Ma Chère Rozanne,
Avec la réactivité percutante et le franc parler qui te caractérisent, aussitôt entrée en possession de la déclaration de Maître Adrien Houngbédji sur la situation politique du pays à la veille des élections, tu me fais part de ton sentiment, marqué par ce que tu appelles ton “désaccord rhétorique”. Dans ta lettre tu me dis que “Me Adrien Houngbédji reste vague et parle comme si les exclus de la Lépi étaient des exclus aléatoires, alors que, comme le craint à juste titre l’honorable Janvier Yahouédéhou dans une déclaration faite le même jour, il s’agit d’un vaste et sordide montage d’une situation de non droit pour ne pas faire les élections à bonne date, ou le cas échéant pour en fausser les résultats par exclusion délibérée des électeurs favorables à l’UN.
Chère amie, la question que tu soulèves ne manque pas de sens, bien que, puisque tu parles de rhétorique, Me Adrien Houngbédji, en tant que candidat unique de l’UN a peut-être ses raisons de rester sobre dans le ton et ferme dans son propos. En effet, la question des exclus de la LEPI peut-être considérée sous deux angles.
1°/ Sous l’angle du droit et du respect des règles démocratiques. Et dans ce cas on pourrait déplorer cette exclusion en la considérant comme involontaire.
2°/ Mais la question peut être considérée aussi sous l’angle politique, et mise en rapport avec le comportement général de la mouvance présidentielle. Le refus a priori du consensus, la précipitation dans l’organisation de la LEPI, l’opiniâtreté comminatoire et les injonctions de la Cour-Dossou quant à son utilisation obligatoire, alors qu’à maintes reprises la possibilité d’une liste alternative a été soulevée par l’opposition. Il va de soi que dans ce cas, les oubliés de la LEPI l’ont été délibérément et sont régionalement marqués, dans un contexte socioculturel où la préférence électorale et le vote sont ethniquement motivés.
Dans ces conditions, dis-tu, ne pas dire clairement ce qu’il en est, comme l’a fait le Président Amoussou Bruno la veille et comme le fait Maître Adrien Houngbédji dans sa déclaration, en ne parlant que d’oubliés, comme si les oubliés n’était pas politiquement stigmatisés, et que c’est cette stigmatisation politique qui est la raison même de leur exclusion, cela ressemble à un excès de courtoisie inutile. Oui, je suis d’accord avec toi, ma chère Rozanne, car, pourquoi jouer les diplomates avec des crapules qui se sont jurés d’abuser de la bonne foi des Béninois ? Ne pas souligner les choses telles qu’elles sont, faire abus de sagesse c’est, par certains côtés, jouer le jeu des crapules. Et tu vas jusqu’à considérer que, dans la situation où le cynisme du pouvoir nous a conduits, abuser de l’understatement est un luxe. Sur le fond, je suis d’accord, mais à y regarder de près, dans l’attitude rhétorique de l’UN, exprimée aussi bien par le Président Amoussou et le candidat Adrien Houngbédji, est-ce vraiment d’un understatement qu’il s’agit ? Je ne crois pas. Je pense plutôt qu’il s’agit d’une prudence à la fois rhétorique et politique qui consiste à faire des revendications d’une organisation juste des élections, une demande objective et non pas partisane, une exigence dans l’intérêt du pays et pas seulement dans l’intérêt mesquin de leur parti. A mon sens, cette prudence évite de tomber dans le piège de Yayi Boni, qui aurait été à l’aise qu’on eût retourné à ses provocations un discours inverse de provocation. Or une telle logique de surenchère ne fera qu’obscurcir une situation que l’UN a tout intérêt à clarifier. Il faut remarquer que la seule exigence de prendre en compte les exclus de la LEPI, aussi minimale soit-elle à première vue, suffit à elle-même et constitue une exigence objective qu’aucune partie – que ce soit du côté national comme du côté des partenaires techniques, financiers ou partenaires au développement comme on appelle désormais les Blancs qui nous surveillent – ne peut sous-estimer. Au contraire en dire plus à l’étape actuelle où nous sommes et où l’un des points forts de la déclaration du candidat Houngbédji est d’en appeler à une table ronde de tous les parties et de toutes les parties prenantes dans l’organisation des élections, en dire plus, vois-tu ma chère amie c’est de l’overstatement. Et c’est cela – l’overstatement – qu’ont voulu éviter l’UN et son candidat. Et leur attitude rhétorique me paraît de ce point de vue bien avisée. Refuser de faire de l’overstatement ce n’est pas, tu en conviendras faire de l’understatement…
Mais cela étant dit, la question que tu poses est pertinente. Yayi et sa bande ont montré pendant tout le temps de leur gestion du pouvoir, et dans toutes les affaires qu’ils ont eu à traiter leur haut degré de crapulerie – semant derrière eux des victimes et des emprisonnés servant de boucs émissaires à leur crimes, qu’à un moment donné, il faut bien mettre les points sur les i, et leur parler sans détour. À l’heure où la concertation est de mise, est-ce bien le temps ? Certes, dans le même temps avons-nous le temps avant de ne plus en avoir ? C’est dire toute l’urgence et l’opportunité de ta question, chère amie et, bien conscient de n’y avoir répondu que de biais, je te sais gré de l’avoir soulevée
Binason Avèkes
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