Oui, comme tu l’as dit dans ta lettre, dans cette affaire tout est présumé. Mais, puisque le fait est avéré et confirmé par les avocats de l'intéressé, dans le meilleur des cas, je vais te dire ce que je pense de cette histoire d’arrestation.
A mon humble avis, soit ce n'est qu'une formalité du système juridico-policier français, selon laquelle, après une demande adressée à Interpol par un état, la personne recherchée, lorsqu'il est sur le territoire français, et qui plus est un citoyen français, est appréhendée pour être entendu. Sans préjudice du sort qui lui sera réservé quant à sa mise en détention, sans même parler de son extradition. Soit, il se peut que ce soit l'intéressé lui-même qui s'est porté prisonnier pour vider l'appréhension que sa situation d’interpolé faisait peser sur sa liberté et sa quiétude, en tant que personne morale et physique. Dans la mesure où se joue la réputation de l'accusateur, à savoir le Bénin en la personne de son président, il va sans dire que ce dernier a exercé des pressions diplomatiques pour qu'une réponse satisfaisante soit donnée au mandat d'arrêt international émis contre l'intéressé. Dans le même temps, il va tout aussi sans dire que le lieu de refuge de M. talon n'est pas choisi au hasard. Ça, tu l’as suggéré dans ta lettre, et je suis d’accord avec toi. Quel risque aurait-il encouru en effet s'il s'était réfugié dans un pays africain ou comme tu le dis « dans une quelconque république bananière où les institutions, si elles existent, et le fonctionnement de la justice ne sont régis par aucune norme rationnelle » ; et moi j’ajouterai « et où seul comptent le fait du prince et l'arbitraire du pouvoir » ? Dans ce cas, vois-tu mon cher Pancrace, mal lui en aurait pris, car grandes auraient été ses chances d'être extradé pieds et poings liés vers le Bénin. Or avec la France, M. Talon va bénéficier de toutes les garanties d'un État de droit en termes judiciaires et juridiques ainsi que du respect de la présomption d'innocence. Que le système français ne s'emballe pas pour faire droit aux désidérata de la partie béninoise et plus particulièrement de M. Yayi, voilà qui est la moindre des choses dans un état de Droit. Au Bénin, on peut s'en étonner dans la mesure où le pouvoir, par sa pratique, a habitué les consciences à des comportements sans aucune commune mesure avec les règles de justice ; comportements caractérisés par son immixtion permanente dans les procédures judiciaires, et son instrumentalisation à tout crin de la justice à des fins politiques. Instrumentalisation qui fait que les affaires criminelles sont exhumées ou inhumées au gré du pouvoir dans une ambiance générale portée à l'impunité de ses tenants. On peut imaginer aussi, et cela tombe sous le sens, que la partie béninoise a exercé des pressions diplomatiques auxquelles l'État français, sans se précipiter a dû répondre à minima. Tu l’as souligné et je salue la pertinence de cette remarque. Mais en ajoutant tout aussitôt que la démarche française, aussi formelle soit-elle, se veut elle aussi diplomatique. En effet, depuis son accession au pouvoir, par son style, ses actes et sa personnalité, M. Yayi ne s’est pas illustré comme un ennemi déclaré des intérêts de la France. Pour cette raison, loin d’être méprisé comme l’ont été un Gbagbo ou un Sankara par exemple, les autorités françaises se sentent obligées d'entendre ses demandes. Mais en fonction de la personnalité du locataire actuel de l'Élysée, qui n'est pas un adepte farouche de la Françafrique, cette courtoisie devra rester dans les limites de la rationalité légale. Dans tous les cas de figure on voit qu'une certaine propagande déboussolée, sous couleur d'information, se saisit de l'affaire et lance à l'emporte-pièce des annonces plus ou moins tendancieuses dont elle ne sait rien quant au fond. Serait-ce dans une tentative de regagner une crédibilité qui a plongé dans des profondeurs abyssales ? Avec une affaire aussi loufoque qui laisse perplexes les Béninois, il va sans dire que l’opinion internationale, loin d’y ajouter foi, n'y voit que les machinations délirantes d'un pouvoir autocratique désireux d’éliminer ses adversaires.
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Pour regagner une certaine crédibilité, faire croire que l'ennemi numéro 1 sinon du Bénin du moins de M. Yayi est arrêté en France, embastillé et prêt à être extradé pieds et poings liés vers le Bénin, peut-on rêver mieux qu’un écho de la Justice française à l’emballement hystérique de la justice béninoise ? Cela montre qu'au niveau international, on prendrait l'affaire très au sérieux. Ce qui en vérité n’est qu'une façon d’aller vite en besogne, eu égard au fonctionnement normal des institutions dans les grandes démocraties. Tout le contraire de ce qu'il se passe au Bénin même où depuis le début de cette affaire, les principes élémentaires du droit ont déserté le forum, et particulièrement le droit des mis en cause ; privés qu'ils sont de toute présomption d'innocence ; avec l'immixtion intempestive, autoritaire et illégale du pouvoir dans le processus judiciaire en cours. Sans compter le conditionnement médiatique et politique de la justice et du peuple en vue de l'imposition d'un point de vue unique--celui du pouvoir. Entre la rumeur subtilement distillée d'une réconciliation sous onction papale des deux protagonistes--Yayi et Talon --et la montée en épingle tapageuse de l’information sur une éventuelle arrestation de ce dernier, on voit que le pouvoir est aux abois et ne sait plus à quel Saint se vouer ! Dans cette accusation de tentative d'empoisonnement lancée sans même en soupeser les conséquences pour l'image internationale du pays, M. Yayi et sa bande de travestis trahissent le déficit de crédibilité que leur sombre machination fait peser sur eux. Au fur et à mesure que le temps passe, confrontés à un incendie tenace qui prend de l'ampleur, il leur faut trouver des trombes d'eau pour le contenir, à défaut de pouvoir l'éteindre. Mais le feu est là, vorace et robuste dans sa plantureuse réalité. Car ces machinations d'un autre temps montrent les limites de l'ivresse du pouvoir personnel. Le temps des Eyadema, Pinochet et autres Kim Il Sung est passé. Ceux qui par nostalgie veulent ressusciter leurs méthodes infâmes fondées sur le culte de la personnalité, la tyrannie et l'arbitraire doivent apprendre à leurs dépens que ni le peuple ni le monde ne sont dupes de leurs machinations. Et que plus particulièrement la France de François Hollande, sur ce chemin-là leur tournera le talon…
Pendant que mon cher Pancrace, en ami fidèle je suis heureux de t’emboiter le pas sur presque tous les points que tu as soulevés dans ta lettre à laquelle j’espère avoir peu ou prou répondu
Très amicalement
Binason Avèkes
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