L’écrivain turc Yasar Kemal vient de mourir à l’âge de 92 ans et, à l’instar du ministre de la culture de son pays, on peut déplorer la perte d’une grande âme, et d’un esprit de la liberté. Ce décès donne l’occasion de jeter un bref regard rétrospectif sur la biographie du grand écrivain, et d’en tirer raison de questionner l’hystérie qui fait rage actuellement au Nigeria sur ce que les détracteurs du candidat de l’opposition appellent « l’insuffisance de qualification intellectuelle » du Général Buhari pour être Président. Sous entendu, son rival serait docteur en… zoologie… En fait de quoi s’agit-il ? Le pouvoir PDP et ses sbires font un procès au candidat Buhari sur le fait qu’il n’aurait pas présenté un diplôme scolaire en règle dans son dossier de candidature. A les en croire, ce serait une violation de la constitution. Outre qu’en l’occurrence l’accusation formulée contre le Général Buhari est sujette à caution, la constitution du Nigeria qui parle de « niveau suffisant de formation secondaire » n’a jamais exigé de diplôme pour être candidat à la présidence. Mais la prévalence en Afrique du culte du diplôme, qui justifie l’impérialisme social de son détenteur, a la vie dure en dépit de l’impasse et des absurdités sociales auxquelles il conduit. |
Tout le monde sait que le diplôme n’est pas une fin en soi et que les meilleurs acteurs, ne sont pas les plus diplômés. En plus, dans le cas de l’éducation en Afrique, avec toute sa chape d’aliénation que constitue la médiation de cultures et de langues étrangères à l’âme, aux intérêts et aux aspirations des Africains, quelle importance décisive et probatoire peut-on accorder au diplôme délivré par des institutions dont l’adéquation à la réalité africaine reste sujette à caution ? Quelle importance accorder à un diplôme qui isole le diplômé dans une sphère abstraite, mimétique voire simiesque, sans prise sur son environnement immédiat ? La biographie d’un homme comme Yasar Kemal jette une lumière crue sur ces questions. Yasar Kemal, de son vrai nom Kemal Sadık Gökçeli, est né en même temps que la République turque, en 1923 à Osmaniye dans une famille de paysans kurdes. A cinq ans, l’enfant perd l’œil doit. Ensuite, son père est assassiné sous ses yeux à la mosquée. Amoureux de la vie, Yasar Kemal compose des poèmes et n’a pas son pareil pour gratter le saz (instrument à cordes traditionnel) et imiter les bardes. La tradition orale influencera toute son œuvre par la suite. A neuf ans, le jeune Kemal entre à l’école primaire, pour deux ans seulement car il doit subvenir aux besoins de sa mère. Il sera ramasseur de coton, gardien de nuit, employé du gaz, maçon, conducteur de tracteur, employé de bibliothèque à Adana. Cet emploi est celui qu’il préfère. Il dévore alors avec passion les auteurs de la littérature mondiale, dont Cervantès, Stendhal, Garcia Marquez. Il a vingt ans quand ses premières nouvelles sont publiées. Bientôt, Yasar Kemal s’achète une machine à écrire et vivote en offrant ses services comme écrivain public. En 1951, la chance lui sourit, il est engagé par le quotidien Cumhurriyet. Ses reportages sont vite remarqués, entre autres, une série d’articles qu’il rédige sur les enfants des rues. C’est à ce moment-là qu’il prend le pseudonyme Yasar Kemal. La notoriété vient en 1955 avec la publication de Mehmet le Mince. La vie de Yasar Kemal est en lui-même un grand roman. Mais à s’en tenir à ces éléments de biographie succincte du célèbre écrivain turc, une simple question affleure à l’esprit au regard de la polémique idiote en cours actuellement au Nigeria sur l’indigence scolaire supposé du Général Buhari. Ceux qui, en se fondant du reste sur une fausse allégation, en infère l’incompétence à être Président d’un homme qui a pourtant fait toute sa carrière dans l’armée jusqu’au plus haut grade, diront-ils la même chose de Yasar Kemal ? Dénieraient-ils à l’illustre écrivain qui n’a même pas le certificat d’étude primaire le droit de se présenter à l’élection présidentielle eût-il été Nigérian ? Cette question donne à réfléchir sur la bêtise du grand bruit qui se mène autour du sujet de l’incompétence intellectuelle supposée du candidat Buhari, en tant qu’elle se mesure à la qualité du diplôme obtenu. En l’occurrence, que vaut la compétence inverse de son adversaire qui se targue d’être un Docteur ? De par son bilan et son action à la tête du Nigeria, Monsieur Jonathan n’a jusqu’à présent réussi à convaincre les Nigérians que d’une chose : en Afrique plus qu’ailleurs, en matière de compétence, les diplômés ne sont pas les mieux lotis. Alan Basilegpo |
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