Mais mon cher ami, comme je te l’ai dit, rien de très mondial dans mon « bougement », et encore moins de mondain. Et comme, j’ai convenu que mes pourparlers avec le Ministre de l’Information de ce pays limitrophe resteront pour l’instant off the record, que crois-tu que j’aie fait entre la fin du colloque et la petite semaine où j’ai dû attendre le retour de mon hôte ? Eh bien, à ses frais, j’ai fait une escapade au Bénin, logé à l’hôtel Baobab de notre ami de Strasbourg. C’est dans l’ambiance à la fois calme et bucolique de ce charmant Hôtel que j’ai créché pour prendre le pouls de notre pays qui, depuis 2006, à bien des égards, mérite bien le nom de République des Con (alias République des Collines Orientées Nord.)
Au lieu d’un monde extérieur qui se résume à un pays -certes non-négligeable - de l’Afrique de l’Ouest, c’est donc de mon monde intérieur que je vais t’entretenir.
J’aimerais commencer par mettre l’accent sur les ravages du régionalisme, tel que je l’ai senti un peu plus encore cette année, comme si en gros c’était là la finalité de l’accession au pouvoir de Yayi Boni, l’essence de son régime. Le fléau qui nous mine en Afrique étant la corruption, bien que beaucoup de gens n’en fassent pas le rapport, eh bien le régionalisme n'est qu'une forme de corruption ! C'est l'attitude qui, —dans l'impossibilité ou le manque de volonté de réaliser les objectifs nationaux pour lesquels un homme politique a accédé au pouvoir, —consiste à parer au plus pressé et au plus près et à améliorer, à travers préférence et faveurs indues, le sort de concitoyens sélectionnés sur la base de critères familiaux, claniques, tribaux ou ethniques. Il s'agit d'un détournement des moyens nationaux à des fins infranationaux, sur fond d'une idéologie de l’affect entée sur l'opposition de catégories ethniques régionalement situées. Ainsi, le combat qui se mène au Bénin pour l'affirmation existentielle d'une classe autochtone d'hommes d'affaires est un combat décisif. Dans la zone francophone marquée par le tropisme de la domination sans partage des expatriés, ce combat ne pouvait avoir lieu que dans un pays comme le Bénin, qui a toujours été à l'avant-garde des combats pour la rationalité légale. Ce combat, au Bénin, oppose la classe des entrepreneurs locaux au pouvoir qui leur met le bâton dans les roues, ruine leurs affaires et les pousse au besoin à l'exil. Sans compter les harcèlements judiciaires et fiscaux contre ceux qui résistent et se battent corps et âme pour rester chez eux. Dans la plupart des autres pays de la zone francophone où la toute-puissance des grandes compagnies françaises est institutionnalisée, en dehors d'un rôle secondaire joué par la classe des entrepreneurs autochtones, l'ordre politique est conditionné aux intérêts de la Françafrique. Le seul pays où ce conditionnement a été menacé fut la Côte d'Ivoire de Laurent Gbagbo ; mais mal lui en a pris, et cet Africain patriote a été combattu, humilié et écarté du pouvoir, mis à la disposition de la CPI, cette usine d'épuration néocolonialiste. Au Bénin, la résistance ne prend pas la forme frontale d'un combat entre le système néocolonialiste français et le pouvoir politique mais entre celui-ci et la classe des hommes d'affaires nationaux. Le pouvoir politique, en reconnaissance aux milieux néocoloniaux auxquels il doit son avènement frauduleux, autoritaire et décrété, se croit obligé et s'engage à corps perdu dans la mission de sous-traitance de la violence néocoloniale de sauvegarde des intérêts de la Françafrique. Ainsi le pouvoir néocolonial s'assume toujours comme participant d'une alliance objective des intérêts. La Françafrique permet à un homme politique minoritaire d'accéder au pouvoir, et celui-ci en retour s'engage à sauvegarder ses intérêts, en même temps qu'il fait passer les siens propres. Outre la garantie d'éterniser au pouvoir à travers toutes sortes d'acrobaties frauduleuses, le président adoubé par la Françafrique dispose d'une marge d'action autocratique qu’il n'hésite pas à mettre dans la balance de l'alliance objective qu'il noue avec ses donneurs d'ordres néocoloniaux. Il s’agit d’un échange de bons procédés sur le mode de « tu me passes la rhubarbe, je te passe la moutarde ». Dans le cas d'un homme d'extraction ethnique sévèrement minoritaire comme Yayi Boni, et compte tenu de ses origines familiales qui le prédisposent à un complexe d'infériorité, le désir de revanche, la volonté de subversion des rapports régionalistes réels dont l'expression la plus virulente et la plus polémique est le népotisme régionaliste sont au cœur de sa geste politique. Ce régionalisme, outre les divers ravages sociologiques qu'il cause dans le tissu social par les nominations déréglées, les séquelles néfastes de la sourde préférence ethnique, l'envahissement du champ sociopolitique par une horde de médiocres qui n'ont pour eux que d'appartenir à une région donnée, vise aussi à créer de toutes pièces une classe d'acteurs et d’entrepreneurs ethniquement typés. Ainsi, l'idée fausse et idéologiquement délirante selon laquelle le coton étant une ressource originaire du Nord doit appartenir à un homme d'affaires originaire du Nord, n'est pas étrangère à la guerre farouche qui a été menée à Patrice Talon, dont l'un des objectifs est de substituer à sa suprématie, l'émergence d'une figure du Nord qui détiendrait le monopole national du coton. Nord, dans l’acception de Yayi Boni, signifiant expressément Collines orientées Nord, ou toute partie de l’Afrique sahélienne exceptée le sud du golfe du Bénin. Mais, au-delà, la crainte que les hommes d’affaires du sud ne sauraient cautionner indéfiniment les fantaisies régionalistes de Yayi Boni en est pour beaucoup dans la guerre qu’il leur mène. Et cela explique le fait qu'il leur préfère tout concurrent, même africain, pourvu qu'il ne soit pas du sud du Bénin. Le conflit entre le gouvernement et le groupe Petrolin de l'homme d'affaires Dossou-Aworêt, dont la caution patronymique —l'affichage ostentatoire du nom Aworêt, qui pourrait laisser penser à une affiliation française, comme dans le cas de Talon —n'a visiblement pas suffi à calmer les ardeurs polémique de Yayi Boni. Dans le dossier de la boucle ferroviaire Cotonou-Niamey, la préférence scandaleuse et le choix illégal de Bolloré apparaissent à Yayi Boni comme une position plus confortable dans la mesure où, dans le cadre de l'alliance néocoloniale, il sait avec certitude la forme et la nature de ses intérêts—toutes choses qui ne sont pas garanties dans le cas d'un homme d'affaires béninois et qui plus est du sud…
A suivre…
Binason Avèkes
Part 7
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