Comme c'est indiqué plus haut, les richesses de ce troisième type de capitalisme sont les postes : président de la république, ministres, conseillers, présidents d'institutions, directeurs de sociétés publiques ou semi-publiques, cadres de l'administration, ambassadeurs, chefs militaires, gradés de l’armée, directeurs des services de sécurité, préfets, etc. Tous ces postes représentent l'équivalent de la forêt des sociétés qui dans le système capitalisme normal concourent à la production de la richesse des nations et par voie de conséquence au bien-être des populations. Mais malheureusement, les postes, contrairement aux sociétés capitalistes, ne produisent rien et en dehors d'une ombre portée hiérarchique, ne contribuent pas au bien-être de grand monde ; sauf bien sûr à ceux qui en sont détenteurs. Cela explique toute la passion qu'engendre et entretient la vie politique sous nos cieux, marquée par l'éthique de l’Ayélawajè. Cette éthique est basée sur la conscience qu'on n'a pas grand-chose et que l'essentiel est dans l'escarcelle de l'État. Elle comprend que la vie est éphémère et chacun, chaque génération doit jouer des coudes pour se hisser sur le rocher du lion. Le président de la république est ce lion. Personne n'entend laisser passer l'occasion rare qui se présente de bien vivre, de s'entourer de biens de consommation, de se faire beaucoup d'argent sans avoir jamais produit rien qui en vaille son pesant, de réaliser ses rêves les plus fous--posséder des villas, des biens immobiliers, de l'argent placé dans les paradis fiscaux, des maîtresses aux quatre coins du pays sinon du monde, des facilités, des voitures de luxe, des dîners dans les restaurants n étoiles des grandes capitales du monde où les gens ont travaillé et travaillent pour bâtir leur nation, les nuits dans des hôtels somptueux où le champagne coule à flot ; certains même possèdent des flottes de jets privés. Comment dans une vie qui ne passe qu'une fois se priver de ces biens mirifiques qui sont au bout de la baguette magique du pouvoir politique ? Il faudrait être fou pour s'en priver. Être dans sa Bugatti ou dans sa Mercedes climatisée achetée par l'argent mal acquis et rouler sur une route cahoteuse remplie de trous, de nid-de-poule ou inondée, nos capitalistes postaux ne sont pas à un paradoxe près ; peu importe ces déconvenues, pourvu qu'ils goûtent au plaisir. Et c'est ce plaisir obtenu à tout prix après lequel courent nos capitalistes de la fonction d'État, qui donne tout son sens au rôle magistral du président de la République, qui a le pouvoir suprême de faire ou de défaire ces sociétés de jouissance qui tournent à vide, ne produisent rien, et que l'on appelle des postes. D'où aussi son pouvoir capricieux de nommer à tour de bras suivant son bon vouloir et son inspiration tribaliste. Car l'éthique Ayélawajè, tenant compte du fait que toute occasion de vie est unique et que nous sommes venus au monde pour jouir, pousse le président à se faire plaisir en faisant plaisir aux siens. En plaçant les gens de sa famille, de sa tribu et de sa région à ces lieux de jouissance, le président, mais aussi tous ses subordonnés qui a leur tour répercutent le même népotisme( vous ferez ceci en mémoire de moi…), se font une éthique dans l'éthique Ayélawajè : celle qui commande de faire famille dans la jouissance, quitte à rejeter en dehors d’elle ceux qui dans la nation ne sont pas « de notre famille, de notre tribu, de notre région. » Cela étant dit, déconstruire les motivations et le fonctionnement de ce troisième capitalisme ne signifie pas du tout en faire l'apologie. Loin s'en faut, car il va de soi que ce capitalisme est improductif et contre-productif. Il a beau s'articuler sur une éthique, celle de la tribu, du clan ou de l'ego, il ne s'agit au mieux que d'un vice ou d'un travers. Depuis Max Weber, nous savons que toute éthique digne de ce nom doit être basée sur une communauté légitime et agir selon une rationalité légale. Or, dans le capitalisme de la fonction d'État que nous subissons et tel que l'applique passionnément M. Yayi Boni, on le voit clairement, la tribu est substituée à la nation, et le travail est substitué au fauteuil. Aucune nation n'a jamais prospéré dans le fauteuil. Pour libérer l'Afrique, il faudrait renverser les fauteuils, et les remplacer par des tabourets ; faire en sorte que le travail de la gestion de la chose publique perde toute attractivité matérielle ou onirique en termes de poursuite de biens ou de richesses. Si, comme le préconisait Thomas Sankara, le véhicule de fonction d'un ministre ou d'un directeur de société était le vélo tout-terrain avec porte-bagages assorti ; si l'ambassadeur du Bénin en France devait habiter un foyer pour travailleurs et prendre le métro ; si le président de la république lui-même au lieu de louer des avions à des coûts onéreux doit au contraire voyager comme tout le monde en classe économique dans des avions de ligne, alors les candidats qui se bousculent au portillon des nominations deviendraient de vrais héros de notre progrès national. Le président de la république qui les nomme lui-même aura d'autres occupations plus nobles qui donneraient plus de sens à sa fonction. Il comprendra entre autres choses que la nomination n'est pas une fin en soi ; qu'à défaut de donner des postes à tous les citoyens, l'éthique Ayélawajè est dénuée de sens. Et le restera si l'avenir des générations futures n'est pas assuré.
Prof. Cossi Bio Ossè
|
|
|
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.