Pourquoi le Changement a-t-il été Sacrifié sur l’Autel de la Politique ?
Vu sous l’angle de l’espérance qui détermina son élection en mars 2006, Yayi Boni semble avoir sacrifié le Changement ; un sacrifice opéré sur l’autel de sa longévité politique. Dans l’esprit du citoyen moyen et de l’homme honnête, ce choix inspire de la frustration, du dépit, de la déception, du découragement et même un certain désespoir.
Comparé à des exemples semblables dans le passé, la rapidité de ce renoncement bat tous les records. En effet Kérékou n’a pas renoncé à sa Révolution aussi vite ; au contraire celle-ci est montée en puissance idéologique jusqu’à son apogée une dizaine d’années après le 26 octobre 1972. Dans le même ordre d’idées, l’œuvre de redressement national du Président Nicéphore Soglo, bâtie sur le socle inaugural de la Rénovation est restée dans ses grandes lignes fidèle à celui-ci et à ses objectifs politiques, sociaux et axiologiques. Qu’est-ce qui justifie donc que moins d’une année après son accession au pouvoir, sans être animé d’une mauvaise intention, on a le sentiment que Yayi Boni a mis de l’eau dans le vin du Changement qui l’a porté au pouvoir ?
C'est que la rapidité de ce renoncement et sa réalité sociologique prouvent d’une part qu’il s’agit d’abord et avant tout d’un ressenti ; et d’autre part que ce ressenti cache peut-être une dialectique du changement qui, dans une première phase, peut désarçonner le citoyen ordinaire ou prendre de court ceux qui ne sont pas dans le secret de la pensée du Président.
Cette dialectique qui est réaliste et téléologique, s’éclaire par la question suivante : A quoi sert un Changement s’il ne dure pas, s’il est éphémère, s’il est balayé par les forces qui lui sont contraires et qu’il était censé éradiquer ? Un tel changement serait un changement naïf et ne correspondrait pas au réalisme téléologique d’une action soucieuse d’atteindre son but.
Si Yayi Boni voulait changer au sens naïf, c’est-à-dire directement, foncer comme un taureau sur la muleta, il irait droit dans le mur ; ce serait le suicide politique garanti, il deviendrait vite impopulaire, et n’aurait aucune chance d’être réélu. Curieusement, ce serait le peuple dans l’intérêt duquel il se bat qui lui tournerait le dos et le sanctionnerait, comme il l’a déjà fait sans état d’âme par le passé. Conscient de cette vérité énigmatique, Yayi Boni s’inscrit en faux contre l’approche naïve du changement et opte pour un réalisme dialectique, mais une dialectique dont il se veut maître des termes, des phases et du mouvement. C’est pour cela qu’il a mis le changement entre parenthèses pour ne pas dire sous le boisseau – surtout dans son aspect moral, corruption, impunité, mauvaises pratiques. Pour autant, il ne l’a pas renvoyé aux calendes grecques. Il a tablé sur un minimum de deux quinquennats, quitte à, dans l’euphorie du succès dont il rêve, retoucher la constitution pour se maintenir.
Yayi Boni pense que tout se jouera par rapport à l’état d’esprit du peuple ; et sa stratégie consiste à le droguer de propagande, en même temps qu’il évite de toucher au système d’habitudes et de pratiques existant ; au risque d’apparaître comme versatile, décevant ou cynique, ne tenant pas ses promesses, comme tous les autres, etc. Argument qui n’est pas sans lui nuire ; mais de deux maux, il a l’intelligence politique de choisir le moindre.
Yayi Boni a choisi de s’enraciner politiquement d’abord; créer son parti, avoir ses barons, ses structures, dont les ramifications ambitionnent de s’étendre sur tout le territoire et dans les communes les plus reculées (on le voit avec la guerre tranchée autour des élections locales et municipales, mais aussi la refondation de la FCBE qui tout en évitant les écueils du statut de parti, essaie de s’organiser.) Yayi Boni pense qu’il pourra à terme parvenir à mieux changer les choses avec les hommes et les femmes qu’il aura mis en selle et en place lui-même et sur lesquels il espère compter et exercer sinon son autorité du moins son influence de contrôle.
De ce point de vue, la démarche qu’il vise est une démarche de substitution en deux temps. Premièrement, substituer aux anciens les nouveaux hommes ambitieux et tout aussi motivés par les avantages matériels du pouvoir que les anciens ; puis dans un deuxième temps, siffler la fin de la récréation et imposer aux nouveaux opportunistes ses règles définitives dans une cour de récréation où il sera le maître. Dans cet ordre d’idées même ceux qui sont autour de lui aujourd’hui et sont les acteurs du grand marché de la corruption qui semble connaître un regain d’activité inattendu seront à terme soit éliminés soit ramenés dans le droit chemin quand sonnera l’heure fatidique de mise en œuvre du volet moralisation du changement.
Le changement en 2006 avait en effet deux types d’attente distincts et complémentaires 1. Relever l’économie nationale et la gérer rationnellement ; 2. Mettre un coup de frein à la banalisation de la corruption d’Etat et l’impunité qui va avec, toutes choses qui ont contribué à ruiner l’économie nationale et accroitre la misère de masse.
En économiste Yayi Boni a répondu grosso modo à l’attente de relance de l’économie. De ce côté, sa gestion rationnelle a redonné de la consistance à l’économie – certes pas de façon miraculeuse, mais suffisamment rationnelle pour chasser les nuages qui planait au-dessus de son ciel.
Toutefois le réalisme dialectique de Yayi Boni et le choix qu’il implique ne sont pas exempts de risques politiques et d’aléas. D’abord parce que les deux attentes qui sont au principe du changement de 2006 ne sont pas séparées ni séparables long-temps. En effet, le relèvement de l’économie ne peut pas être durable dans une culture de corruption et d’impunité généralisés.
Ensuite – curieuse imprévision d’un soi-disant Docteur en économie – l’environnement économique du monde ne fait pas échos à l’espoir secret de Yayi Boni. Son souhait est en effet que ses efforts et son volontarisme soient relayés par une tendance à la croissance dans le monde. Cet effet d’entraînement le cas échéant aurait été mis à son propre compte. Mais maintenant que les circonstances mondiales interviennent dans le mauvais sens, elles ont bon dos pour justifier la vie chère, la difficulté du gouvernement à améliorer la vie quotidienne des Béninois réduits à la débrouille et obligés de se serrer la ceinture.
Donc la stratégie de Yayi Boni est gênée aux entournures ; et son choix semble périlleux. Certes, elle ne manque pas d’intelligence. Par certains côtés, elle est la seule, et s’avère redoutable comme méthode de changement. Elle fonctionne comme un moteur à deux temps. C’est l’une des explications positives de ce qui apparaît comme son obsession de réélection. Donc de ce point de vue, pour Yayi Boni, réussir le changement c’est nécessairement être réélu puisque le changement se passera en deux temps ou ne se passera pas.
Cette stratégie d’une nature redoutable, pour l’instant, semble avoir été comprise par ceux qui en sont les premières victimes, à savoir la vieille classe politique. D’où la violence de leur réaction, le blocage politique et la tension que cela génère. Car il s’agit pour elles d’une lutte à mort pour la vie. Cette lutte à mort n’est pas l’apanage de la vieille classe. Le moment venu, elle fera rage dans la nouvelle classe politique où elle élira ses futures victimes. Mais pour l’instant celles-ci jouent bien leur rôle de bras séculier de la méthode, car se déployant dans le court terme, elles sont obnubilées par elles-mêmes, leur réussite et leur prospérité politique et personnelle du moment.
Au total la stratégie de Yayi Boni axée sur un réalisme dialectique ne manque pas d’intelligence. Elle est celle qui permet de faire aboutir le changement. Elle consiste à utiliser le mal pour éliminer le mal, quitte ensuite à éliminer le mal intermédiaire. Cette stratégie n’est pas assurée de réussite à 100 % compte tenu d’une part de la paralysie et du paradoxe moral inhérents à son choix mais aussi de la conscience qu’en ont les acteurs et ses ennemis de premier ordre. Cependant cette stratégie promet de réelles surprises à plus d'un : aussi bien aux ennemis politiques déclarés comme aux amis politiques d’aujourd’hui.
Prof. Cossi Bio Ossè
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