Propos recueillis et transcrits par Gaston B.B. YAMARO
Pascal CHABI KAO était ministre sous le Conseil Présidentiel jusqu’à la prise du pouvoir par le Président Kérékou. C’est à ce titre qu’il a participé avec celui-ci à fomenter le coup d’Etat du 26 octobre 1972 en inventant l’Affaire dite COVACS. Pour lui, « il n’y a jamais eu d’affaire COVACS, plutôt un dossier COVACS, dossier politique monté à dessein pour renverser le Président Ahomadégbé qui s’apprêtait, selon lui à exécuter Maurice Kouandété avec qui, ils s’étaient mutuellement menacés de mort. Historique inédite du coup d’Etat du 26 octobre 1972, Voyage au cœur des affaires d’Etat entre 1970 et 1972. Pascal Chabi Kao nous a gratifiés de révélations inédites lors de la conférence organisée au domicile du Président Hubert Maga lors du Cinquantenaire de l’indépendance du Bénin en 2010. Récit exclusif.
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« Je suis heureux aujourd’hui, et c’est à vous que je confie cela. Parce que quand quelqu’un dit l’affaire covacs, si je lui demande qu’est-ce qu’il entend par l’affaire Covacs, personne ne peut répondre. Si quelqu’un peut me dire c’est quoi l’affaire Covacs je serai heureux. Personne ! Mais tout le monde en parle. C’est le loup garou. Tout le monde parle du loup garou, on ne l’a jamais vu. Il sera difficile aux gens de pouvoir parler avec précision de ce qu’ils ne savent pas. Au lieu d’aller aux sources, ils forgent, ils affabulent pour jouer aux plus importants, aux plus malins et tout. On les regarde faire et on suit.
Je vous avoue solennellement ce soir, qu’il n’y a pas eu «d’affaires Covacs» avec moi Chabi Kao. Il y a eu le «dossier Covacs» qui est un montage politique que nous avons mis en place pour renverser le Président Ahomadégbé, parce que nous étions à deux doigts d’une guerre civile entre le Nord et le Sud. Je le révèle aujourd’hui, vous pouvez demander aux collaborateurs d’Ahomadégbé qui sont encore là. Cette affaire-là, je l’ai montée avec Kérékou et Baba Moussa, paix à son âme, qui est décédé. Même le Président Maga ignorait ça. Nous l’avons monté, c’était pour éviter que le sang coule une fois encore. S’il n’y avait pas eu ce montage du dossier Covacs, le montage politique d’un dossier qui existe réellement, dont je vais vous parler, s’il n’y avait pas eu ça, le sang aurait coulé entre le Nord et le Sud. Pourquoi ?
Quand le tour du Président Ahomadégbé approchait, qu’il devait prendre le pouvoir, les services de renseignement ont dit partout qu’ils ont des raisons de croire que le Président Ahomadégbé s’il prend le pouvoir, il y aura coup d’Etat. De faire en sorte que le Président Ahomadégbé renonce à son tour. Ou bien il dit à Maga de continuer ou bien il arrête et puis on revient aux élections normales mais il ne faut pas qu’il prenne son tour. Les gens ont essayé de le contacter, plusieurs pays; je ne vais citer aucun pays; plusieurs pays ont essayé de le contacter soit directement, soit par délégation interposée, où on lui a dit de sources sures, « tu n’iras pas loin, renonce au pouvoir. Si c’est de l’argent que ça rapporte, nous sommes prêts à te donner cet argent-là pour que tu renonces ».
Ahomadégbé a refusé. Toute son équipe a refusé parce qu’ils ont dit que les fils des autres régions ont porté le «grand collier», et qu’il faut aussi qu’un Houégbadjavi d’Abomey porte aussi ce grand collier même s’il doit mourir trois jours après. Et c’est ainsi donc que Ahomadégbé a refusé de renoncer à son tour, ce qui est normal. Mais il s’est fait que entre Ahomadégbé et Kouandété, il y avait eu une menace de mort. Quand il restait deux ou trois mois pour que Ahomadégbé prenne son tour, j’arrivais au palais de la République où Maga était Président, quand dans les escaliers, Ahomadégbé et Kouandété se sont saisis aux collets. J’arrivais en ce moment. Et tout le monde est venu les séparer. C’est ainsi que je les entendais dire, Kouandété dit « moi vivant, tu ne prendras pas ton tour, si tu prends ton tour de Président, je vais te tuer ». Et Ahomadégbé de répondre : « je prendrai mon tour et c’est moi qui vais te tuer». Voilà les menaces qu’ils se sont proférées. Automatiquement, on en a parlé au Président Maga qui a appelé Ahomadégbé. Celui-ci a dit au président Maga de demander à Kouandété de retirer ses mots, sinon, il sera sanctionné. Kouandété réplique que lui ne retire rien de ce qu’il a dit. Maga a dit « dans ce cas-là, on sera obligé de te sanctionner ». Kouandété a dit qu’il est prêt à toutes les sanctions. Mais il martèle que si Ahomadégbé prend son tour, il va le tuer, lui Kouandété.
Il y avait en effet, quelque chose qui les opposait il y a longtemps. Je ne vais pas rentrer dans ce détail. Donc, j’ai assisté à cette scène-là. Maga a fait tout pour les réconcilier mais en vain. On s’est tu et l’affaire semblait s’être calmée. Il restait un mois ou un mois et démi pour que Maga passe la main à Ahomadégbé. Kouandété ayant appris que Ahomadégbé a refusé toutes les avances qui lui ont été faites de renoncer à son tour s’est dit : « si je laisse Ahomadégbé prendre, ça ! Il m’aura ». Et Kouandété a fait une tentative de coup d’Etat. Il a pris tout le camp militaire de Cotonou en otage. Le Gouvernement lui a intimé l’ordre de cesser immédiatement, mais chaque fois que nous envoyons quelqu’un représenter le Gouvernement, on le prend, on l’enferme là. Les officiers, tous étaient enfermés. Kérékou qui était le Chef d’Etat Major Adjoint est allé plusieurs fois, mais on ne lui a pas permis d’approcher le camp pour aller discuter. On lui dit tout le temps, « halte là ! », et on tire des tirs de sommation. Kérékou a dû tout abandonner. Et ça durait plus d’une semaine que le camp militaire de Cotonou a été pris en otage par Kouandété et tous les officiers. Tout ce monde était là, et on ne trouvait pas de solution. On ne trouvait plus personne pour aller négocier. Un soir, on nous a convoqués en conseil extraordinaire des ministres. Nous ne savions pas quel était l’ordre du jour, et c’est dans la salle qu’on nous a informé que le Chef de l’Etat en exercice, et les deux autres se sont réunis et décidé ce qui suit : « ça fait plus d’une semaine qu’un seul individu est en train de narguer tout un Gouvernement, ce n’est pas possible. Il faut que force reste à la loi. On a donné un ultimatum à Kouandété. On lui a dit que si ce jour d’aujourd’hui, à 21 heures il ne dépose pas les armes, des dispositions sont prises pour qu’on rase le camp militaire. » Et des instructions auraient été données à la gendarmerie de Porto-Novo de Owens, parce que la gendarmerie était très équipée, on lui a dit de faire une marche sur Cotonou. Arrivé à Cotonou on lui dira les consignes, mais nous on nous a informés qu’on va lui demander, avec les engins lourds qu’il a, de tirer, jusqu’à ce que Kouandété se rende. Et donc, les trois présidents ont tenu à nous en informer ce soir-là en conseil des ministres. Alors, on a tous pris peur, moi le premier. Et j’ai dit : « mais, messieurs les Présidents, le camp militaire de Cotonou, c’est en pleine ville ! Il y aura trop de civiles qui vont mourir si on tire à l’aveugle! » On m’a répondu « mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? ». J’ai demandé s’il n’était pas encore possible de négocier. Maga a répondu « ça suffit !». Apithy a dit « ça suffit ! ». C’est Ahomadégbé qui m’a défendu en disant : « le jeune homme a peut-être une idée, laissez-le parler ! C’est ainsi qu’on m’a laissé parler, j’ai dit « bon, donnez moi encore une chance, j’irai voir Kérékou pour voir ce qu’on peut faire. Reculez l’heure de l’attaque.» On m’a autorisé à aller voir Kérékou, mais « si avant 00 heure, Kouandété ne dépose pas les armes, ne nous dis plus rien, on donne le signal et puis le camp sera rasé, tant pis, tant pis ! ».
…Et j’ai dit à Oussa Albert, il est là, qu’on lui pose la question, il était ministre de la santé, et j’ai dit à Ouassa de m’accompagner chez Kérékou. Kérékou est là qu’on lui pose la question aussi. Et nous sommes allés réveiller Kérékou, qui dormait déjà en face du petit palais. Il a dit, « mais ne me dérangez pas ! » On lui a expliqué tout, mais il dit « qu’est-ce que tu veux ? Qu’est-ce que tu veux que je fasse ! J’ai déjà tout essayé moi-même, ma vie a été en danger, je ne peux rien ! Ça dépend de vous, c’est vous le Gouvernement, ce n’est pas moi ! » . Je lui ai demandé d’aller encore essayer, parce que voilàce qui a été décidé, tout à l’heure la gendarmerie va tirer avec des armes lourdes à distance sur tout le camp. Il y a une poudrière, quand ça va exploser, ça sera un carnage dans la ville de Cotonou. Il a vu que c’était sérieux, il a dit qu’il va essayer mais qu’il ne promet rien. Mais qu’il nous demande à nous de prendre l’engagement, s’il arrive à amener Kouandété à la rémission, que nous les civiles politiciens on ne va pas se mêler; que cette affaire est militaire puisque c’est avant tout eux les militaires qui ont été justement déconsidérés par Kouandété. Eux-mêmes, ils ont des tribunaux militaires et qu’ils vont les juger. Je le rassure que le Gouvernement prend l’engagement de ne pas s’en mêler. « A cette condition je vais essayer encore», conclut-il. Nous sommes retournés Ouassa et moi en conseil des ministres rendre compte. Et puis, on a attendu. Tous, on transpirait, on attendait que le téléphone sonne. Et vers 00h moins quelque chose, le téléphone a sonné. Je ne sais plus qui a pris et automatiquement on a passé au Président Maga et il s’est écrié : « Ah ! Kouandété s’est rendu ! ». Dans la salle du Conseil des ministres, nous tous on a bondi comme des gosses. On était heureux. Voilà comment l’épisode s’est terminé. Kouandété s’est rendu, on l’a arrêté. Les Docteurs Boni Pierre, les Affouda,… tous ceux-là avaient été arrêtés, on les a enfermés en prison. Et puis nous avons cru que l’affaire était enterrée. Le Président Maga préparait donc la restitution du pouvoir à Ahomadégbé au mois de Mai. Mais entre temps, les présidents et les ministres du monde entier étaient invités à aller en Iran pour un centenaire; et Maga a été invité. Il a emmené trois ministres : moi, Paoléti et Joseph Kèkè.
Le Président Maga se demandait à qui confier l’intérim. Nous lui avons proposé que comme Ahomadégbé va bientôt prendre son tour, de lui confier l’intérim pour lui faciliter la tâche. Il a jugé que c’était une bonne idée et c’est ainsi que le Président Maga a confié son intérim à Ahomadégbé. Nous avons pris l’avion. Nous sommes partis. Les militaires avaient commencé déjà à juger les Kouandété au niveau de leur tribunal. Ils étaient contents qu’on ait tenu l’engagement. Mais dès que nous avons pris l’avion et que nous avons décollé, nous ne sommes même pas encore arrivés en Iran quand Ahomadégbé a mis sur place un tribunal d’exception; il a récupéré le dossier et il les a fait comparaître devant ce tribunal d’exception pour les faire condamner, une bonne partie à mort, une bonne partie à perpétuité. Les gens ont téléphoné à Maga. Maga voulait revenir, j’ai dit « non, pourquoi tu vas revenir, c’est déjà fait, c’est fait. Etant donné que c’est lui qui va prendre le pouvoir dans quelques semaines, il va gérer son dossier, ne t’en mêle pas ! ». A notre retour, le Président Ahomadégbé a voulu faire un rapport d’intérim à Maga. Maga a dit « non, il reste deux semaines à peine pour ton tour, garde ton rapport d’intérim et continue de gérer ». C’est ainsi que le Président Ahomadégbé a été très embarrassé. Il voulait que le dossier soit au cou de Maga parce qu’on avait pris l’engagement de ne pas s’en mêler. Maga en partant a dit « ne t’en mêle pas », mais Maga a tourné le dos, il s’en est mêlé. Kouandété a dit « Kérékou nous a trahi », et Kérékou a dit « vous les ministres, le Gouvernement, vous m’avez trahi. Parce que si je n’avais pas dit à Kouandété que les civiles n’allaient pas les juger, Kouandété ne se serait jamais rendu, je le connais ».
Voilà l’engrenage ! Le tour d’Ahomadégbé est venu. Il a pris son tour. Dieu merci, ça s’est passé sans …
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