Pourquoi les Forces de l’Ordre Tendent-elles Vers les Forces du Mal ?
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. Depuis le Renouveau démocratique, tous les Présidents du Bénin ont succédé à Kérékou ; y compris Kérékou lui-même. Du reste, de tous, Kérékou est le seul ayant eu un prédécesseur immédiat autre que Kérékou. Or, comme à chacun de ses exercices Kérékou a apporté la ruine économique et morale – au prix peut-être d’une certaine paix politique – la mission de ses successeurs a consisté à relever le défi de reconstruire le tissu économique et social du pays. Telle fut la mission de Soglo en 1991. Mission qu’il a bien remplie mais qui a été payée
politiquement en mon-naie de singe par un cinglant désaveu électoral. Réaction pour le moins ingrate d’un peuple qui une fois soulagé de la misère à laquelle l’avait acculé l’incurie du régime précédent, était devenu exigeant, en même temps que prompt à céder aux sirènes de la nostalgie. Mais surtout conséquence du jeu des cabales politiques, du régionalisme aveugle, des règlements de compte, des haines personnelles tenaces en lequel a sombré la politique.
Telle est aujourd’hui le cas de Yayi Boni. Succédant à Kérékou, il a reçu du peuple la même mission que Soglo : reconstruire ce qu’en dix ans Kérékou à détruit. Il s’y attèle avec zèle et passion. Mais Yayi Boni se rend compte que dans le meilleur des cas, il ne pourra, du moins à court terme, faire mieux que Soglo dans la tâche de reconstruction des ruines laissées par Kérékou. Du coup, la question qui l’obsède est : comment obtenir le meilleur de Soglo tout en évitant le pire de celui-ci ? Le pire de Soglo, c'est-à-dire la gifle politique que constitua sa non-réélection en 1996. Ce pire obsède Monsieur Yayi Boni jusqu'au trognon ; il est sa hantise politique négative, l’exemple de ce qui ne doit pas se reproduire. Au-delà du constat empirique qu’il ne pourra pas faire de miracle, il ne veut pas non plus hériter du pire.
Cette crainte du pire justifie le dévolu que le Président a jeté sur le politique ; la volonté d’être réélu qu’il ait fait aussi bien ou moins bien que Soglo, et que le peuple-juge s’en rende compte ou pas. D’où son obsession, sa nervosité ; d’où le parti-pris propagandiste, l'entreprise ubuesque de conditionnement du peuple électeur, la nécessité de l’embobiner, de le dompter, de l’enfermer dans l’univers lénifiant de sa grandeur ; d’où ce populisme suranné et atmosphérique qui consiste à charger le logiciel mental du peuple d’un programme exclusivement dédié à sa gloire. D’où le refus de laisser le moindre espace existentiel à l’opposition, comme cela se doit dans toute démocratie ordinaire.
D’une manière générale, l’obsession de la sanction politique entache les actions du gouvernement et projette sur elles l’ombre portée de la démagogie. Dans le meilleur des cas – gratuité de l’enseignement de base ou des soins de santé spécifique – ses décisions sont trop appesanties par cette obsession pour se soucier de leur efficacité ou d’un quelconque statut de souverain bien. Ce sont des décisions qui s’adressent expressément et en exclusivité au peuple électeur au mépris du peuple souffrant.
Cette façon du deuxième successeur de Kérékou d’être à cran entraîne une volonté de puissance inouïe ; la tentation de faire prévaloir la volonté sur le droit ; la tendance à prendre ses désirs pour loi, et à ne reconnaître de loi que celle de son désir. Du coup le rapport à l’ordre et aux forces de l’ordre devient délirant : il jure avec celui attendu du Chef d’un État de droit. Les Forces de l’ordre sont utilisées à tout instant pour faire exécuter le désir-loi du Président. De l’installation manu militari de M. James Sagbo, DG des douanes contesté par ses anciens collègues à la mise hors tension de la radio Espérance d’Ekpè par les gendarmes, en passant par des interventions devenues banales comme celle qui a permis l’installation du DG du Padme, Didier Djoï, sous forte présence militaire, la liste est longue de ces cas d’un usage déviant des forces de l’ordre dans un État de droit.
Pendant ce temps, les forces de l’ordre sont moins aptes à assurer la sécurité des personnes et des biens ; occupées qu’elles sont à l’exécution des ordres politiques des gouver-nants – Président et Ministres, etc. La police s'y connaît dans l'art subtil d'arrêter de supposés voleurs de cartes électorales, ou de bastonner des journalistes dans le dur exercice de leur métier ; mais elle ne sait pas mettre la main sur des bandits de grand chemin qui mettent nos villes et marchés à feu et à sang. A ce train, tout se passe comme si elle servait plus à la répression des citoyens qu’à leur protec-tion, c'est-à-dire plus au mal qu'au bien. L'assaut dramatique des cambrioleurs du marché Dantokpa cette semaine montre bien la faille de ce déséquilibre préoccupant. Certes, on peut penser qu’il s’agit d’une pédagogie du respect de l’autorité de l’État. Mais la motivation politique qui sous-tend ce rapport déviant à l’usage des forces de l’ordre est incompatible avec l’exigence de rationalité légale. Si en toute sagesse il y a quelque réticence à accorder le statut de souverain bien aux meilleures actions du gouvernement en raison de l’ombre portée de la démagogie qui les entache, l’usage déviant qui est fait des forces de l’ordre lui ne fait l’ombre d’aucun doute. Dans la mesure où, par leur usage répressif, les forces de l’ordre font mal à la liberté du citoyen ; dans la mesure où elles sont incapables de lui faire du bien en exposant sa vie au mal de l’insécurité, force est de constater qu'elles tendent à leur corps défendant vers les forces du mal.
Eloi Goutchili
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