Lorsqu'on presse Yayi Boni d'assurer le pays qu’il ne va pas se présenter à l'élection de 2016 pour un troisième mandat, il répond invariablement qu'il a déjà promis aux grands de ce monde qu’il ne se présenterait pas à un troisième mandat. Malgré ces assurances répétées, les sceptiques--et ils ne sont pas peu nombreux--restent toujours sur leur faim et leur garde. Pour au moins trois raisons qui se rejoignent. 1. Parce que les hommes politiques sont des menteurs, qui mentent comme un arracheur de dents. 2. Parce que Yayi Boni n'a jamais tenu parole dans les divers contrats qu'il a passés avec les partenaires politiques ; et l'homme, sous ce rapport fait preuve d'une immoralité qui confine à une affligeante amoralité. La troisième raison est d'ordre éthique et relève de la culture intrinsèque du christianisme dont Yayi Boni se dit un fervent dévot. L'homme qui, en toute circonstance, a le nom de Dieu à la bouche, même là où la constitution requiert la séparation de l'église et de l'État et une certaine neutralité laïque, cet homme, n’a-t-il pas promis d'embrasser la carrière de pasteur à la fin de son mandat présidentiel ? Tout le monde sait que le brandissement de la foi est un bon support de drainage politique des masses ; pauvres et analphabètes, celles-ci, écrasées par le poids des difficultés de la vie quotidienne et l'absurdité cruelle de l'existence n’ont d'autres explications du monde que celle d’un Dieu créateur, responsable et cause de tout ; un Dieu dont la volonté fait loi mais aussi recette en politique. Mais les raisons pour lesquelles on ne saurait ajouter foi aux soi-disant promesses de Yayi Boni aux grands de ce monde sont à la fois chrono-stratégiques et axiologiques, c'est-à-dire qu'elles sont liées aux valeurs. Pour ce qui est des raisons chrono-stratégiques , c'est que Yayi Boni, en faisant ses promesses à tel chef d'État ou à tel autre, spécule ouvertement sur le calendrier politique de ceux-ci, étant donné que, dans leurs pays très civilisés, les peuples et les institutions ne badinent pas avec la démocratie et les chefs d'État ne s'accrochent pas au pouvoir selon leur bon vouloir. Ainsi, Yayi Boni n'aurait certainement pas fait une telle promesse à un Kim Jong-un, président de la Corée du Nord, parce qu'il sait qu'il a de fortes chances d’être toujours là, solide comme un roc pour la lui rappeler. En revanche, il est assez évident que si Yayi Boni avait fait sa promesse à un Sarkozy, celui-ci n'est plus au pouvoir actuellement en France pour la lui rappeler. De même qu'au moment où Yayi Boni voudrait se présenter à un troisième mandat, nombre des chefs d'État auxquels il prétend avoir fait des promesses contraires ne seraient plus au pouvoir, où seraient eux-mêmes au soir de leur vie présidentielle et donc plutôt préoccupé par autre chose que de demander au chef d’État d’un petit pays africain de respecter des promesses qu'il aurait tenues autour d'un verre de champagne, plusieurs années auparavant. Comme on le pressent, la question de la promesse que Yayi Boni aurait faite aux grands de ce monde de ne pas se présenter à un troisième mandat est une question essentiellement morale, qui renvoie à ses valeurs, son éthique personnelle, à savoir s'il est ou non un homme de parole. C'est pour cela qu'il faut faire une place à part aux promesses qu'il a soi-disant faites aux papes, à Benoît XVI mais aussi au pape François, car ces promesses relèvent spécifiquement d'une démarche morale. Or, que vaut pour un chrétien l'idée de respect de sa parole devant l'idée du pardon ? Yayi Boni sait très bien la réponse ; à savoir que l'idée du pardon est sacro-sainte dans la religion chrétienne, qu’elle en est la pierre angulaire éthique et dogmatique. Au moment même où Yayi Boni, agenouillé devant le pape, prétend promettre de ne pas se présenter à un troisième mandat, le même Yayi se projette deux ou trois ans en avance dans une cérémonie tout aussi chargée de recueillement solennel et de componction où, tremblant de fausse culpabilité, il demanderait au même pape ou à son éventuel successeur de lui pardonner de n'avoir pas respecté sa parole de ne pas se présenter à troisième mandat. Il s'agit là bel et bien d'une manipulation de l'esprit éthique chrétien qui accorde une place de choix à l'idée du pardon. Et, ce qui est profondément cynique c’est que ce n'est pas comme une bête, sans mémoire et sans préméditation, qui commet des actes dont elle ne maîtrise pas la séquence et qui s'imposent à elle à son corps défendant, mais plutôt en toute préméditation que Yayi Boni utilise cette idée de promesse, avec la certitude qu'il la violerait froidement. En bon chrétien évangéliste, il valorise une conception dramaturgique de la religion, pourvoyeuse d'images fortes, de scènes de fausse humilité et de repentance théâtralisée. L'occasion d'un pardon -- fût-ce même pour une faute délibérément programmée et commise de sang-froid -- est toujours bonne à jeter en pâture aux masses avides de sensations et d'images fortes. Et c'est sur cette demande que Yayi Boni compte pour flouer tout le monde aussi bien ceux qu'il prend à témoin et à qui il fait ses promesses qu’au peuple, victime ultime de cette manipulation cousue de fil blanc.
Alan Basilegpo
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