Eh oui, mon cher Pancrace, tout porte à croire que l’information est vraie, et je comprends parfaitement ton indignation. Tout Africain digne le serait à moins. Oui le Cameroun a capturé huit Français combattant parmi les rangs du groupe terroriste Boko haram. L'événement qui s'est produit en tout début de l'année 2015 a été gardé secret. Un site militant seulement sur Internet a fait état de l’information qui a été reprise par deux ou trois autres. C’est pour cela que tu n’as pas trouvé grand-chose du côté des journaux officiels, car un blackout semble peser sur le sujet. La France, avec son paysage de presse sophistiqué, apparemment ne sait rien de cette nouvelle ; à moins que, consciente de ses intérêts nationaux cette presse ait choisi de fermer les yeux de façon cynique sur l'événement. Motus et bouche cousue, tel apparaît le mot d'ordre patriotique que toute la presse du pays de « je suis Charlie » s'est imposé sur toute la ligne, et au-delà de toutes les lignes. Dans le sillage de la presse française, la presse européenne, dans une belle unanimité, a ignoré l'événement. Même chose pour la presse outre-Atlantique, celle des États-Unis en tête, elle qui globaliste par nécessité, est à l’affût de toute information touchant aux questions de terrorisme. En un mot, les Blancs ont fait le black-out sur l'information en comprenant qu'elle n'allait pas dans le sens de ce qu'ils tiennent pour leurs intérêts, en tant qu'occidentaux. Mais, comme tu le demandes toi-même de façon sans doute rhétorique « quel est cet intérêt occidental en Afrique dont la France serait la gardienne sinon le chacal ? » Sûrement cette histoire du néocolonialisme et de la nécessité vitale de continuer à exploiter un continent que les Blancs considèrent comme naturellement crée pour être exploité par eux. Et ce, d'autant plus dramatiquement qu'ils sont frappés--surtout en Europe--par la crise, au moment même où partout ailleurs, d'autres pays moins inhumains à l'égard de l'Afrique, plus respectueux de son humanité, s'y intéressent et pourraient leur damer le pion : Brésil, Inde, Russie et surtout Chine…oui, le grand dragon chinois qui fait figure de péril jaune… Le néocolonialisme traditionnel de la France a été donc dopé, remis en selle et collectivement entériné pour sauvegarder les intérêts de l'Occident, et cela est bien compris par tous ainsi, de l'Europe aux États-Unis. Cela pourrait expliquer le silence de nécropole de la presse occidentale, toutes catégories confondues, elle qui se permet de dispenser à longueur de temps de brillantes leçons sur la liberté d'expression et le professionnalisme en matière de presse. Quand on observe le sujet incriminé, on est perplexe quant à la cause de ce silence. Pourquoi les Blancs ne veulent pas que le monde apprenne qu'il y a des Blancs qui combattent dans la secte Boko haram en Afrique de l'Ouest, responsable de tueries sauvages, de destructions de biens, de désorganisation des États, de vols, de viols et d'enlèvements à tout va ? Parce que ces activités barbares et criminels les font rougir de honte que l'on sache qu’ils y sont associés de loin ou de près. Ils auraient voulu rester dans la représentation manichéenne raciste habituelle d'une Afrique sauvage dont les habitants s'entretuent entre eux au nom de la religion ou de la tribu. Et voilà que la capture de quelques Blancs parmi ces fous de Dieu prouve qu’ils ne sont pas tous noirs, ni ténébreux comme la nuit sauvage dans laquelle l’Occident se plaît à enfermer l'Afrique mais blancs aussi, comme la lumière dans laquelle il se drape volontiers. La gêne des Occidentaux est d'autant plus intrigantes qu’ils ne nous ont pas habitués à la même précaution dans des cas similaires, ailleurs dans le monde. Depuis des mois, la presse occidentale égrène jour après jour, pays par pays, nation par nation l'engagement de citoyens européens dans les guerres qui se déroulent au Moyen-Orient, de l'Afghanistan en Syrie en passant par l'Irak. Cet égrènement d'identité nationale des aventuriers européens de la guerre frise parfois chez certaines nations si friandes de reconnaissance internationale, une espèce de fierté impudique de se savoir comptées parmi les contributeurs à ce mercenariat guerrier d'un nouveau genre. Comment se fait-il alors que, lorsque la même chose se produit en Afrique, les mêmes Occidentaux, tout à coup, n’ont plus la conscience en paix et se voilent la face ? Que cache cette gêne, ce silence et cette censure spontanée ? Si l'Occident voulait accréditer la thèse qu'il n'est pas étranger aux troubles qui se fomentent en Afrique sous le nom de Boko haram et d'autres organisations terroristes qui sévissent sur le continent notamment en Afrique de l'Ouest, il ne s'y prendrait pas autrement. Car la seule culpabilité d'avoir saigné les Noirs d'Afrique par le passé--à travers la traite et le colonialisme-- ne suffit pas à justifier cette réserve insolite que manifeste la presse occidentale par son silence total sur l'appartenance d’Européens et notamment de Français au groupe terroriste Boko haram. Mais plus lamentable encore -- et là je partage entièrement ton indignation -- est la position de la presse camerounaise elle-même ainsi que du Cameroun. Le gouvernement camerounais n’a pas annoncé la nouvelle et de ce point de vue, tout se passe comme si c’était un non-événement. Du côté de la presse camerounaise, c’est le même silence de nécropole. Aucun journal camerounais n'a fait état de l'information, bien qu'on ne puisse penser qu'elle soit, dans sa diversité, si sourde ou si aveugle au point de n'en avoir rien su. Le seul journal africain qui fait tardivement état de la nouvelle est le journal nigérian Thisday, qui cite des sources militaires et gouvernementales camerounaises. Le journal nigérian laisse entendre l'indignation du gouvernement camerounais à propos d'un hypothétique ordre émis par Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française, d'une restitution immédiate des combattants français capturés pour qu'ils soient jugés en France. Et d'ajouter, dans la veine du nationalisme théâtral auquel font recours volontiers les Africains lorsqu'émerge une contradiction d'intérêts entre eux et leurs maîtres occidentaux, « que le Cameroun n'est pas un boy de la France… » Mais mon cher Pancrace, comment accréditer la sincérité d’une telle indignation alors que pas un seul journal du pays de Paul Biya n'a fait état de l’affaire ? Comment comprendre qu'une telle information ait été tenue sous le boisseau par tout un pays qui, dans le même temps, veut que l'on croie à la sincérité de sa revendication de dignité nationale quant au refus de se faire dicter par l'ancienne puissance coloniale un ordre de restitution attentatoire à sa souveraineté ? En fait ce qui saute aux yeux dans cette affaire c'est l'évidence des tractations entre la France et le Cameroun. Apparemment, tout porte à croire que les conditions fixées par la partie camerounaise à la France pour restituer les prisonniers tardant à être acceptées -- dans un État de droit, difficile de faire passer les magouilles néocolonialistes, fussent-elles enrobées du secret de la diplomatie, sans prendre des précautions, y réfléchir par deux fois -- on a certainement essayé par chantage d'ébruiter la nouvelle du côté nigérian, en y mettant les formes pour sauver les apparences. Probablement, comme cela se passe toujours en Françafrique, si les négociations secrètes entre le Cameroun et la France avaient abouti, le blackout décrété sur cette information de la capture de huit combattants français de Boko haram aurait continué sans la moindre entorse. La loi du silence décrétée par l’Occident et fidèlement appliquée par sa presse au nom de leurs intérêts bien compris aurait prévalu aussi en Afrique comme elle l’a été du reste jusqu'à un certain point et un certain temps. Ce qui se fait spontanément et par libre-arbitre en Occident, se fait en Afrique par diktat et soumission. Pourquoi le gouvernement camerounais n’a pas cru devoir confirmer publiquement l’information ? Tu as tout à fait raison de poser la question. Et moi j’ajouterais : Combien d’Africains a-t-on consultés pour savoir si la capture des huit français combattant aux côtés de Boko haram doit être tenue secrète ?
Mon cher Pancrace, l’indignation ici est légitime. Il est temps que ceux qui nous dirigent sachent que les intérêts et la dignité africains et les intérêts et la dignité occidentaux, à défaut d'être antagonistes comme l'ont toujours posé ceux-ci à travers l'histoire, sont au moins différents. Et il n'y a que les Africains pour défendre les intérêts et la dignité africains.
J’espère par ces explications avoir contribué à calmer ta légitime colère. Car le savoir est le meilleur antidote à la passion. Puisse la sagesse éclairer nos dirigeants afin qu’ils tiennent haut l’étendard de la dignité africaine.
Plus haut que jamais, l’étendard de notre amitié,
A bientôt
Binason Avèkes
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