À une semaine des élections présidentielles générales prévues pour le 14 février 2015 au Nigeria, le pouvoir a fait marche arrière et une pression énorme sur la commission électorale pour l'amener à reporter de six semaines les élections. Cette action déterminée de la part de M. Jonathan et de son parti n'est pas dénuée d'arrière-pensées, et cache sûrement des visées stratégiques. La raison principale qui a été invoquée est la sécurité sous l'angle de l'incertitude créée par le groupe terroriste Boko haram dans le Nord-est du Nigeria. Mais qui peut croire sincèrement à cette raison dès lors que la menace terroriste constituée par ce groupe n'a rien de nouveau et hante le Nigeria depuis plusieurs années ? Les élections générales ont été prévues, et leur date a été annoncée en tenant compte de ce paramètre de la sécurité. Alors pourquoi tout à coup à une semaine de la date prévue, le gouvernement nigérian découvre la réalité de l’insurrection et considère qu'elle menace la régularité sinon la tenue effective des élections. Le caractère intrigant de cette décision en dit long sur les nombreuses réactions qu'elle a suscitées aussi bien à l’intérieur du Nigeria qu’à l’extérieur. La société civile nigériane ainsi que le parti challenger de l'opposition, l’APC, ont dénoncé cette décision du gouvernement, l'assimilant pour certains à une grave entorse à la constitution. De même à l'extérieur du pays, les États-Unis ont, par la voix du secrétaire d'État John Kerry, condamné ce report à seulement quelques jours de la tenue effective des élections, qu'ils considèrent inapproprié. Alors tout le monde est suspendu à la suite possible des événements, d’autant plus que 6 semaines n’ont rien d’une éternité. Selon les indiscrétions de la presse, le gouvernement Nigérian aurait convoqué ce jour une rencontre secrète de trois jours réunissant des membres du parti au pouvoir et des agences de sécurité, dont le thème secret est : comment utiliser les forces armées pour intimider les populations lors du scrutin. Cela donne une idée des raisons réelles du report des élections. Cinq raisons peuvent être retenues 1. La première raison est d'ordre psychologique. Face à l'échec de sa gouvernance, illustrée par le mauvais état économique du pays, et l'insécurité générale qui y sévit et que les violences du groupe terroriste Boko haram ont porté à un point jamais égalé, M. Jonathan est persuadé que le verdict des Nigérians sera sévère à son égard. Il est donc dans la situation du condamné à mort, qui préfère reculer le moment fatidique de son exécution, le couloir de la mort à la mort elle-même. 2. La deuxième raison du report est d'ordre stratégique. Il s'agit pour Jonathan et son parti de gagner du temps pour sophistiquer la machine de la fraude ; puisque des élections libres, justes et transparentes ne pourront certainement pas assurer à M. Jonathan la réélection qu’il souhaite de tous ses vœux. Partant du principe que le président africain sortant ne doit pas perdre les élections, la seule chose qui reste à M. Jonathan et à ses partisans c'est de frauder ces élections, comme cela a été le cas lors de l’élection controversée en juin dernier du gouverneur de l'État d’Ekiti, où l’Armée a été utilisée pour en subvertir les résultats 3. Troisième raison, il s'agit de déstabiliser l’INEC, la CENA locale, et son président, M Atahiru Jega. Par la pression très forte qui a été exercée sur eux, le pouvoir veut les conditionner à avoir peur de sa réaction en cas d'une issue non favorable. Il s'agit de la discréditer et de montrer que le pouvoir peut s'opposer le cas échéant à la décision de la commission électorale. Cette façon d'interférer dans le déroulement normal des activités de la commission électorale vise à ternir son image dans l'opinion et lui faire comprendre à elle-même qu’elle n'est pas une institution intouchable ou au-dessus du pouvoir. 4. Quatrième raison, par ce report le pouvoir annonce la couleur de ce qu'il va se passer et de sa méthode d'action politique dans les prochaines semaines et les prochains mois. Il fait passer la décision des militaires avant les exigences de la constitution. En clair c'est la volonté des militaires qui l’emporte ; en tout cas, c'est cette raison qui est mise en avant même si de la part d'un gouvernement qui a eu plusieurs mois pour se préparer, et qui a dû pour cela prendre en compte le paramètre de l'insécurité, tout le monde comprend qu'il s'agit d'une raison de façade. 5. Cinquième et dernière raison qui parachève le parti pris stratégique du combat d'arrière-garde que mènent Jonathan et le PDP, il s'agit de préparer le pays à accepter la prépondérance du discours militaire ; pré-positionner politiquement l'armée pour un éventuel coup d'état qui excipera de raisons sécuritaires comme celle qui a été avancée pour le report des élections : désormais au Nigeria la sécurité passera avant les exigences de la constitution. Comme on le voit, une lutte terrible est engagée dans laquelle Jonathan utilisera l'armée pour, le cas échéant, empêcher l'opposition d'accéder au pouvoir. Car l’arrivée au pouvoir du général Buhari connu pour sa détestation viscérale de la corruption est une source d’angoisse pour le gouvernement actuel, qui n’a pas seulement baissé les bras face à la corruption, mais dont la majorité est loin d’être constituée de saints en matière de respect du bien public. De ce point de vue, le report des élections n'est que le signe avant-coureur d'une vaste stratégie préventive de conservation du pouvoir.
Alan Basilegpo
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