D'entrée, l’impression que les hôtesses me tenaient à distance, bien qu'étayée par les amabilités et les petites attentions exclusives distribuées de-ci de-là autour de moi et qui s’inversaient net aux limites de mon regard en une grave indifférence, cette impression tenace pouvait encore tomber sous le coup de la susceptibilité. Après tout, m’étant involontairement stigmatisé moi-même par mon accoutrement, n’étais-je pas en train de faire monter la mayonnaise du délire associatif à l'état pur ? Il est vrai aussi qu'avec mon fils d'origine japonaise par sa mère et dont l'apparence asiatique était fort prononcée, je faisais un drôle de duo familial, difficile à situer qui pouvait intriguer, intriguait en effet, comme on pouvait le lire dans les regards obliques et subreptices qui m'étaient lancés. Ce rêve, cher ami, comme tu peux t’en rendre compte, est la réplique onirique d’un incident que tu as vécue en vrai sur un vol Air France l’année dernière. Il est plein d’enseignement, n’est-ce pas ? Le racisme –notamment dans sa version antinégrite –c'est aussi l'art de faire du visible un invisible, du noir un être transparent. Dans mon rêve, j’en souriais de dégoût et de pitié. Le seul fait que tu te fusses permis de paraître toi-même t’a fait ranger, à l’instar de ce que j’ai subi dans mon rêve, dans la catégorie des inexistants, des rejetés, de celui qu'on ne veut pas approcher, d’un laissé pour compte, un relégué, un abandonné au hasard de la bienfaisance aléatoire. Rêve ou réalité, cela est propre à la culture occidentale, comme le prouve l'histoire. Qu'est-ce que c'est que la colonisation et son volet assimilationniste sinon le mot d'ordre « cachez-moi cet autre inconnu que je ne saurais voir » ? Un homme ne peut qu'être blanc et à défaut de l’être par la nature, il doit l'être par la culture : il doit s'habiller comme un Blanc, et parler la langue du Blanc. Et puis il y a aussi le fait que les Blancs n'aiment avoir affaire qu'aux gens dont ils sont assurés à l'avance qu'ils sont inconscients : inconscients d’eux-mêmes, et inconscients de l'ordre des choses. Toute personne non blanche qui trahit le fait qu'il est conscient de lui-même et de l'ordre des choses est tout de suite combattue, rejetée, éliminée, écrasée. Bref, mon Cher Pancrace, en ce qui me concerne, il ne s’agissait que d’un rêve et, comme le disait le poète français Robert Desnos, s’il faut une place pour les rêves il faut aussi mettre les rêves à leur place. Cela permet de mieux discerner les intrigues de l’état de veille. Ainsi, dans l’avion réel qui de Lagos m’amenait à Paris via Londres, J’ai pensé que dans l’agitation médiatico-politique incongrue du 3ème mandat organisée exprès pour anticiper l’impunité de Yayi Boni après 2016, — en effet, quel héros de la démocratie ne fera-t-on pas de ce criminel quand il aura quitté le pouvoir comme l’exige la constitution ! — j’ai pensé, dis-je, à l'insinuation de Joas pensant à Attali : « Le bonheur des méchants, comme un torrent s'écoule.» Et j’ai prié Dieu pour que ce torrent charrie dans le même mouvement, la triste République des CON Je suis persuadé qu’en toute amitié tu me rejoindras dans mes prières, à défaut de te risquer sur les chemins parfois escarpés de mon monde intérieur. A très bientôt Binason Avèkes |
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