Après avoir déclaré il y a quelque jour qu’il ne voterait ni ne conseillerait à personne de voter pour Jonathan aux prochaines élections générales, Wole Soyinka dont on imagine que sa prise de position ne resterait pas sans explication est revenu à la charge, dans un article publié aujourd’hui, pour en situer les raisons et les implications. Après avoir fait le procès de la médiocrité et de l’incurie du régime de Jonathan, Wole Soyinka tout en rappelant le passé de son adversaire, milite pour ce qu’il appelle le saut de la foi en faveur du Général Buhari. |
1. Certes, dit-il d’entrée, la différence entre Jonathan et Buhari ce n’est pas comme le jour et la nuit, l’apocalypse et le salut. Wole Soyinka parle d’un choix entre le diable et les profondeurs abyssales où même les meilleurs nageurs se noient. Toutefois, malgré tout, il ne s’agit pas de choisir entre la peste et le choléra. 2. A ceux pour qui le choix est d’une clarté sans nuance, Wole conseille la retenue et la réflexion. Ce n’est pas parce que la situation nous commande de faire un choix que nous allons jeter l’enfant de l’histoire avec l’eau du bain. Wole Soyinka n’entend pas passer par pertes et profit de la nécessité du moment le bilan qu’il juge alarmant de l’action du Général Buhari dans les années 80 à la tête du pays. Car dit-il, l’enfer est pavé de bonne intentions et, sous couleur de mener une lutte a priori fondée contre la corruption et d’autres maladies sociales du pays, le Général a commis des abus aux droits de l’homme, qu’on ne peut pas effacer d’un trait de plume. 3. Pour ce qui est de Jonathan, Wole Soyinka souligne la contradiction morale entre la médiocrité de son régime, qui a ouvert les vannes de la corruption, s’est vautré dans la mal-gouvernance, et exposé par sa passivité le pays à la violence meurtrière de Boko haram, et l’outrecuidance de solliciter à nouveau le suffrage des Nigérians au lieu de s’effacer en demandant pardon pour ces graves manquements. Mais selon le prix Nobel, il urge de faire un choix car « la nation se trouve à un tournant critique, où tout mauvais choix le place au-delà de tout espoir de rester intacte. » 4. Selon Wole Soyinka, les défis du présent confrontent le pays à la question de la rémission des fautes et erreurs de gouvernance du passé. A cet égard, Wole Soyinka rappelle l’exemple de Mandela qui doit éclairer toute l’Afrique, et en l’occurrence les Nigérians. Le pardon, dit-il, est lié à une question clé à savoir : est-il possible pour un homme politique ou un homme tout court de changer, de renaître ? Si Wole Soyinka considère que la réponse à cette question est cruciale, c’est qu’il la croit positive. A condition que celui qui veut bénéficier de la présomption de changement affirme son attachement aux valeurs que naguère il foulait au pied. Et le rappel de l’exemple sud-africain n’est pas sans rapport avec l’institution dite « Vérité et Réconciliation ». Pour qu’il y ait rémission, il faut qu’il y ait reconnaissance des erreurs et adhésion aux valeurs éternelles de liberté, de droits de l’homme et de Démocratie. 5. In fine, Wole Soyinka laisse entendre que la balle est dans le camp du Général Buhari, l’autre choix possible du peuple nigérian, maintenant qu’il n’est pas concevable de replonger dans les profondeurs abyssales d’un océan de médiocrité, de mal-gouvernance et d’insécurité. A lui de dire au peuple qu’il a vraiment changé, et qu’il adhère désormais et définitivement aux valeurs que naguère il lui arriva de bousculer. 6. Wole Soyinka pense que le changement est possible et rapproche la mutation dont on peut créditer le Général Buhari de celle qu’a connue le General Mathieu Kérékou du Bénin. Mais pour que cette assimilation tienne la route, elle suppose un véritable saut de la foi en l’avenir. 7. Ce saut dans l’avenir est commandé par l’état déplorable du présent dont Wole Soyinka fait à la fois la recension et le procès sans concession. « Nous avons senti les effluves d’un état policier naissant. Nous reconnaissons les actes du fascisme pur et simple dans un système qui est censé démocratique. Nous avons connu une saison de stagnation dans le développement et une détérioration drastique de la qualité de l'existence. Nous sommes nourris de force par la culture de l'impunité, qui se manifeste ouvertement dans une corruption massive. Nous nous sentons insultés par l'indulgence de la machinerie du pouvoir vis à cis des criminels de droit commun. La liste est sans fin, mais par-dessus tout, nous comprenons qu’il y a un manque de leadership, ce qui entraîne un effondrement presque total de la société. Nous sommes maintenant confrontés au choix de savoir quand est-ce nous devons faire un acte de foi, ouvrir des pistes de restauration. » 8. Malgré la nécessité de faire le saut de la foi dans l’avenir, Wole Soyinka insiste sur le fait de ne donner le bon dieu sans confession à personne : « Nous ne devons pas être optimiste ou complaisants. La vigilance permanente de chaque instant est de mise ». Si le saut de la foi collective venait à être tourné en dérision, rejeté ou trahi sous une immersion renouvelée dans l'ambiance de pouvoir, Wole Soyinka prévient : « Nous n’aurons pas d'autre choix que de révoquer un pacte tacite et de reprendre notre marche vers cette insaisissable espace de liberté, si souvent interrompue, et ce par tous les moyens humainement à notre disposition. » Et si dans le processus, la conséquence devait en être le suicide national, prévient Wole Soyinka, « personne ne peut dire qu'il n'y avait pas eu un déluge d'avertissements. » 9. L’art de gouverner est bien complexe et peu enviable concède Wole Soyinka. Toutefois parmi ses exigences de base figure la capacité d’empathie, dans la mesure où le leader ne dirige pas un peuple de pierre mais de chair et de sang. Aussi en affirmant le vice de leadership d’un des candidats, Wole Soyinka se tourne vers son rival pour lui poser une question marquée au coin de l’humanisme. Dans la mesure où celui qui se repent de son passé a demandé à toute la nation d’oser faire un saut de foi en sa faveur, c’est que le peuple est en droit d’espérer qu’il a la capacité de se transformer. Et voici la question de Wole Soyinka: « Si vous appreniez la nouvelle de l’enlèvement de votre fille, combien de temps vous faudrait-il pour réagir ? Instantanément? Un jour? Deux? Trois? Une semaine? Ou peut-être dix jours? » 10. « Réponse rapide souhaitée » a conclu Wole Soyinka dont la délibération argumentée est en prise directe sur l’actualité politique du pays. Alan Basilegpo |
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