Cher Pancrace*, Dans ta dernière lettre, tu évoques l’affaire cocasse du moment à savoir l’arrêt provisoire des émissions de Radio Capp FM, la Radio de Jérôme Carlos, suite au sermon au vitriol de Dame Dagnonhouéton et tu me demandes, sûr de ton fait, “Pour qui roule-t-elle au juste ?” Par là, je suppose que tu veux savoir qui sont les groupes politiques dont elle est la voix médiatico-religieuse. Pour répondre à ta question, je pense qu’il faut d’abord situer le propos et l’acte incriminé. Une voix jusque-là inconnue dans le monde médiatico-politique, à l’occasion d’une émission contractuellement diffusée sur une radio de grande écoute, apparaît sur les ondes au travers d’une ONG nommée La Voix de la Sentinelle, l’Etoile Brillante du matin. Le sermon sacrifie aux règles du genre et se drape dans les oripeaux du discours mystico-biblique avec référence exaltée au Christ et à Dieu. Dans ce sermon d’une rare frontalité critique, se déroule ensuite le bilan noir du régime Yayi depuis ces 3 dernières années, avec l’index verbal directement pointé sur le Président de la République, directement pris à partie. Le titre du sermon donne le ton de l’acuité rhétorique du propos, et proclame d’entrée : “tout est découvert et nous avons tout compris.” Il s’agit d’une entreprise de mise à nu de ce qui jusque-là serait la nature cachée du régime, de ses actes et de ses pratiques et intentions. Le dispositif rhétorique use de ce fait de l’antienne anaphorique à la Martin Luther King, qui permet de décliner les éléments de critiques principaux contre Yayi Boni et son régime. Tous les travers et poncifs anti-Yayi y passent : depuis ses atteintes à la Démocratie, jusqu’à la mauvaise gestion et la corruption en passant par le gouvernance à vue et l’inexistence d’un plan d’action cohérent. Les attaques ad hominem sont dures et souvent manient l’allusion, les insinuations et parfois des accusations d’une certaine gravité. Certaines insinuations même peuvent être considérées comme border line. Mais le propos doit être apprécié dans le contexte du discours politique polémique avec ses excès, et ses diatribes qui constituent l’essence du débat démocratique et l’expression libre de la pensée. Ainsi située, l’oratrice, malgré sa verve sagittale, sa rhétorique subtile, sa voix chevrotante, ses répétitions acérées, son éloquence biblique et ses arguments incisifs ne semble pas nouveau dans le landerneau des prêtres et prêtresses de l’évangélisme politique, mélange des genres à usage de conditionnement politique. Mélange prisé par le nouveau régime et son chef, qui lui ont donné ses lettres de noblesse et dont les adeptes et gourous les plus actifs se comptent en leur sein. Il est vrai que l’orientation de leur homélie, de leur propos et de leur discours, entre messe de bénédiction, marches de soutiens, prières et offrandes propitiatoires, est plutôt positive et favorable au régime. La différence avec Dame Valdave Dagnonhouéton est que nous avons affaire à une orientation critique et négative : pour une fois l’évangélisme politique prend les allures d’une espèce de théologie de la critique du régime et de l’opposition frontale. Alors, du coup pour répondre à ta question, on peut penser que Dame Dagnonhouéton roule pour l’opposition. On peut penser que derrière elle se cachent des partis de l’opposition, qui essaient d’utiliser le même dispositif de manipulation des âmes sur fond de la rhétorique biblique à des fins bassement politiques. La rapidité avec laquelle l’Un et notamment l’un des ténors de l’Un ont dénoncé l’excommunication médiatique de la nouvelle passionaria et la fermeture provisoire de la station qui lui prêta voix, peuvent laisser penser qu’il s’agit d’une réaction d’arrière-garde bien fondée. Mais à y voir de près, il semble que ce soupçon, bien que logique, ne soit pas fondé dans les faits. Il y a deux raisons au moins qui étayent ce doute. Premièrement il y a la réaction du régime, qui n’a pas craint de charger un peu sa propre barque sur le terrain de la répression de la liberté d’expression – terrain déjà considérablement miné – et la violence et la rapidité même de cette réaction. Ces éléments font penser plutôt qu’en interdisant d’antenne Dame Dagnonhouéton, Yayi Boni et les siens ne pensaient pas avoir affaire directement à l’opposition, mais plutôt au camp du changement lui-même. Pas directement dans la mesure où comme c’est de bonne guerre en Démocratie toute erreur du pouvoir est allègrement exploitée par l’opposition. Mais hormis cet aspect, la violence et la promptitude de la réaction de bannissement de l’impertinente prêcheuse semblent indiquer qu’il pourrait s’agir d’une histoire de linge sale, qui aurait échappé à la buanderie familiale. L’opposition certes peut vouloir utiliser la même méthode que le pouvoir, mais cela ne lui ressemble pas essentiellement, elle qui a jusqu’ici critiqué ces méthodes du régime, et qui s’arcboute de façon cohérente à une démarche de rationalité légale incompatible avec la mise en jeu du délire religieux au service de la communication ou du débat politiques. En revanche, il est plus cohérent d’imaginer que cette dame est une réchappée du marché religieux de la communication politique du régime. Et qu’elle serait la voix de fractions dissidentes au sein même du régime. Il n’y a qu’à voir le caractère éminemment synthétique de la critique formulée dans le sermon pour se rendre compte qu’elle constitue jusqu’à la limite du poncif, le b-a-ba de ce qui est jusqu’ici reproché au régime par l’opposition ; discours que des dissidents peuvent facilement utiliser pour se positionner de façon dangereuse vis à vis de leurs anciens alliés avec lesquels ils ont perdu langue. Cette argumentation déborde sur la seconde qu’elle anticipe et complète. Le second argument est d’ordre logique et s’appuie sur l’analyse du discours. Dans le cœur biblique du sermon de Dame Dagnonhouéton, se trouve la référence centrale à un passage du livre d’Osée, qui donne sont titre au sermon : il s’agit des versets 12 à 14 de Osée 2. Pour illustrer le thème de la mise à nu avec le titre “Tout est Découvert” la prêcheuse cite les versets 12 à 14 d’Osée 2, que voici : “Et maintenant je découvrirai sa honte aux yeux de ses amants, et nul ne la délivrera de ma main. Je ferai cesser toute sa joie, ses fêtes, ses nouvelles lunes, ses sabbats et toutes ses solennités. Je ravagerai ses vignes et ses figuiers, dont elle disait : "C'est le salaire que m'ont donné mes amants !" Je les réduirai en une forêt, et les bêtes des champs les dévoreront. Je la châtierai pour les jours où elle encensait les Baals, où elle se paraît de ses anneaux et de ses colliers, allait après ses amants, Et m’oubliait, dit l'Eternel. Mais au-delà du thème de la mise à nu, de la révélation, on s’aperçoit qu'il s’agit surtout de l’expression d’un dépit amoureux qui se traduit par la vengeance sur fond de jalousie. A travers la vie personnelle de l’auteur d’Osée, Dieu signifie à l’endroit d’Israël son alliance déçue. A mon avis, Dame Dagnonhouéton n’est pas une novice dans l’art de manier le discours biblique. Son choix de ce livre d’Osée pas moins que des versets 12 à 14 ne sont pas faits au hasard. Or contrairement à l’impression d’objectivité et d’un rapport d’extériorité du sujet à son objet, Dame Dagnonhouéton, ou plus exactement la partie qu’elle incarne ne semble pas provenir d’une famille étrangère à celle qu’elle critique. La critique au contraire semble traduire des dissensions intra-familiales, des prises de position, et des divisions à l’intérieur des clans hétérogènes de la mouvance présidentielle. Cette voix de la Sentinelle pourrait bien cacher un règlement de compte qui s’appuie sur les méthodes de la théologie politique pour se défendre, attaquer, menacer, se positionner ou exprimer ses rancœurs. En clair et c’est sans doute de ce point de vue pain béni pour l’opposition, on peut penser que les couteaux sont tirés au sein de la mouvance du pouvoir, et qu’une guerre à mort s’y livre déjà. D’où, à mon avis, la violente réaction du pouvoir qui, en interdisant Dame Dagnonhouéton d’antenne, ne croit pas attenter du tout à la liberté d’expression mais pare au plus pressé pour éviter que le linge sale ne soit lavé au dehors de la famille. Pourquoi peut-on parler d’une affaire familiale, d’un conflit interne, voire d’une histoire d’amour déçue ? Eh bien, le choix spécifique du passage d’Osée le laisse suggérer, et le non-dit, ce qui est omis le trahit. En effet si Dame Dagnonhouéton s’appuie sur Osée 2 verset 12 à 14 pour bien marteler la thématique de la mise à nue, elle arrive difficilement à masquer celle du dépit amoureux. Mais ce qui trahit ce dépit amoureux n’est pas dans ces versets ; il est dans les versets suivants que Dame Dagnonhouéton prend bien soin d’ignorer. Or voici ce que disent les verset 15 et suivants : “Là, je lui donnerai ses vignes et la vallée d'Acor, comme une porte d'espérance, et là, elle chantera comme au temps de sa jeunesse, Et comme au jour où elle remonta du pays d'Egypte. /En ce jour-là, dit l'Eternel, tu m'appelleras : Mon mari ! et tu ne m'appelleras plus: Mon maître ! / J'ôterai de sa bouche les noms des Baals, afin qu'on ne les mentionne plus par leurs noms. /En ce jour-là, je traiterai pour eux une alliance avec les bêtes des champs, les oiseaux du ciel et les reptiles de la terre, je briserai dans le pays l'arc, l'épée et la guerre, et je les ferai reposer avec sécurité. /Je serai ton fiancé pour toujours; je serai ton fiancé par la justice, la droiture, la grâce et la miséricorde; /je serai ton fiancé par la fidélité, et tu reconnaîtras l'Eternel. /En ce jour-là, j'exaucerai , dit l'Eternel, j'exaucerai les cieux, et ils exauceront la terre” Donc le sens complet de la parabole d’Osée est tronquée ici et Dame Dagnonhouéton ne nous en a révélé qu’une partie pour les besoins de sa cause non seulement rhétorique mais aussi politique. La parabole d’Osée a une structure dialectique. Et comme telle, elle comporte la thèse, l’antithèse et la synthèse. L’auditeur non averti peut certes voir dans les versets d’Osée 2 choisis et le commentaire qui en a été fait une critique acerbe contre Yayi Boni et son régime, mis à nu. Mais le choix d’Osée pour illustrer le sermon comme l’omission de la synthèse de la parabole sont à eux seuls parlants. On peut penser qu’ils constituent un message adressé non pas à l’auditeur naïf mais aux membres du régime, aux évangélistes férus de lecture biblique et qui savent bien la promesse de réconciliation dont est grosse la colère de Dieu dans Osée. Pour toutes ces raisons, mon cher Pancrace, on reste perplexe devant les motivations et l’origine politique de Dame Dagnonhouéton et de son acte. Certes, l’idée qu’elle puisse être la voix religieuse au service de tout ou partie de l’opposition qui se plairait à utiliser les mêmes méthodes de manipulation que le régime est celle qui vient d’entrée à l’esprit. La passion polémique qui émane du discours et le ton vindicatif utilisé, le courage des propos laissent penser aussi que nous avons peut-être affaire à une Amazone politique qui ne s’en laisse pas conter et qui, à défaut d’être autonome, sait de quoi elle parle. Mais cette première approche semble battue en brèche par les deux arguments ici exposés. A savoir la réaction du pouvoir en place dont la violence et la rapidité semblent indiquer qu’il s’agit de mettre sous éteignoir le feu d’une dissension interne, sans égard à l’aspect respect de la liberté d’expression, qui était jusque-là son talon d’Achille. Mais plus logique, l’analyse du discours montre que le choix de la parabole d’Osée 2 et surtout l’omission délibérée de la synthèse qui met à nu la promesse et le rêve de réunification font de ce message de la Voix de la Sentinelle, un message crypté. Cette hypothèse n’est pas la plus simple ni la plus heureuse pour le régime. Elle est bien plus inquiétante que de simples attaques savamment orchestrées par l’opposition. Le cas échéant, elle met à nu la réalité de guerres intestines au sein du pouvoir. Le recours à la rhétorique de la théologie politique pour les règlements de compte montre que la guerre se déplace sur le marché des pourvoyeurs de maintenance symbolique, et qu’elle y fait d’autant plus rage que l’offre est supérieure à la demande. Qui tue par l’épée périt par l’épée dit l’adage. Si Yayi Boni, qui a promis l’émergence au Béninois s’était attaché à faire prévaloir la séparation des pouvoirs et aussi celle de l’église et de l’Etat, ce type d’intervention ne serait qu’un épiphénomène, une goutte d’irrationalité dans l’océan de la rationalité légale. Quelle que soit la vérité des motivations de la Voix de la Sentinelle, quelle que soit parfois les excès de ses attaques ou insinuations, l’irrationalité du mélange des genres qui caractérise son discours, la réaction disproportionnée du pouvoir montre que Dame Dagnonhouéton et son Etoile brillante du matin représentent bien la sentinelle de notre liberté. Dans l’espoir que mes tentatives d’explication ont apporté quelques éléments de réponse à ta question, je te prie, mon cher Pancrace, d’excuser mes longueurs et parfois l’obscurité de certains arguments, que je prends à mon seul compte ! Mais, je n’ai aucun doute que tu me pardonneras, car comment peut-on aller loin dans l'amitié, si l'on n'est pas disposé à se pardonner les uns aux autres les petits défauts ? Amicalement, *d'après une lettre originale à Pancrace du 15 Novembre 2009 Binason Avèkes |
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