Mon cher Pancrace,
J'ai reçu ta lettre dans laquelle, aussitôt retourné au Bénin en cette chaude période électorale, tu m'indiques la lecture d'un article publié dans un des journaux sous contrat du gouvernement Yayi ; Le Matinal pour ne pas le nommer. Je te remercie de la promptitude et de l'amicale bienveillance avec laquelle tu as tenu à m'informer, comme à ton habitude, de tout ce qui touche à l'actualité de notre pays.
Et de fait, aussitôt que j'ai pu, j'ai pris connaissance de l'article en question et l’ai lu à tête reposée pour en comprendre l'intention et les moyens. Toutes choses qu'à mon tour, j'ai le plaisir de partager avec toi. À ta question : « n'est-ce pas là de l'intox à dormir debout? » je ne réserve pas ma réponse : elle est : oui ! À 100 % ! J'abonde dans le même sens que toi, c'est de l'intox dans ses moyens comme dans ses intentions.
D'abord pour ce qui est des moyens, il y a la rhétorique de l'indignation dont le soi-disant Lima Pierre abuse à n'en plus finir, ce qui finit par en trahir le caractère parfaitement chiqué. On ne compte pas moins de 28 points d’exclamations ou d'interrogation dans ce petit texte, presque autant que dans une œuvre classique de Molière ou de Racine. Plus indigné que notre homme, tu meurs. Indigné et qui prétend bien causer le français. Il y a le jugement implicite que celui qui écrit des phrases correctes et énonce ses idées avec rigueur est intelligent ; et celui qui est intelligent a toujours raison. Indépendamment de l'objectivité ou de la validité de ce qu'il dit. Avec son discours et son langage trempé dans la sueur de l'indignation et le gongorisme soutenu de ceux qui confondent verbiage et idées, notre homme serait capable moyennant de belles phrases truffées de points d’interrogation de nous dire que le cercle est carré. Et résoudre ainsi l’antique problème de la quadrature du cercle. Voici pour la rhétorique qui est censée impressionner le commun mais qui ne recouvre en fin de compte qu’un raisonnement léger, partisan, partielle, partiale, et passablement douteux.
L'autre aspect du moyen c’est que l'homme se présente comme – tiens-toi bien, mon cher ami – ancien professeur de l'EIA, et ancien avocat au barreau de Paris. Dans les deux cas et avec la subtile précaution de l'ancienneté, il excipe de la référence à Paris. Ville capitale des lumières capitale, vers laquelle ou de laquelle il faut parler pour être entendu ; ville de référence du savoir où lorsque l'on dit qu'on y est professeur ou avocat, ce n'est pas tout à fait la même chose que d'être professeur à Dangbo ou avocat au barreau de Parakou ; tu vois ce que je veux dire…
Pour ce qui est du barreau de Paris vu que notre bonhomme se dit ancien et que le scope est très large, je n'ai pas cherché à voir ce qu'il en est vraiment ; j’aurai plus de chance de vérifier que Ouanilo Béhanzin a été avocat au barreau de Paris que de savoir si cet inconnu sorti de nulle part et tout fumant d'indignation y a étrenné sa toge comme il le prétend. Mais pour ce qui est de son passé d'enseignant à l'IEA, je n'ai pas manqué de faire la recherche. J'ai d'autant plus cherché à savoir que mon épouse enseigne dans la section chinoise de cette école fondée seulement en 1979. Et toutes recherches faites auprès des personnes et sources compétentes, il ressort qu'aucun enseignant béninois de cet établissement depuis sa création ne porte le nom de Pierre Lima !
Les moyens utilisés par notre Pierre Lima confinent donc à l'affabulation ou plus exactement, il y a de fortes chances que ce Pierre Lima ne soit qu'un personnage fictif. Façon de se présenter de la tourbe infecte des plumitifs stipendiés pour défendre la cause perdue du régime Yayi en se parant des oripeaux de la grandiloquence et des titres ou situations professionnelles fictifs.
Ayant fait le tour des moyens, mon cher Pancrace, venons-en maintenant aux intentions proprement dites. Sous les dehors de l'objurgation véhémente, le but de ce que tu as raison de considérer comme de l’intox est de faire passer le coup d'état de Yayi en contrebande, de le naturaliser pour le faire digérer par les Béninois.
Notre ancien avocat au barreau de Paris ou prétendu tel se fait aussi l'avocat du respect des institutions. Et considère que toute atteinte, aussi légère soit-elle, est une façon d'ouvrir la boîte de Pandore. Et que pour rien au monde et pour l'amour du Bénin qu'il proclame la main sur le cœur – avec un soupçon d'accent manichéen – pour rien au monde, dis-je donc, il ne faut s'aventurer à ouvrir cette boîte. Ouvrir cette boîte, c'est-à-dire en l'occurrence tenter de reporter les élections ; de ne pas les avoir comme on dit, à bonne date ; mais cela touche aussi à la proposition que font certains de faire passer une loi dérogatoire afin de se donner le temps de résoudre les problèmes complexes soulevés par la LEPI et l'organisation des élections en 2011. Le raisonnement se veut légaliste. Comme ce qui se fait en Côte d'Ivoire actuellement ou une interprétation légaliste donnerait raison automatiquement à M. Gbagbo alors qu'en réalité les choses ne sont pas aussi simples et ne sauraient tenir dans le seul corset du raisonnement légaliste. Mais le choix d'un tel raisonnement est aussi subtil que délibéré. Toute la démarche est téléologique ; elle vise à donner raison et renfort au coup d'état de Yayi, en le déniant pour ne parler que de la mise en danger de la démocratie par ceux qui essaient de sortir du piège dressé pour eux par le régime dont le sieur Pierre Lima se fait l'avocat en dépit de ses proclamations d'objectivité, de sa rhétorique de l'indignation et de ses accents de démocrates progressistes blessés dans ses convictions profondes. Mise en scène rhétorique pour le moins exaspérante.
Les institutions, rien que les institutions et leur bon fonctionnement dont dépend la survie de la démocratie béninoise. Tiens : « voilà donc, dit-il la main sur le cœur, que mon pays le Bénin, jusqu'ici loué à l'extérieur pour son antériorité dans l'innovation démocratique en Afrique, qualifié à ce titre de laboratoire de la démocratie, poussé au bord de la crise nerveuse et vers l'incertitude républicaine » !
De même, notre avocat indigné cite-t-il à satiété la constitution dans ses articles consacrant les droits fondamentaux de l'homme, les libertés publiques qui « doivent être garantis, protégés et promus comme la condition nécessaire au développement véritable et harmonieux de chaque Béninois ».
Dans le dispositif de son raisonnement porté à la sauvegarde du bon fonctionnement des institutions, notre rhéteur stipendié place au centre la Cour Constitutionnelle dont il demande de quel droit ses décisions sont mises en cause par certains hommes politiques qu'il qualifie au passage gentiment de « frénétiques » et « compulsifs. » Le discours semble opposer le fonctionnement des institutions et la violation des lois. La violation de la constitution elle-même n'est considérée que sous l'angle du bon fonctionnement des institutions. De sorte que toute violation de loi ou violation de la constitution qui ne porte pas atteinte au bon fonctionnement des institutions est passée sous silence, ignorée, refoulée.
Mais le plus grave n'est pas la, mon cher Pancrace. Le plus grave se situe dans le caractère hémiplégique de la vision que notre personnage se donne du bon fonctionnement des institutions. Vision partielle et partiale, elle met délibérément hors jeu l'histoire et la réalité du rapport du régime de M. Yayi avec le jeu normal des institutions. Cette vision feint d’ignorer que Yayi Boni n'affiche un formalisme institutionnel que pour mieux violer la constitution ou le jeu des institutions dans leur esprit. M. Lima ne sait pas que Yayi s'est précipité pour installer une Cour constitutionnelle totalement aux ordres ; il ne sait pas que le président de cette Cour M. Robert Dossou, n'est pas seulement aux ordres de M. Yayi mais un militant acharné de son parti. M. Lima ignore le caractère récurrent et décomplexé de la violation de la constitution par M. Yayi Boni depuis qu'il est au pouvoir. Il ne sait pas que pour que l'édifice du jeu constitutionnel tienne debout chaque pierre est d'une utilité vitale. M. Lima ne voit pas que Yayi Boni a passé le plus clair de son temps à arracher des pierres à l'édifice du jeu institutionnel, comme et quand bon lui semble.
Dans sa mystification basée sur le consensus frauduleux du respect des institutions, notre rhéteur indigné commence par citer le préambule de la constitution béninoise dans lequel les droits de l'homme et les droits fondamentaux que sont les libertés publiques sont garanties. Et il va de soi dit-il que « cette garantie est partie intégrante du bon fonctionnement des institutions. » Or les questions du report des élections, de la loi dérogatoire ou même celles relatives à la modification de la constitution ont toutes leur origine dans le problème épineux posé par la LEPI et d'une manière générale par l'organisation des élections claires transparentes et à bonne date.
Et M. Lima feint de ne pas savoir que d'une manière générale, la palme de l'erreur en ce domaine ainsi que la responsabilité reviennent au chef de l'État avant de concerner certains hommes politiques, aussi « frénétique » ou « compulsive » que soit leur opposition. Cette erreur revient à un gouvernement qui a fait systématiquement la sourde oreille à la revendication de l'opposition d'organiser la LEPI de façon consensuelle. Revendication de bon sens et cohérente avec les objectifs de développement sociopolitique assignés à cet outil. M. Lima ne sait pas que la volonté de faire une LEPI sur mesure fait partie d'un plan machiavélique savamment arrêté par Yayi Boni et les siens dans le cadre d'un complot visant à confisquer le pouvoir. L’organisation du désordre et de la confusion autour de la LEPI a généré des dysfonctionnements et les nombreuses aberrations que trahit la LEPI. Ces dysfonctionnements et aberrations ont conduit à l'exclusion au bas mot de 1 300 000 électeurs ! 1 300 000 citoyens qui avaient voté aux dernières élections et qui sont privés de leur droit de vote ! Et M. Lima, avocat des droits de l'homme, ne trouve pas que priver le tiers des électeurs de leur droit de vote est une violation caractérisée des droits suffisamment graves pour mettre en cause la cohésion nationale et entraver de ce fait le fonctionnement normal des institutions. Car l'idée qu'il se fait du fonctionnement normal des institutions est celle qui consacre la normalité fondée sur le déni de la réalité de la gestion du pouvoir par M. Yayi Boni, de ses intentions anticonstitutionnelles, de ses projets putschistes dont le désordre instauré autour de la LEPI n'est qu'une étape de la mise en œuvre rationnelle. Le discours légaliste hémiplégique, borgne, partiel et partial qui dénie ou ignore la responsabilité immense de M. Yayi Boni dans la question posée par le report ou la révision éventuelle de la constitution est tout à sa logique et n'a d'yeux que pour le bon fonctionnement des institutions. Il met en garde contre toute entorse à ce fonctionnement et ce pour quelque raison que ce soit. Le procédé est cousu de fil blanc. Il sous-entend que le bon fonctionnement n'a pas d'histoire ni de réalité mais seulement une forme. C'est pour cela que peut lui chaut que 1 300 000 électeurs de chair et de sang soient lésés dans leur droit électoral. À partir du moment où d'une manière acharnée, subtile et subreptice, M. Yayi Boni s'est arrangé pour que sa volonté de puissance et ses intérêts politiques se confondent avec l'idée qu'il se donne du bon fonctionnement des institutions, eh bien tout le reste doit s'effacer ! Place au bon fonctionnement des institutions démocratiques qui a fait de notre pays le laboratoire de la démocratie que le monde entier lui envie. Mais M. Lima sait-il qu'à en juger par ses palmarès des cinq dernières années, le fameux laboratoire démocratique du Bénin dont il parle avec tant d’ardeur et de conviction a perdu toute valeur de référence ? Ou bien pense-t-il que cette valeur attendra le report éventuel des élections ou une éventuelle loi dérogatoire pour disparaître corps et âme par enchantement ?
Le clou du discours – la chute dirait les nouvellistes, puisque nous nageons en pleine fiction avec M. Lima– la chute dis-je donc se situe dans la démarche tactique de concession opérée généreusement par M. Lima pour atteindre son but : faire consommer aux Béninois la LEPI truquée et tronquée de M. Yayi, ensevelir la conscience collective dans le tombeau d’un coup d'état savamment planifié et où chacun – des partenaires financiers aux hommes politiques complices éblouis par des milliards en passant par des mercenaires stipendiés de son acabit – où chacun, dis-je, a son rôle à jouer.
M. Lima a fait l'aveu des aberrations de la LEPI. Et il prétend que lui-même en a été victime de même que certains membres de sa famille. Mais qu'à cela ne tienne, ce n'est pas très important ! Pour lors aucun sacrifice n'est trop grand pour assurer le bon fonctionnement des institutions. C'est ce qu'on appelle véritablement « payer de sa personne. » La cause défendue par M. Lima est si chère à son cœur, si grave aussi qu'il nous montre dans un geste exemplaire, presque christique, comment il s'est sacrifié pour elle. Et il nous invite la main sur le cœur au même sacrifice. La démarche tient presque du protreptique. Nous sommes en pleine rhétorique classique. Selon Aristote, l'un des buts de la rhétorique est d'amener l'auditeur ou l'auditoire sur la position de l’orateur, de le convaincre ou de l'inciter à changer d'avis. Mais M. Lima se trompe. Les intellectuels béninois ne lisent peut-être pas comme il se plaît à le dire ; mais ses lectures à lui semblent s'être limitées aux seuls manuels éculés des sophistes. Et le peuple béninois n'en est pas dupe. Le peuple béninois est en prise directe avec le réel. Sa conscience est claire. Le peuple ne se laissera pas impressionner par l'indignation apprêtée d'un sophiste stipendié qui cherche à l’entourlouper. Façon de continuer sur le mode rhétorique l'imposture éthique et politique de M. Yayi. Le peuple béninois sait que le respect du bon fonctionnement des institutions commence par le respect de ses droits d’électeur. Le peuple béninois sait que le bon fonctionnement des institutions commence par le respect au quotidien de la constitution elle-même dans sa lettre comme dans son esprit. Tout le contraire de ce que M. Yayi a fait durant ces cinq dernières années. Toute considération qui feint d'ignorer cette réalité est une imposture intellectuelle drapée dans un discours creux et, par certains côtés, imaginaire.
Voilà mon cher Pancrace, ce que je pense de l’opération d’intox de Monsieur Yayi Boni, qui se bat pour la réussite de son coup d’Etat. Tu peux voir toi-même comment nous sommes tombés très bas sur le plan éthique puisque nous avons affaire à une venimeuse engeance de fossoyeurs de la démocratie, qui se drape dans les faux oripeaux de ses défenseurs ; nous avons affaire à des va-t-en guerre qui préparent le chaos pour notre pays, et qui poussent de hauts cris de la vertu offensée ! Que dire d’autre que de crier « honte à eux » ?
Et honneur à toi, cher ami qui m’a offert de par tes questions pertinentes l’occasion de les démasquer !
A bientôt, pour la prochaine bataille !
Binason Avèkes
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