Dans un basculement sans précédent de sa politique étrangère, le Nigeria mardi soir s’est abstenu de voter une résolution cruciale du Conseil de sécurité des Nations Unies qui aurait mis fin à l'occupation israélienne des territoires palestiniens de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de la bande de Gaza en 2017. La position du Nigéria marque une rupture avec le passé, dans la mesure où le pays a toujours voté en faveur de la Palestine et a toujours jeté son poids derrière la solution de deux Etats deux peuples dans le conflit israélo-palestinien. Les Palestiniens avaient besoin de neuf votes des 15 membres permanents et non-permanents du Conseil de sécurité de l'ONU. Le Nigeria est actuellement l'un des dix membres non permanents, avec son mandat qui prend fin en 2015. Cependant, la Palestine a obtenu huit votes à un point des neuf requis. Le Nigeria a toujours reconnu l'Etat de Palestine depuis 1988, quand cette position était parfois difficile. Le Nigeria a voté pour l’existence de deux Etats, il a aussi voté en faveur de la Palestine sur toutes les résolutions concernant les relations entre ce pays et Israël. Selon les raisons officielles bruitées par le Nigeria pour expliquer cette virevolte diplomatique, figurerait l’aide concrète donnée par Israël dans la guerre contre Boko Haram. Par opposition aux États-Unis, à la Grande-Bretagne et à d'autres alliés traditionnels occidentaux, qui se payent de mots et usent de sémantique, Israël a donné une aide concrète au Nigeria sous forme de drones, d’armements, de conseillers militaires et de formation qui auraient aidé les troupes nigérianes à repousser les assauts des insurgés au cours des dernières semaines. De même font valoir des sources du Ministères des Affaires étrangères nigérian, Israël coopère avec le Nigeria dans les domaines de l'agriculture, la construction, la communication, les services secrets, etc. Ajoutons que plus de 50 sociétés israéliennes opèrent au Nigeria dans le génie civil, l'énergie, la communication, et les industries de sécurité, entre autres.
Mais en dehors d’une coopération plus accrue dans le domaine militaire, les relations entre Israël et le Nigeria n’ont pas connu de changement spectaculaire depuis des décennies.
Si l’aide israélienne au Nigeria dans sa lutte contre Boko Haram peut être retenue comme l’une des motivations du saut diplomatique quantique du Nigeria en faveur d’Israël, d’autres raisons d’ordre idéologique et philosophique justifient cette volteface pour le moins incohérente. L’incohérence se mesure à l’aune de la position globale du contient africain dans le conflit israélo-palestinien. Comme l’a inlassablement expliqué Nelson Mandela en son temps, la grande majorité des pays africains a toujours adopté une attitude collective de soutien envers la lutte du peuple palestinien auquel l’Afrique, même décolonisé, s’identifie. Il s’agit d’une solidarité idéologique envers un peuple opprimé, dont le territoire est occupé. Et le moins qu’on puisse attendre du pays le plus peuplé, qui se dit la plus grande économie de l’Afrique est d’être au centre de cette position de solidarité, qui respecte notre propre histoire de continent colonisé, en proie au néocolonialisme, et de peuples opprimés politiquement et économiquement.
Mais la vérité c’est que M Goodluck Jonathan a des raisons politiques, personnelles, idéologiques et philosophiques qui justifient ce choix. Il est vrai qu’en matière de relations internationales, l’opposition entre amitié et intérêt est devenue un dogme diplomatique. Au Nigeria, Jonathan perçoit et prend très au sérieux l’opposition politique de son pays sous un prisme religieux. Cette opposition religieuse, avant d’être une opposition régionale comme on le pense est d’abord celle mettant en face chrétiens et musulmans. Le conflit politique a pour lui une motivation et un objectif sous-jacents : la victoire religieuse du chrétien qu’il est. Et tout doit être mis en œuvre pour favoriser cette victoire, encourager les croisés, motiver les fidèles combattants. Dans cet ordre d’idées, au rebours des stériles conflits judéo-chrétiens classiques, Israël est considéré comme la proto-origine du christianisme, la terre originelle du Christ Roi, qui mérite d’être concélébrée. C’est pour cela que Goodluck Jonathan et son entourage en ont fait une terre sainte, avec laquelle ils renouent régulièrement à travers des Pèlerinages médiatisés. C’est donc en chrétien fervent et agissant que Jonathan perçoit et conçoit les rapports diplomatiques et humains du Nigeria avec Israël. Dans l’esprit et les œuvres politiques de Jonathan, la communion avec Israël en tant que terre sainte se veut ancrer dans les symboles religieux et socioéconomiques. Ainsi la toute récente note de 100 naira émise à des fins électoralistes par la banque centrale du Nigeria a été subtilement placée sous le signe de l’Etoile de David, qui y apparaît en filigrane.
Ainsi, avec l’élection présidentielle de février 2015, il était important d’envoyer aux chrétiens du Nigeria le signe que cette terre sainte d’Israël que Jonathan a reconfiguré dans leur esprit comme la terre originelle du Christ, il contribue personnellement à sa sauvegarde. Ce signe entérine et fait passer en contrebande un consensus frauduleux de la diplomatie existentielle d’Israël qui consiste à confondre l’Etat actuel d’Israël avec la Terre Promise.
Voici pourquoi, pour Jonathan, l’Afrique, son histoire et sa solidarité tiers-mondiste avec nos frères palestiniens opprimés attendront, tout au moins le temps des élections présidentielles.
Alan Basilegpo
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