Pourquoi l'Émergence au Bénin soulève-t-elle des questions ?
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Les Béninois ont le sentiment d’être dos au mur. Dès lors, ils font semblant d’avoir eu un Messie pour les sortir de leurs ténèbres. Pour rien au monde, ils n'accepteraient le cas échéant que le Messie est plus proche d’une vessie que d’une lanterne, même si des signes tangibles le prouvent ou le trahissent ; ils
veulent y croire. Ils sont fascinés parce qu’ils ont besoin de cette fascination/dénégation de la réalité. Notre pays a été conduit au bord du précipice ; une femme a été violée, elle a été recueillie par un prêtre défroqué aux mœurs douteuses. Mais la femme et les siens refusent de croire que le prêtre est un homme louche, car comme elle, tout le monde croit au salut, à la réhabilitation. Donc la confiance est ancrée dans le besoin aveugle de confiance. C’est ce besoin qui a poussé les Béninois à oser élire un quasi inconnu dans le domaine de la politique, parce que les gens ont constaté que la politique jusqu’ici a rimé avec roublardise et médiocrité atavique : elle part de bonnes intentions, de belles promesses, de beaux rêves, et sombre inexorablement dans la prévarication, le clientélisme, le népotisme, la corruption, etc… A intervalles réguliers, une petite minorité émerge à la surface du temps politique, s’empare des richesses nationales et s’enrichit sur le dos de la majorité, c' est-à-dire le peuple réel. Or avec le peu de ressources dont nous disposons nous pouvions construire quelque chose de grand, quelque chose de beau, de viable, quelque chose pour tous.
La question actuelle est de savoir qu’est-ce qui fait la différence, la spécificité des tenants du nouveau pouvoir, en dehors du besoin de confiance qui étreint le pays ? L’autre question est : que peut Yayi Boni vraiment ? D’abord ce qu’il veut. Est-ce que ce qu’il veut seul suffit ? Est-ce qu’en matière de politique la volonté d’un individu, même lorsqu’il est sincère, peut triompher des systèmes diaboliques récurrents, des tendances lourdes ? A supposer que Yayi Boni soit sincère et veuille le Bien du Pays, peut-il l’apporter ? Peut-il le porter durablement ? En a-t-il les moyens ? En prend-il le chemin ? Est-ce que le désir du Bien, et la force de l’atteindre ne vont pas, face à la réalité, s’émousser et se transformer peu à peu en leur contraire ? Est-ce que Yayi Boni est pour le Bénin ce qu’un Atatürk est pour la Turquie ou un Nelson Mandela pour l’Afrique du Sud ? Est-ce que c’est le Bien seul que veut Yayi Boni ? Est-ce qu’il y a une once d'autre chose dans son désir que le Bien du pays ? Par exemple, la gloire, l’argent, la reconnaissance ? Si oui, est-ce que ces désirs mesquins ne sont pas déjà à l’œuvre de façon inaugurale, ou ne seront-ils pas un jour plus forts que le désir du Bien ? Pourquoi nous parle-t-on à cor et à cri d'émergence en faisant croire délibérément au peuple que la chose est pour très bientôt alors que selon le dernier rapport du MAEP (1), elle n'arrivera pas avant 25 ans dans le meilleur des cas ? Pendant combien de temps les Béninois seront-ils dupes de ce consensus frauduleux ?
Il faudra un jour à un Bénin vraiment émergent, un Président plus charismatique que pragmatique, plus ouvert qu'autocrate. Or, pour Yayi Boni, l’émergence est plus technocratique que symbolique ou éthique. Le Président actuel n’a pas la carrure d’un leader charismatique. Etre charismatique, « c’est se montrer plus visionnaire, plus sûr de la direction qu’on veut donner aux affaires, et moins sensibles aux tambours de la politique et des politiciens » ; pour cela il faut avoir les qualités d’un leader, et faire confiance à l’intelligence du peuple au lieu de chercher à tout moment à abuser de sa crédulité. Etre charismatique ce n’est pas aller pleurer dans les églises ou jouer à fond sur les émotions religieuses ; c’est beaucoup plus que cela. Peut-être qu’avant que le Bénin n'émerge sous Yayi, Yayi lui-même doit émerger dans le Bénin en tant que leader véritablement charismatique et ouvert. Dès lors, il n’aura pas besoin de porte-parole, ni d’un quelconque recours divin, mais parlera au Peuple droit des les yeux, d’homme à homme.
Binason Avèkes
(1) Mécanisme africain d’évaluation par les pairs
Copyright, Blaise APLOGAN, 2007, © Bienvenu sur Babilown
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