Assurément, la raison qui motive cette domination symbolique de la France sur les Africains c’est la volonté de s'assurer de notre docilité. Car nourris dès notre jeune âge au lait de leur langue, nous réfléchissons et pensons à travers eux et hors de nous ; la langue contient une myriade de signaux de conditionnement, des mots d’ordre aussi inconscients qu’agissants qui font qu'une fois pris au piège, l’Africain a du mal à réfléchir par lui-même, et dans son propre intérêt. C'est ainsi qu'il est facile pour les Français de recruter parmi nous ceux qui --présidents, députés, diplomates, ministres, hommes d’affaires, etc.-- vont les aider à nous tenir sous leur joug. Sans compter que ce conditionnement linguistique prépare les Africains aux normes du marché de l'immigration sur lequel les Occidentaux viennent faire leurs emplettes au meilleur prix. Tout cela est évident et se passe de démonstration. Si le zèbre s'aventure à abandonner sa propre langue pour parler la langue du lion, il est à peu près assuré à terme de l'extinction de son espèce. Et nous sommes sur cette voie bestiale de l'aliénation et de l'extinction. Si la situation d'aliénation symbolique--religion, langue, monnaie, etc. -- est héritée de l'histoire, la rectification des violences symboliques de l'histoire est une obligation, dont la mise en œuvre peut être menée là où il y a de la volonté. Cette même histoire révèle que tous les Africains ne sont pas placés à la même enseigne, en matière de domination linguistique et symbolique. La domination que nous subissons au Bénin de la main implacable du système francophone est la plus implacable de toutes les zones linguistiques du continent africain. Tout le monde sait que ce n'est pas un sort enviable que d'être un colonisé par la France. Car la France, sous couleur d'égalité et d'universalité met le grappin sur les peuples, les étouffe comme un boa étouffe sa proie, nie leur personnalité et fait sa loi linguistique, comme elle s'acharne à faire le gendarme de l'Afrique sur le plan politique. Oui, c'est un enfer d'être colonisé par la France. Le Rwanda en sait quelque chose, qui en a fait les frais en guerres civiles et génocide, parce que ses dirigeants avaient tenté de choisir l'anglais à la place du français.…
En effet, comparé à nos voisins anglophones, c'est le jour et la nuit. Ceux-ci, héritiers de l’indirect rule, ont pu s'épanouir plus librement dans leur cultures et leurs langues nationales car la Grande-Bretagne ne leur a pas mis très haut la dragée de l'assimilation. Ainsi aujourd'hui, au Nigeria voisin, pour une même langue parlée de part et d'autre de la frontière, le yoruba, les statuts varient du tout au tout, selon que l'on est d'un côté ou de l'autre de l'histoire. Alors que chez nous le yoruba, à l’instar des autres langues nationales, ne s'écrit guère et que toute la culture qui l’entoure s'étiole et meurt à petit feu, au Nigéria, le yoruba se parle, s'utilise dans le quotidien, se modernise, s’écrit, s'étudie de la maternelle à l'université ; des films se font en yoruba. Des milliers de romans se publient en yoruba, des dizaines de journaux paraissent chaque jour en yoruba. Dans les universités, des études supérieures de linguistique, d’ethnologie, d’archéologie, d'anthropologie culturelle et des recherches approfondies sont menées en yoruba. Vu du Benin, tout cela en bouche un coin... Il est vrai que, lorsque, arrivé au pouvoir en 2006 Yayi Boni avait brandi le slogan du changement, il aurait pu amener dans la charrette de ce changement l'idée de l'appropriation active et effective de nos langues, pour qu'à partir de notre libération mentale décisive, nous puissions libérer nos énergies au service du développement--de toute façon, telle est la seule logique de libération qui nous incombe. Mais il n'a pas osé faire cela ; car s'il l’avait fait, il n'aurait pas été « réélu » comme il en crevait de rage. Il s'est contenté de nommer un bien éphémère ministre des langues nationales, et sans doute en haut lieu françafricain, on n'a pas eu besoin de lui faire un dessin pour lui signifier que c'était une bêtise. Alors il a viré sa cuti. Nous sommes toujours dans notre misère culturelle. Si Yayi Boni avait mis le projet linguistique au programme de son changement, ce n'est d'ailleurs pas uniquement le système francophone ou Françafrique qu'il aurait trouvé sur son chemin. Il aurait fait face aussi à une sourde résistance sinon une levée de boucliers d'une certaine classe locale de Béninois, incurablement et irréversiblement aliénés--ces soi-disant intellectuels, écrivains, journalistes etc.--qui ne rêvent leur réussite que dans la reconnaissance venue de l'extérieur, portée par les ailes flamboyantes du parler occidental, posé comme référence absolue du savoir. Au total nous restons dans notre bêtise comme le bousier sur sa boule d'excréments. Pendant ce temps, à côté, tout à côté de nous, nos frères nigérians ont sorti leur tête du trou depuis des décennies et regardent vers le soleil du progrès en toute liberté intérieure. Regardez le début de ce document où se déroule dans une université au Nigéria un cours d'anthropologie culturelle yoruba et vous verrez : c’est un film mais pas du cinéma …
Alan Basilegpo
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