Mon Cher Pancrace,
Ta présence aux US depuis quelques jours t’inspire sur l’attitude d’Obama envers l’Afrique, toi qui, si mes souvenirs sont bons, as suggéré naguère de « mettre en veilleuse l’enthousiasme pour le premier président noir des Etats-Unis. » Mais l’angle sous lequel tu abordes la considération du président américain me paraît original, dans la mesure où tu te demandes si l’identité biographique de Barack Obama n’explique pas plus son rapport à l’Afrique que son identité proclamée de Noir. Et tu me demandes « Tant qu’à comparer les grands hommes, peut-on dire que Obama est un Noir comme Nelson Mandela l’a éprouvé et prouvé ? »
Eh bien, comme toujours, mon cher Pancrace, ta question est pertinente, et excite l’enthousiasme d’y répondre. Aussi, je vais te dire ce que je pense sur le sujet, sans prétendre avoir la science infuse.
Oui, mon cher ami, il y a, à n'en pas douter, un élément d'identification biographique dans les rapports de Barack Obama avec l'Afrique. Deux faits qui ne sont anodins qu'en apparence étayent cette évidence. Il y a eu d'abord sa fameuse première visite en Afrique noire. Visite symbolique s'il en est. La logique d'identification au sens large aurait voulu qu'il réservât un tel voyage au Kenya. Mais alors on ne serait pas dans l’identification dans son aspect biographique intime mais plutôt dans son aspect national. Barack Obama a choisi le Ghana. Certes, le Ghana qu’il honora était d'une manière lointaine le Ghana de Kwame Nkrumah, celui qu'il associe à la génération de son père. Mais d'une manière immédiate ce Ghana, loin d'être celui du président Mills, son hôte officiel, dans l'esprit d’Obama, était plutôt celui de Jerry Rawlings, le père du Renouveau Démocratique ghanéen. Comme lui en effet, Jerry Rawlings est à moitié noir et à moitié blanc… Et cette mixité est un élément d'identification biographique plus ou moins consciemment valorisé chez Barack Obama. C'est attiré par cet indice que d'une manière peut-être inconsciente, il a choisi de réserver au Ghana sa première visite de chef d'État en Afrique Noire. De même a-t-il failli considérer l'éventualité d’une visite éclair au Sénégal à cette même époque où maints signes dans ses rapports avec le vieux Wade trahissaient une certaine estime filiale. Avec Abdoulaye Wade, l'élément biographique n'apparaît pas sous l'angle du métissage direct mais ce métissage n'est pas loin. Si Wade n'est pas métis lui-même, comme la préférence matrimoniale des Présidents semble en avoir la vie dure au Sénégal, il est marié à une blanche et est père d’enfants métis. Ce détail n'est pas passé inaperçu par la France-mère dont le Sénégal est un dominion fidèle. Sarkozy en a tiré partie, lorsque, avec une malicieuse finesse, il a présenté Karim Wade à Obama pour une poignée de mains en marge du sommet du G8 en 2011. Sarkozy ne saurait trouver là, pensait-il, meilleure occasion de faire le lien entre un métis made in France et le métis made in US qu’était Obama. Enfin, c'est sous la présidence d’Obama, que la presse occidentale nous présente comme un Noir, qu'au nom de son néocolonialisme impénitent, la France de Sarkozy a fait pilonner le palais du président Gbagbo, l’a chassé du pouvoir et déporté à la Haye comme un malpropre pour être jugé de crimes qui, même s'ils étaient avérés,--et les dernières nouvelles de la Haye dans ce dossier n'inclinent pas à une conviction inébranlable-- n’auraient rien de très inédit ou unique en Afrique, et surtout en Afrique francophone. Si le président américain était vraiment le Noir que l'on dit, comment tolèrerait-il un instant une telle injustice, une telle humiliation, qui n'est pas seulement celle de l'individu Gbagbo, mais tout simplement l’humiliation de l'homme noir, telle que l'histoire des Noirs en a été remplie depuis des siècles ? Humiliation perpétrée par la barbarie et le sans-gêne raciste d'un homme qui avait annoncé la couleur en accusant l'Afrique noire d'être une race peu engagée dans l'histoire. Obama, dans cette affaire, comme dans bien d'autres, s'est comporté strictement en président américain, c'est-à-dire finalement en blanc ; et son prétexte moral a consisté à privilégier la soi-disant exigence de démocratie sur les excès racistes et néocolonialistes de Sarkozy. Il est apparu clairement que la passivité d’Obama et de son Amérique envers ce viol de l'Afrique par la France, ce viol de l'homme noir, son humiliation, cette passivité le faisait pencher objectivement du côté de la France. Comme ses prédécesseurs blancs avant lui l'ont toujours fait. Mais au-delà de la France, et d’une manière intimement personnelle, Obama penchait du côté de Ouattara pour plusieurs raisons. L’une de ces raisons est que, à l’instar de son regard sur Abdoulaye Wade, Obama voit en Ouattara une autre figure de père, métis matrimonial.
Mon Cher Pancrace, que retenir de cette rapide mise en regard sur la politique et la biographie du président Obama ? Eh bien l’influence de celle-ci sur celle-là, peut ne pas sauter aux yeux mais dans le cas d’Obama, les liaisons biographiques causales évoquées ne relèvent pas toutes d’un délire associatif : elles ont à mon avis une cohérence psychologique. Et l'Afrique est un terrain où leur effet peut se mesurer. Les Blancs disent facilement d’un métis qu’il est noir, comme les Noirs disent d’un métis qu’il est blanc. Il est curieux que dans le cas d’Obama, les Noirs, tous autant qu’ils sont, aient abandonné leur parti pour celui du blanc ! Mais est-ce vraiment naïf ou sincère de dire de quelqu'un qui est sorti du ventre d'une femme blanche qu’il est un noir ? Obama est un métis. Et c'est quelque chose en soi d'être métis. La préférence d’un métis à un Noir, comme toujours c’est le cas chez les Blancs, fait partie d’un gradualisme darwinien qui n’est que la dénégation symbolique du racisme anti-noir. Le tact d’Obama et son intelligence lui recommandent de ne pas faire excès de zèle idéologique vis-à-vis de sa supposée identité noire. Il est vrai qu'aux États-Unis, la population noire a faim de reconnaissance. Elle éprouve une fierté légitime de s'abriter derrière cette image communautarisée d'autant plus que, dans l’histoire sociale américaine, le métis a été naturalisé noir, selon le fameux principe du one drop rule. ( une goutte de sang noir suffit pour être noir) Mais cette négritude est externe non pas au sens physique du terme mais plutôt dans ce que les représentations sociales ont d’objectif. Alors que, sur le plan purement psychologique et dans ses motivations non-avouées, parce que pas toujours conscientes, Obama n'a pas la négritude combative d'un Césaire ou d’un Mandela. Et son rapport à l’Afrique, fait de froideur, de calculs et de distance, ne devient compréhensible que sous l’angle personnel de l’identification biographique.
Mon cher Pancrace, je sais que ma réponse n’épuise pas la pertinence de ta question, mais elle a le mérite d’épouser sans réserve son principe. Et cette convergence heureuse prouve si besoin en est une proximité de vue que conforte l’amitié.
Bon séjour aux US, et à bientôt !
Binason Avèkes
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Il va sans dire que dans le fond, la couleur en tant que telle n'est pas la raison de notre domination. Puisque la preuve est faite que ceux qui nous dominent ne détestent pas tout ce qui est noir, ni tous ceux qui sont noirs. Le plus important est ce dont la couleur est le signe. Ce à quoi renvoie la couleur qui, dans le champ sémantique de l’antinégrisme, n’est qu’un signe parmi d’autres : le noir, les cheveux crépus, les lèvres lippues, l’animisme, la polygamie, les sacrifices humains, l’Afrique subsaharienne, l’esclavage, les tropiques, la chaleur, les maladies, la pauvreté, la famine, les guerres, etc. Il est remarquable de noter que l’enrichissement de ce champ sémantique obéit à une dialectique circulaire performative. En clair, un nouvel élément fait son entrée dans la liste sur la base de l’action inspirée par tout ou partie d’éléments préexistants de la liste. En somme, sur une base éminemment préjudicielle, la couleur renvoie au fait d'être Noir -- c'est à-dire un « homme inférieur, brut, sauvage, qui n'a rien inventé, ne mérite pas les richesses de son sol et de son sous-sol et qui, comme le disait Ernest Renan, est créé par Dieu pour servir aux grandes choses voulues par le Blanc ». Et ce fait-là a une importance en tant que prétexte. Avec le Noir, l'idéologie antinégriste est parvenue à faire rimer tout une foule de défauts et de vices qui sont censés être le contraire des qualités que les Blancs s'attribuent, à commencer par l'opposition irréductible du blanc et du noir. Comme l'antisémitisme, l'antinégrisme est une réalité, il a une histoire, et a laissé derrière lui « une longue rigole de sang noir» dans un champ obscur de crimes et de viols pluriséculaires. A l’évidence, la motivation effective du racisme anti-noir et de la domination reste l'exploitation, la spoliation, le pillage et l’accaparement des ressources humaines, et des matières premières de l’Afrique. On méprise l’Afrique pour la dominer, et on la domine pour exploiter ses richesses humaines et matérielles. Mais l’Afrique n’est pas la seule terre riche en matières premières au monde, bien que nous soyons de tous les peuples de la terre ceux sur lesquels l’Occident capitaliste s’acharne le plus. La Norvège a découvert le pétrole off-shore, mais combien de nations occidentales essayent de déstabiliser ce pays pour se rendre maîtres de son pétrole, comme on le voit au Nigéria, en Côte d’Ivoire ou au Congo ? L’entreprise de domination de l’Afrique et de pillage de ses ressources a sa motivation autrement plus pesante qu’une simple affaire de couleur ; mais cette motivation et la capacité de la mettre en œuvre n’autorisent pas à balayer d’un revers de main la réalité et la fonction du racisme en général et du racisme anti-noir en particulier
Rédigé par : Tonakan. | 12 juin 2013 à 00:37
C'est vrai, Obama est un métis noir-blanc! mais il est d'abord américain! La question est de voir si dans la défense des intérêts américains il peut faire preuve de plus de bon sens et de justice que les présidents américains passés! Son avènement à la présidence des État Unis est un événement significatif pour les État Unis, cela ne change pas la problématique de fond pour les états d'Afrique subsaharienne, (dite Afrique Noire, la seule région du globe désignée par la couleur de peau de ses habitants!). Notre couleur n'a pas une grande importance dans le traitement qui nous est infligé, à part de servir de paravent! Kadafi n'est pas un noir, il fut assassiné parce qu’il gênait les intérêts néo-coloniaux! A contrario,les présidents Bongo, Biya, Boni, ... ne sont pas des blancs mais puisqu'ils livrent leur pays à l'esclavage des puissances d'argent, ils sont protégés par ces dernières! Voila l'équation !
Rédigé par : Cyprien K. A. GNANVO | 11 juin 2013 à 11:57
La véritable tragédie de l'Afrique c'est que, s'il n'y avait pas eu Obama le soi-disant Président Noir aux États-Unis, et qu'à sa place il y avait plutôt un Président Blanc, alors les Cameron et autres Sarkozy n'auraient pu lancer leur croisade raciste sous le masque trompeur de la démocratie en Afrique. Car le Président Blanc aurait eu peur que le caractère néocolonialiste et raciste des renversements brutaux de Gbagbo par l'Armée française, de Kadhafi par les armées occidentales coalisées sous l'égide de l'ONU, le déferrement de l'un devant la CPI, et l'assassinat crapuleux de l'autre pour effacer des traces de corruption avérées et d'autres magouilles innommables du même tonneau, toutes ces atrocités crapuleuses et racistes n'auraient pas eu lieu sous un président américain blanc ! Or le soi-disant président noir a servi de caution à ces crimes, parce que, à partir du moment où on l'a décrété noir, on ne pouvait plus l'accuser de cautionner des actions racistes contre une race dont il est censé être ressortissant... Et le tour est joué. Cette posture de passivité, de caution et de faire-valoir qui est la sienne, Obama, en est-il conscient ? En tout cas, les dirigeants crapuleux des nations racistes et néo-coloniales de l'Europe, l'ont bien comprise qui s'en sont donné à coeur joie de la manipuler..
Rédigé par : Tonakan. | 09 juin 2013 à 20:02