Décembre dernier Obasanjo a écrit une lettre ouverte à Jonathan dans le but de l’exhorter à ne pas se présenter à l’élection présidentielle de 2015, conformément à un supposé pacte passé entre les deux hommes. La lettre était par ailleurs chargée de critiques, d’accusations graves, comme par exemple l’existence d’une liste noire de personnes à éliminer à l’approche des élections, et l’entrainement de milices de violence post-électorale. Jonathan a répondu vertement, comme toujours avec ses communicants surdoués, sur un ton véhément ou la polémique le dispute à la rhétorique. Il a balayé les accusations d’Obasanjo d’un revers de main, et s’est plus que jamais engoncé dans sa liberté et sa majesté de président de la République, qui n’a aucune leçon à recevoir de personne fût-ce de son prédécesseur, qui lui aurait mis le pied à l’étrier.
Depuis lors du temps s’est écoulé ; Obasanjo s’est fait discret, en observant l’effet éventuel de sa missive comminatoire sur son successeur. Entretemps, l’ancien président s’est mis en congé de son parti, dont il se contente d’être simple adhérent. La dispute s’est nouée autour de la haine personnelle d’Obsanjo pour son ancien ami, le milliardaire Kashamu promu par Jonathan délégué régional du PDP dans le pays yoruba pour sa campagne électorale de 2015. Ce choix n’est pas du goût d’Obasanjo qui a mainte reprise l’a dénoncé sur la base du fait que le milliardaire Kashamu serait un repris de justice, recherché par la justice américaine dans une affaire de trafic de drogue. Mais comme toujours Jonathan qui ne sait pas saisir les perches de dialogue avec ses adversaires n’a pas profité de l’occasion pour lâcher du lest ; au contraire, malgré les nombreux appels du pied d’Obasanjo, qui avait même laissé croire qu’il suffisait que le président mît un peu d’eau dans son vin dans le dossier Kashamu pour que tout redevienne comme avant, Jonathan est resté droit dans ses bottes, sans doute de peur d’abandonner la proie pour l’ombre, à quelques mois des élections.
Mais, il a fallu que Jonathan déclare sa candidature à l’élection pour qu’Obasanjo se rende à l’évidence, que sa lettre ouverte avait moins de chance d’influer sur les choix de Jonathan que la bave du crapaud d’atteindre la blanche colombe. C’est alors que l’ancien président est sorti de son silence pour jeter son poids dans la balance. Désormais entre les deux hommes les armes sont fourbies, et Obasanjo sans pour l’instant dire du bien du candidat potentiel de l’opposition a décidé de tirer à boulets rouges sur son successeur devenu incontrôlable.
Suite au reportage de notre envoyé à Lagos, voici quelques extraits d’une récente conférence tenue récemment par Obasanjo à Abuja et dans laquelle, l'ancien président parle de la secte Boko haram et de l’échec de Jonathan à en venir à bout
…Boko Haram n’est pas simplement une menace fondée sur la religion ou visant à frustrer l'ambition politique de quiconque mais essentiellement un problème socio-économique teinté de religion.
…La compréhension que le président Jonathan s’est faite du phénomène Boko Haram a souffert d’une lecture erronée et d’un a priori biaisé. C’est ce qui nous a conduits là où nous sommes aujourd'hui.
…Boko Haram est essentiellement un problème socio-économique aggravé par la religion. C’est un immense danger pour la nation et pour tous les Nigérians.
…Il a fallu même au président plus de trois ans pour apprécier le phénomène Boko haram à sa juste valeur et comprendre qu’il s’agit d’un cocktail explosif de faible niveau d'éducation ou de manque d'éducation, de mauvaise interprétation de ce qu’est l'Islam et de ce qu’enseigne et représente le Coran, de chômage, de pauvreté, d'injustice, de trafic de drogue, de trafic d'armes, de traite des êtres humains, des retombées de la Libye, de vengeance, de frustrations, de lutte contre les inégalités, d'imitation du terrorisme international conduisant à la formation et en partie l’absorption par un ou des groupes terroristes internationaux, et de mauvaise gouvernance générale, y compris la corruption.
…Permettez-moi l’audace de dire que si nous continuions à appliquer la force seule, dans la mesure où Boko Haram est devenu une affaire dans le milieu gouvernemental et au sein de Boko Haram lui-même, il peut être supprimé pendant quelque temps, mais ne sera pas éliminé.
…L’éradication du mal de fond en comble exige un programme de développement efficace des zones d’incubation et d'existence de la menace. Et au-delà, toute autre zone susceptible d’être un terrain fertile pour une menace semblable à l'avenir ou une niche de recrutements de candidats au crime, à la perpétration de l'insécurité interne et externe.
…La méthode du bâton et de la carotte implique de ne pas exclure la négociation au moment approprié pour un dépôt des armes et des pourparlers de paix, et l'intervention de mesures socio-économiques positives pour faire face aux causes profondes du conflit et de la violence.
…Dans notre société, ce qui est mal est mal. Boko Haram est un mal dangereux et nous devrions tous nous unir contre ce mal en faisant ce qui est juste pour en venir à bout. A-t-on besoin de nos conseils, donnons-les sans hésiter ; s’il y a lieu de faire des corrections, faisons-les, s’il y a besoin d'intervention socio-économique, qu’il en soit ainsi ; et s’il doit y avoir des sanctions appliquons-les sans hésiter.
…Sans sécurité, nous ne pouvons pas avoir de développement, sans développement, notre sécurité est gravement compromis. L’absence prolongée de développement est un terreau fertile pour l'insécurité.
Binason Avèkes et Biodun Akinwande
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