Et pourtant, du point de vue de ces nations et du point de vue africain ces informations ne sont pas dénuées d'importance pour comprendre ce qui se passe ou risque de se passer à moyen ou à long terme. Donc, ceux d'entre les organes d'information africains qui se reposent sur les dépêches d'agence de presse occidentaux ou les informations diffusées par RFI, BBC, ou VOA, etc. pour informer leurs lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs africains non seulement prennent le risque idéologique de regarder leur propre continent avec les lunettes de ses prédateurs historiques, mais aussi et surtout le risque d'être à côté de la plaque. Cette remarque vaut surtout pour les organes de presse et les journalistes des pays francophones dans leur regard linguistiquement contrarié sur les pays anglophones, et bien sûr vice versa. C'est le cas du regard qu’une certaine presse béninoise-- rare, il est vrai qui daigne sortir du renfermement national pour parler des autres pays de la sous-région--porte sur ce qui se passe au Nigeria. Ainsi, vient de se passer dans ce grand pays voisin un événement politique qui n'est pas dénué de signification mais dont aucun RFI, BBC, VOA, REUTERS AFP, etc. ne parlera. Au Nigeria, sait-on par exemple que c'est le parti nouvellement entré dans l'opposition, le PDP, qui a imposé les présidents du Sénat et de la chambre des représentants qui viennent d’être élus ? L'événement, assez bizarre, s’est produit selon un scénario politicien qui mêle le cynisme à l’indiscipline de parti à relent passablement régionaliste. Au Nigeria, le parti qui a gagné les dernières élections est l’APC fondé par l'oeuvre magistrale et visionnaire du Yoruba Ahmed Bola TINUBU dont le trait d'union avec le Nord est la religion musulmane. Pour la présidence du Sénat, ce parti a sélectionné un homme du Nord, et pour la présidence de la chambre des représentants il a choisi un Yoruba. Une manière de reproduire le même schéma d'équilibre du pouvoir entre Yoruba et nordiste qui a concouru à la victoire de l’APC aux élections générales de mars 2015. Mais deux autres nordistes dissidents, soutenus ouvertement par un cacique du parti au pouvoir M. ATIKU, ancien vice-président, se sont présentés aux élections avec le soutien massif du PDP qui a saisi l’occasion de narguer et de déstabiliser le parti au pouvoir. Résultat, les deux dissidents ont été élus haut la main. Il s'agit de Messieurs Bukola SARAKI et Yakubu DOGARA qui ont respectivement battu Messieurs Ahmed Ibrahim LAWAN et Femi GBAJABIAMILA pourtant membres de l’APC. Si M. Yakubu DOGARA est entièrement originaire du Nord, M. Bukola SARAKI quant à lui, se trouve culturellement à la frontière du Nord et du sud-est yoruba. Il est musulman d'extraction yoruba mais de cet État de Kwara, équivalent symétrique de la région des Collines au Bénin plus une bonne moitié sud du Borgou ; État de Kwara dont la capitale Ilorin a été conquise par les Peuhls/Haoussa au XVIIIe siècle. Dans la jacquerie politique qui s'est opérée, M. Bukola SARAKI représente la seule concession faite par les nordistes aux Yoruba. Au-delà d'un mépris de la discipline de parti, ce qui se joue là touche à l'équilibre régional dans un parti qui ambitionne d'être national dans un Nigeria où l'unité nationale, exempte de tout sentiment régionaliste, relève d'un vœu pieux. Les nordistes viennent, en la personne de Monsieur Buhari d’accéder au pouvoir. C'est du moins ainsi qu'ils interprètent les derniers événements politiques majeurs du Nigeria. Ce désir si cher à leur cœur et dont la forme violente et pervertie s'est traduite par l'émergence et les exactions du groupe terroriste Boko Haram. Mais il va de soi que les nordistes n'auraient pas pu vaincre un président sudiste au pouvoir si les Yoruba eux-mêmes ne leur avaient pas prêté renfort et tendu la main. Renfort et main tendue qui, du point de vue sudiste, peuvent être considérés comme une trahison régionaliste. Mais le fait que le président du parti au pouvoir, celui qui apparaît à la fois comme son maître d'œuvre mais aussi son propriétaire soit un homme du sud, yoruba quoique musulman ne rassure ni ne plaît à une frange régionaliste de ses membres nordistes. Dans leur for intérieur, les nordistes, après s’être servi des Yoruba pour accéder au pouvoir, considèrent qu'ils ne devraient plus avoir d'ordre à recevoir d’eux, même et surtout en termes de discipline du parti. Quand il s'est agi de répartir les postes de président du Sénat et de la chambre des représentants, les nordistes ont pensé que c'était à eux de décider, et il n'était pas question qu’un Yoruba émergeât à cette position. De fait, l'émergence de M. Femi GBAJABIAMILA, originaire de Lagos, a été perçue comme un choix de M. TINUBU, lui aussi originaire de Lagos dont il fut un ancien gouverneur. D'où la fronde des nordistes, unanimement soutenue par les députés et sénateurs PDP, avec le parrainage politique d'un cacique de l’APC, l'ancien vice-président à Abubakar ATIKU, qui a saisi l'occasion pour marquer son territoire et annoncer la couleur d'une dialectique identitaire sinon régionaliste au sein du parti au pouvoir. Cette collusion contre nature entre l'opposition et quelques élus du parti au pouvoir en dit long sur l'instabilité dans les partis politiques au Nigeria, les stratégies opportunistes auxquelles elle donne lieu, et qui souvent comme là, sont les signes avant-coureurs d'événements politiques d'importance capitale. Toutes choses que ni l'AFP, ni Reuters, encore moins RFI, BBC ou VOA ne vous diront jamais !
Alan Basilegpo
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