Jusque là et durant la quasi-totalité de son règne, Yayi Boni n’a pas brillé par son souci de l'intégrité territoriale du Bénin. Les grignotements continus du territoire national, du nord au sud, de l'Est à l'Ouest par nos voisins l'ont plutôt laissé de marbre, même lorsqu'ils heurtent le sentiment patriotique de ses concitoyens. Il est vrai que, en bon autocrate, confiant en la machinerie d'autosatisfaction de sa propagande, M. Yayi se contente volontiers des inepties qu'elle promeut, à l'exclusion des vérités rationnelles qu'il méprise cyniquement. Mais voilà que tout à coup, l’homme s'intéresse aux frontières du pays qu’il dirige. Mais, comme tu le vois, c'est un intérêt tout particulier, exclusivement focalisé sur le Nigéria. Il y a quelques semaines, sous prétexte d'apporter sa modeste contribution à la lutte contre Boko haram--et bien que ce groupe terroriste sévisse plus à l'est du côté du Cameroun qu’à l'ouest, Yayi Boni monte au créneau et propose l'envoi d'un bataillon de l'armée béninoise, préposé à la surveillance des frontières communes aux deux pays. Comme on le voit, au-delà de la lutte contre Boko haram qui n’est qu’un prétexte, l'initiative vise avant tout à susciter une mutualisation de l'action militaire entre les deux pays, mettre en place la jurisprudence d'une aide militaire réciproque informelle en cas de besoin. Hier, vendredi, Yayi Boni est allé inaugurer à Sèmè Kraké à la frontière Nigeria/Bénin le projet d'un poste douanier conjoint entre les deux états ; projet qui vise à plus d'efficacité dans le transit, et dans la lutte contre les mouvements des groupes criminels. Là encore, mon cher Pancrace, quelle que soit l'antécédence du projet, quelle que soit son utilité économique et pratique, on ne peut manquer de voir à nouveau le succès de cette bonne volonté politique de Yayi Boni dans la connivence frontalière entre le Bénin qu’il dirige et le Nigéria de son coreligionnaire Goodluck Jonathan. Alors on se dit que cette façon de prendre à la lettre la proximité et la dépendance réciproque des deux pays doit cacher des intentions et stratégies conjoncturelles ; dans la mesure où elle se cristallise autour de la banalisation de l'autonomie étatique du Bénin et de l'appel à peine voilé à l'interférence du grand voisin de l'Est. Ce soupçon de l'indifférence de Yayi Boni, sinon de son désir de l’ingérence du Nigéria dans les affaires béninoises n'est ni du délire associatif à l’état pur ni un excès de zèle patriotique infondé mais relève d'une vérité corroborée par les faits. Lorsqu'en 2011, Yayi Boni était en train d'opérer le holdup électoral qui allait lui assurer une réélection scandaleuse dont le Bénin a du mal à se relever, n'a-t-il pas amené Goodluck Jonathan pour qu’il gronde les Béninois, leur faire peur en les enjoignant de rester calmes, nonobstant les machinations électorales qui se fomentaient sur leur dos en plein jour ? Qu’il t’en souvienne, mon cher Pancrace, le motif que Jonathan avait fait valoir à l'époque était qu'il ne souhaitait pas avoir de guerre fratricide aux portes de son pays. Le holdup fut rondement mené, il n'y eut pas de guerre au Bénin non pas tant à cause des menaces de Jonathan mais parce que les grands caïds politiques et faiseurs de roi du Bénin en avaient décidé ainsi. Aujourd'hui, voilà que le même Yayi Boni multiplie les gestes de coopération transfrontalière entre le Bénin et le Nigéria qui, les uns après les autres, jettent un trouble quant à la préservation de la souveraineté de l'État et la légalité de son fonctionnement. Cette invitation ou carte blanche accordée au Nigéria à s'immiscer subrepticement dans les affaires béninoises sous prétexte de raisons sécuritaires ou techniques ne cache-t-elle pas un coup fourré de Yayi Boni ? N'aurait-elle pas partie liée avec l'analyse des stratégies policières en rapport avec les tensions dont sont grosses ses manœuvres en cours pour un troisième mandat ? Mon cher Pancrace, l'idée sous-jacente à cette question est celle-ci : Yayi Boni sait que le holdup de 2011 a réussi parce qu'il avait reçu l'aval plus ou moins hypocrite de tous les barons, bandits politiques et faiseurs de roi du système béninois dont seul Me Adrien était le dindon et la victime. Or, tel n'est pas le cas en ce qui concerne les fantasmes de troisième mandat de Yayi Boni. En l'absence d'un accord avec le système politique traditionnel, Yayi Boni sait qu'il devra alors faire face à la fronde, voire la révolte du peuple--et peu importe si celle-ci est spontanée ou manipulée par la coalition de ses nombreux opposants. Comme le lui a solennellement rappelé Me Adrien Houngbédji dans un discours prononcé lors d'un congrès de son parti, Yayi Boni sait que même les dictateurs les plus endurcis, à un moment donné, ne sont pas obéis par les forces de répression sur lesquelles ils ont pu compter pendant longtemps. Dans ce cas, Yayi Boni, à défaut de compter sur les forces armées du Bénin pour réprimer le peuple, ne pourrait-il compter sur l’aide du Nigéria ? Le prétexte éculé et fourre-tout de la lutte contre le terrorisme serait tout trouvé. Au lieu de venir gronder les Béninois comme il le fit naguère, sur demande de son homologue, Jonathan enverrait une troupe pour mater leur révolte. Même la seule idée que l'armée nigériane pourrait venir en aide à Yayi Boni sous prétexte de lutte contre le terrorisme suffirait largement à décourager toute velléité de révolte au Bénin. C’est du moins ce qu’espère Yayi Boni. Après tout, quoi qu'on dise, les menaces et mises en garde proférées par Jonathan en 2011 quand le holdup électoral s’ourdissait n'ont pas été sans impact sur la docilité subséquente des Béninois et des Béninoises.
Voilà comment je vois les choses, mon cher Pancrace. Mes explications relaient tes inquiétudes. Bien sûr, l'approche de la période électorale et la fin de règne constitutionnelle de Yayi Boni suscitent plus d'une interrogation. L'incertitude qui plane sur cette fin est propice à de multiples soupçons. Yayi Boni lui-même, ménageant le suspense, continue à souffler le chaud et le froid, à multiplier toutes sortes de ruses et manèges pour faire triompher ses fantasmes de pérennisation au pouvoir. Même si la coopération militaire informelle avec le Nigéria, pays frère voisin est chose normale, le soupçon, de son instrumentalisation politique par le régime en place dans le contexte d'un coup de force politique n’a rien d’un délire associatif à l’état pur ; par conséquent, il ne doit pas être pris à la légère. Mon cher Pancrace, en bon éclaireur patriote tu as raison de soulever la question, pendant qu’il est encore temps. Ainsi le peuple sera préparé au pire.
Quant au meilleur, Dieu le réserve à notre amitié.
A très bientôt
Binason Avèkes
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