d’être historiquement tenu pour un objet de fierté nationale. Ne pas tuer symboliquement Kérékou c’est pactiser avec le désordre, le sous-développement, la médiocrité, l’immoralité, l’irrationalité, les intrigues de bas étage, et la bêtise qui se parent insidieusement de vertu pour se frayer des voies vers l’histoire la tête haute ; et cela aussi, cela surtout fait partie des torts auxquels le politiquement correct et les contraintes de la Realpolitik béninoise ont conduit Yayi Boni pour le pire.
Pour toutes ces raisons, mon cher ami, il ne reste sérieusement au Bénin et aux Béninois qu’à se regarder en face et à cesser de chercher une solution illusoire. Il s’agit de faire la synthèse de tout ce qui a été fait jusqu’à présent et de voir les voix sérieuses qui émergent de cette synthèse, et ce sans préjugé ni parti pris ou plus exactement avec le préjugé favorable que l’être humain est libre et peut s’améliorer. Certes, il y a ceux qui pensent que les anciens sont irrécupérables et vont fatalement rééditer la même médiocrité qu’avant. Mais dans la mesure où ce sont les sympathisants du régime actuel qui font preuve de ce scepticisme catégorique sur le passé, il sied de dire que désormais, Yayi Boni est aussi un homme du même passé, avec à sa charge la différence qu’il n’a pas eu assez de temps ni d’expérience pour se sublimer, alors que les autres ont le bénéfice du doute par rapport à cette sublimation décisive.
Et cette sublimité se donne à voir dans la démarche rationnelle d’unification que nous proposent Me Adrien Houngbédji et l’UN, le creuset politique dont il est le porte-drapeau. Démarche inédite, basée sur une prise de conscience salutaire qui force le respect et l’admiration du peuple, elle embrasse aussi sa masse critique sinon majoritaire dont les luttes fratricides et la division ont servi de paradigme à la division du pays tout entier. Me Adrien Houngbédji, avec toute son expérience d’homme politique, soutenu par Soglo et consolidant l’unité effective du sud, non pas en tant qu’il serait opposé au Nord, mais parce qu’il s’est retrouvé et donne ainsi l’exemple de l’unité nationale, ce Houngbédji qui a traversé le désert, s’est sublimé et n’a qu’un seul mandat pour rentrer dans l’histoire la tête haute ou en sortir définitivement la tête basse, ce Houngbédji-là, montrera toutes ces qualités d’homme d’État, sa détermination, sa volonté, et fera un très bon Président. C’est le Président que la sagesse suggère de se donner pour mettre fin à nos errements, tirer partie des expériences du passé et enfin aller à l’essentiel : Prendre le chemin du Travail pour une Prospérité vraiment Partagée, dans une Gouvernance véritablement Transparente, débarrassée des scories de la Corruption d’État, condition sine qua non pour éradiquer la Corruption ordinaire liée à la misère et ancrée dans les mentalités.
Cette sublimité affleure aussi dans la vision de l’UN et de son candidat et la gouvernance qu’ils souhaitent mettre en œuvre dans les prochaines années. En l’occurrence, il est heureux de constater que Me Adrien Houngbédji préconise une vraie concertation entre l’Etat, le secteur privé et les collectivités locales. Une synergie qui à mon avis est source de dynamisme et de progrès. Si cette philosophie de la concertation devait être appliquée, elle entrainerait une vraie révolution dans la vie sociopolitique et économique de notre pays. Et, mon cher ami, si ce n’est là le fruit de l’expérience et de la maturité politique, qu’est-ce donc ? La sublimation même !
L’approche sociale de la vision de Me Adrien Houngbédji n’est pas sans rappeler les dynamiques sociales et sociétales qui ont permis aux Dragons de l’Asie – je pense notamment à la Corée du Sud ou au Japon, pays que, comme tu sais, je connais assez – de devenir des pays prospères. Car, si j’ai bien compris, le Bénin que nous propose Me Adrien Houngbédji est un Bénin dans lequel «les Béninois auront tous accès aux soins de santé, recevront une éducation appropriée, et contribueront pleinement à leur épanouissement personnel, au développement de leur pays et à la marche du monde.» Un Bénin où la gestion des solidarités permettra de former une nation unie. Toutes choses qui, tu en conviendras, jurent avec la tension et les menaces sur la Démocratie qui ont caractérisé la gouvernance de Yayi Boni, fondée sur l’autoritarisme, le autocratisme, le populisme, et l’instrumentalisation sans états d’âme des institutions de la République
Mais, mon cher Pancrace, l’idée que je trouve par-dessus tout rationnelle, et qui par rapport à la lutte contre la corruption et le développement à la base du pays n’a pas crié gare, c’est la proposition de transfert de ressources vers les communes. Et non pas d’agir comme si on faisait l’aumône aux communes en présentant l’aide, souvent sporadique et anarchique, comme un don personnel du chef de l’Etat. Au contraire, à ce que j’ai compris Me Adrien Houngbédji propose d’octroyer dès sa prise de fonction, un concours financier de UN Milliard francs en moyenne à chacune de nos 77 communes ! Voilà qui donne à la décentralisation un contenu réel et rationnel…
Enfin que dire de l’ambitieux projet « UN Etudiant, UN ordinateur, UN accès numérique » ! De quoi ouvrir enfin le Bénin sur lui-même, libérer l’expression, bornée et subornée par le régime Yayi, renforcer le savoir et l’échange en même temps que le lien social dont nous avons besoin pour accroître nos compétences et notre créativité collectives. Comme tu le vois, mon cher Pancrace de ces trois ou quatre points choisis parmi des dizaines d’autres dans le programme de Me Adrien Houngbédji émerge véritablement un esprit nouveau qui allie discrétion et efficacité, rationalité et réalité ; ainsi qu’une démarche et une philosophie frappée au coin de l’expérience sublimée. On reconnaît la signature de celui qui en 2006 déjà était l’un des tout premiers à préconiser le changement, mais un changement méthodique et responsable, à mille lieues des mensonges et de l’idiote gouvernance à vue de Yayi Boni.
Voilà donc pourquoi il faut rejeter catégoriquement toute idée de comparaison négative de Yayi Boni avec ses aînés en politique (au sens où même un Léhady Soglo est un aîné politique de Yayi Boni). Cher Pancrace, peut-être considéreras-tu ce point de vue comme partisan, bien qu’il ne vise que l’intérêt du Bénin, en y arrivant par les voies de la réflexion. Mais je comprendrai ta bienveillante réserve, qui n'est rien à côté de la probable suspicion ou réfutation des thuriféraires aveuglés par la passion et les intérêts égoïstes. Aussi, pour appuyer l’objectivité de ma réflexion, suis-je prêt à aller plus loin dans le désintéressement aux personnes, en n'ayant en vue que le seul amour du Bénin, notre cher et beau pays. Étant donné qu’il y va de la situation actuelle du pays, de la condition du peuple acculé à la misère et laissé à son propre sort depuis des décennies, de l’avenir de nos enfants et petits-enfants, il faut être brave et honnête. Le point de vue soulevé ici n’est qu’une hypothèse, tu t’en doutes. Il ne signifie pas qu’on doit s’immoler à la nécessité de privilégier des intérêts de personne ; il ne vise pas à faire nécessairement de Houngbédji Président de la République. Maître Adrien Houngbédji n’a pas besoin d’être Président, mais le Bénin, je le pense sincèrement, a besoin de Me Adrien Houngbédji, de son expérience, de son énergie et de sa sagesse actuelles : Houngbédji est l’homme de la situation !
Au total, le Bénin est un pays d’avenir et qui a toutes ses chances. Entre 2006 et maintenant il s’est passé bien des choses. Le peuple a élu massivement Yayi Boni pour qu’il éradique la corruption et le sorte de la misère. Mais, outre que la lutte contre la corruption est complexe, on a vu, on a senti que Yayi Boni est aussi corrompu que les autres ; qu’il n’est pas plus propre que la moyenne des autres. Et, le plus navrant est qu’il utilise le prétexte de la lutte contre la corruption pour procéder à une épuration politique sinon ethnique de ses ennemis politiques. Avec un sans-gêne et un cynisme ahurissants dans le deux-poids-deux-mesures, qui font douter de son sens de la justice sur terre. Sur le plan du développement économique, il a agi dans la précipitation parce que ses actions visent avant tout à se faire apprécier électoralement plutôt que d’être pensées pour l’amélioration effective, durable et décisive de la condition du peuple. Il a gaspillé l’argent de l’État, sans état d’âme dans le seul but de conforter ses rêves de réélection érigés en idées fixe. Depuis le début du Renouveau démocratique, de Soglo à Kérékou1 et Kérékou2 jamais président ne s’est révélé aussi accapareur des médias, aussi impulsif et agressif en ce qui touche aux libertés publiques. Toutes choses qui ont conduit à la ruine du crédit considérable dont le Bénin jouissait sur le plan international au niveau de la démocratie et de la liberté d’expression. Ces défauts, mon cher Pancrace, sont trop graves pour être placés au seul compte de l’inexpérience ou de la volonté naïve de bien faire. Dans l’optique de l’espérance de 2006, ils sont purement et simplement rédhibitoires. Pour cela Yayi doit partir. Et, bien que le Choix de Me Houngbédji pour le remplacer me paraisse à la fois décisif et salutaire pour notre pays, je puis en toute rigueur intellectuelle dire que dans une certaine mesure peu importe le remplaçant. Le Bénin s’en portera toujours mieux !
Porte-toi bien, cher ami, car notre amitié m’est aussi chère qu’irremplaçable !
Amicalement
Binason Avèkes
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