Alors qu’au Japon, société impériale guerrière, éprise de liberté, on avait le culte du héros avec son éthique de l'honneur, de l'abnégation, de la bravoure et de la responsabilité. Chaque guerrier devait montrer son courage en même temps qu'il devait assumer les conséquences de ses actes. Si ses actes et ses choix conduisaient à la victoire, il était encensé, honoré ; s'ils conduisaient à l'échec alors le guerrier se donnait la mort pour sauver son honneur. Au Japon donc l'honneur était une valeur cardinale, la responsabilité, l'abnégation et la bravoure faisaient partie du code de l'existence dans une société en recomposition où la guerre était au cœur de l'économie politique et historique. On comprend donc que le suicide y ait été érigé en institution et qu'il relevât à la fois d'une éthique et d'une esthétique. Un samouraï qui ne peut se suicider vaut moins qu'un tigre de papier. À l'inverse, dans la société danxoméenne de la même époque, société esclavagiste qui prospère sur l'esclavage intérieur d’abord, puis à l’échelle intercontinentale, sur la traite, le suicide est un non-événement, une non-existence, alors que la mort planait sur tout. C’est que la mort qui dominait dans l'espace culturel et économique du Danxomε était une mort subie ; c'étaient les bénéficiaires de l'esclavage, les maîtres qui infligeaient la mort. C'étaient leurs intermédiaires symboliques--les prêtres religieux--qui ordonnaient et ordonnançaient les sacrifices humains. C'étaient les rois, les princes, les ministres et les chefs qui avaient droit de vie ou de mort sur les sujets et les esclaves. Comment penser un seul instant introduire dans cette économie politique de la mort subie, l'idée du suicide sans même parler de son institution ? C'est autant donner à l'esclave la clé qui l’enfermait dans la prison de la peur. Depuis Hegel, on sait le rôle que joue la mort dans la dialectique du maître et de l'esclave. On sait que l'esclave ne reste esclave que parce qu'il a peur de la mort. On sait que le maître n’est maître que parce qu'il s'est attribué le droit de mort sur l'esclave. On sait aussi que le jour où l'esclave transcenderait sa peur de la mort, et déciderait de se la donner à lui-même, alors il deviendrait son propre maître, c'est-à-dire un homme libre. Introduire le suicide, parler du suicide dans la société esclavagiste du Danxomε, c'est faire le lit du suicide de cette société en tant que telle. Le suicide est l'antithèse logique, économique et symbolique du système de l'esclavage qui prospère sur la captivité, la peur et l'aliénation de l'esclave. On comprend pourquoi la culture et la société dahoméennes de l'époque ont fait sur la question une impasse totale. C'était pour elles une question de vie ou de mort. Le suicide individuel en tant qu'idée signifie le suicide collectif de la société esclavagiste dahoméenne de l'époque. C'est pour cela que, par tous les moyens, la société dahoméenne, à l'instar de maintes sociétés similaires de l'époque en Afrique, a tout fait pour en éloigner le spectre. La conséquence de cette impasse sur l'idée du suicide est qu'elle a fait perdre à la représentation collective les souveraines notions de courage, de bravoure en tant qu'elles sont appuyées sur l'abnégation. Alors que le guerrier japonais puisait son courage dans sa liberté face à la mort, le guerrier béninois se montrait courageux par peur d'un châtiment extérieur. De nos jours, le suicide n'est pas courant dans la société béninoise, héritière de la société dahoméenne mais nous continuons de payer au prix fort les raisons historiques et les implications éthiques de sa mise hors jeu.
Gbetey Beatrice (PHD history & philosophy, YU)
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