Pourquoi ce manque d’intérêt de Jonathan à l'égard du malheur des populations du Nord du Nigéria se demanderait-on. Pourquoi cette indifférence et cette apathie à la souffrance de millions de Nigérians qui ont seulement le tort d'être originaires du Nord--et souvent pas tous musulmans du reste, puisque la plus grande proportion des victimes de Boko haram est sélectivement chrétienne ? À première vue cette attitude paraît indigne d'un chef d'État dont le gouvernement, entre autres choses, a pour vocation et mission sacrée d'assurer la sécurité de tous les citoyens. En outre, dans l'échec du gouvernement à se porter au secours des populations du Nord frappées par le terrorisme, on parle aussi de la corruption qui règne dans l'armée dont la part dans le budget national s'est élevée à plus de 5 milliards de dollars en 2014. Mais aussi consternante qu’elle puisse paraître, l’attitude de Jonathan a sa propre rationalité, ses raisons et sa logique. Pour comprendre cette attitude déconcertante de Jonathan, il faut revenir à une déclaration qu'il a faite au début de son mandat à propos de Boko haram. Jonathan a déclaré que les soutiens idéologiques et financiers de Boko haram sont tapis dans l'administration du pays. Plus précisément il a dit en anglais : «they are in the government”. À partir de cette déclaration, en toute logique, on s'attendrait à ce qu'il les délogeât, les dénonçât, et les combattît avec énergie, comme le ferait n'importe quel chef d'État responsable qui a de la poigne. Mais probablement, il faut croire que Jonathan n'a ni l'une ni l'autre de ces qualités d'homme d'État, de leader, ce leadership de la volonté et de la responsabilité. L'opposition, de manière sibylline a beau jeu de le rappeler à cette évidence logique. Et souvent, jouant sur l'ambiguïté du mot « government » ses ténors font du sophisme à ses dépens, en demandant pourquoi Jonathan ne se débarrasse-t-il pas des soutiens de Boko haram dont il dit lui-même qu'ils sont dans son gouvernement ? Pourtant, la tâche n'est pas si facile dans un pays où gouverner requiert tout un jeu d'équilibre ethnique et régionale. Par certains côtés, toute attitude radicale de Jonathan pourrait contribuer à tendre inutilement les rapports déjà difficiles entre les intérêts, les régions et les institutions. Ce qui pourrait aboutir à des tentatives de violence politique, dont il pourrait faire personnellement les frais. De ce point de vue, à l'instar de la lutte contre la corruption, dans un pays où le nombre de ceux qui n’en sont pas adeptes peuvent se compter sur les doigts d'une main, il y a une ligne jaune à ne pas franchir. Et ce, même lorsqu'on est un président, surtout si l'on est un président soucieux de réélection, de durée et d’un maximum de sécurité physique et politique. Que ce soit la corruption dans l'armée ou dans le gouvernement, ou que ce soit le redressement des dérives anti-sécuritaires que constituent les ligues de violence diverses qui agissent à un moment ou à un autre, méfiance et prudence sont de mise. Car en ces matières, et dans un pays comme le Nigéria, vouloir jouer à tout prix les justiciers et soldats de la droiture infaillible est très coûteux pour ne pas dire très risqué. Cette sagesse a sans doute inspiré Jonathan vis-à-vis des fléaux qui gangrènent son pays et dont les plus frappants sont la corruption, et le terrorisme incarné par Boko haram.
En lui-même, l'histoire de Boko haram est très complexe ; au cours de son évolution, cette histoire a suivi des détours et des voies de travers qui l'ont rendu encore plus difficile à cerner, encore plus floue. Entre le moment où les grands ténors du Nord qui sont tous aujourd'hui dans l'opposition ou candidats à la présidence ou au poste de gouverneur d'État menaçaient de rendre le Nigéria ingouvernable et aujourd'hui où la plupart d'entre eux semblent être revenus à de meilleures dispositions, il a coulé beaucoup d'eau sous les ponts de la politique nigériane. Et pourtant, pendant une bonne partie de l'histoire de son activité meurtrière, Boko haram semblait agir en toute intelligence avec une certaine mouvance de l'opposition nordiste, totalement enfermée dans la posture de frustrés politiques, à partir du moment où la mort du président Yar’Adua n'a pas permis au Nord de détenir la présidence durant le minimum de huit ans auquel il estimait avoir droit. Mais, au fur et à mesure de l'intensification des actes criminels de Boko haram, qui allait de pair avec sa radicalisation, nombre de ceux qui pouvaient être considérés comme ses suppôts, prenaient leurs distances et parfois exprimaient ouvertement leur opposition. Tel a été le cas de l'ex-directeur de la banque centrale, M. Sanusi, un temps soupçonné de faire partie du club de ces puissants sympathisants de Boko haram d'Abuja, mais qui a vite fait patte blanche dans ce dossier. Tout au moins depuis qu'il est devenu le très respecté émir de Kano. On a aussi vu le général Buhari qui avait promis de rendre le pays ingouvernable risquer d'être victime d'un attentat attribué au groupe Boko haram. Pour un personnage politique du Nord de ce haut niveau, le fait d'avoir été visé par Boko haram prouve surtout une rupture d'intelligence, ce qui est la preuve a fortiori que celle-ci a existé jusqu'à un certain temps et jusqu'à un certain point. De même, des preuves existent que l’ex-gouverneur de Borno, M. Ali Modu Sheriff a été un souteneur et un soutien actif de Boko haram. Or ce même Ali Modu Sheriff est un ami personnel de M. Idriss Déby, président du Tchad dont le pays a joué longtemps un rôle actif de base arrière et de sanctuaire au groupe Boko haram. Or aujourd'hui, tous ces personnages se disent ligués contre Boko haram. Le Tchad prend de ce point de vue un malin plaisir à combattre le même Boko haram que naguère, il est soupçonné, en tout cas à travers les basses œuvres présumées de son président, d'avoir soutenu. Dans le cas du Tchad, ou même du Cameroun où n'existe certes aucune preuve de collusion de haut niveau avec le groupe Boko haram, participer à une coalition d'action militaire sur le sol du Nigéria, ce grand voisin qui jusque-là s’enorgueillissait d’être militairement le plus redoutable de la zone ouest-africaine sinon de l’Afrique, est rien moins qu'une source de griserie et de revanche chauviniste. Or toute cette réalité et toutes ces données politiques occultes, au niveau où il se situe, Jonathan est mieux placé que quiconque pour les savoir. C'est ce qui justifie sa consternante déclaration selon laquelle les soutiens de Boko haram se trouveraient au cœur même de l'administration du pays. Déclaration d’autant plus consternante qu’il n’a pas levé le petit doigt pour les combattre, les mettre hors jeu de nuire. Dès lors, l'attitude de Jonathan s'est voulue délibérément cynique. Un cynisme qui se voulait paradoxalement empathique dans la mesure où il contenait en germe l'espoir d'une prise de conscience pédagogique de la part de ses adversaires. Jonathan n'a pas voulu courir en vain derrière le lièvre agité de la violence terroriste. Si des hommes un tant soit peu sensés, pour des raisons égoïstement politiques, ont cru devoir semer la violence dans leur propre région, dans leurs propres contrées pour rendre le pays ingouvernable, quel meilleur remède à leur folie que de les laisser barboter dans leur violence, les laisser-faire jusqu'à ce qu'ils se rendent compte par eux-mêmes de l'absurdité de leur entreprise ? Ainsi, Jonathan, en faisant le moins possible pour combattre Boko haram a cru que les exactions du groupe allaient s'estomper avec le temps. Son attitude explique les faits et les situations où son indifférence en sa qualité de chef de l'État ont choqué plus d'un, y compris et surtout au niveau international. Jonathan était persuadé que sa méthode avait un ferment pédagogique qui allait tôt ou tard se manifester. Très régulièrement, et avec la certitude de celui qui sait de quoi il parle, le président nigérian annonçait au pays tout entier que bientôt, Boko haram serait une triste histoire du passé. Mais contrairement à ces prédictions optimistes, plus le temps passait, plus Boko haram devenait encore plus Boko haram, c'est-à-dire synonyme d'exactions, de violence aveugle, de folie meurtrière. Toutefois, il y a bien un point non négligeable sur lequel la stratégie attentiste et l'indifférentisme de Jonathan ont été payants. C'est que plus Boko haram se radicalisait, plus il se séparait de ses soutiens plus ou moins cachés qui étaient plus soucieux de réaliser leur agenda politique que de continuer à s'accrocher à une nébuleuse sectaire devenue incontrôlable dans sa folie meurtrière. Ce succès mérite qu'on le souligne d'autant plus que, faute d'avoir été clairement énoncée, l'attitude attentiste et passive de Jonathan à l'égard de la violence terroriste dans le nord du Nigéria est non seulement incomprise mais est considérée comme suffisamment irresponsable pour être en mesure de générer quelque résultat positif que ce soit. Or, aujourd'hui, y compris dans leur for intérieur, en cette veille électorale où tous caressent le rêve d'une alternance possible, très peu d'hommes politiques du Nord se sentent en odeur de sainteté avec Boko haram, cette machine folle avec laquelle pourtant ils ont tenté de réaliser leurs promesses de rendre le Nigéria ingouvernable à Monsieur Jonathan.
Adenifuja Bolaji
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