Questions sur la fiction juridico-politique de mars 2011
Ecrit par M. Tite T. ZOSSOU -
Nombre de nos concitoyens ont éprouvé, lors de la proclamation des résultats définitifs par la cour constitutionnelle, ce qu’on peut appeler « un choc politique et moral ». Aujourd’hui, l’instrumentalisation du droit constitue, la question fondamentale dans le processus de démocratisation des sociétés africaines.
La manipulation du droit par nos cours et conseils constitutionnels fait planer sur les Etats africains, le spectre de la guerre civile. Elle s’avère donc politiquement dangereuse.
Si en lisant ce texte, l’on est amené(e) à penser que son auteur est partisan, je réponds d’avance : OUI. Oui il est partisan, et Non, il n’est pas partisan d’un groupe ou d’un quelconque parti politique. Il est plutôt partisan au sens noble du terme, d’une idéologie, d’un idéal. Il est partisan et viscéralement attaché à l’idéal démocratique d’une société libre et juste. Ce texte promeut un certain légitimisme en politique, qui soit le plus juste possible. Car nous pensons qu’un pouvoir légitime et légal, dans cet ordre là, est un pouvoir qui garantit véritablement la Paix si chère aux Béninois. Et non l’inverse, encore moins la légalité à elle seule !
Ainsi, nul Béninois, ou démocrate de conviction n’a le droit de rester indifférent à ce phénomène, car l’utilité de la légitimité en politique est justement de mettre à l’abri de révoltes insurrectionnelles, de coups d’état militaires, bref de garantir la vraie paix. C’est le seul et véritable préalable pour la paix que nous implorons tous en ces moments de profonds doutes.
Franchement, ces juristes qui exercent une influence certaine sur la scène politique africaine, ne facilitent pas la tâche aux démocrates de conviction ! Le droit sert aujourd’hui à promouvoir, à justifier la soif de pouvoir, la volonté de domination, la terreur politique.
Qui pourrait nier cette étrange morosité qui s’est abattue sur le Bénin depuis le soi-disant triomphe électoral de YAYI Boni ?
Quiconque aime la liberté, la justice et la démocratie doit s’opposer à cette marche effrénée vers ce que le candidat Adrien HOUNGBEDJI a appelé la « liquidation programmée de la démocratie ». Car on a le sentiment que les « sages » de la cour sont guidés par une haine profonde de la société démocratique.
Cette décision de la cour constitutionnelle affecte l’intégrité morale et la vie privée de chaque citoyen. Elle n’aurait jamais dû exister, y compris sous la menace d’une arme à feu. De telles décisions, nous le savons désormais avec le cas ivoirien, ont mené à une catastrophe politique irrémédiable. Pour le démocrate, la paix civile est le bien le plus précieux dans un pays, la guerre civile, le pire de tous les maux.
Or la politique vise à préparer les conditions pour la formation d’un Etat de droit et l’épanouissement du citoyen dans une société libre, juste et harmonieuse. Mais un tel objectif ne peut être atteint sans la paix, qui est définie par l’écrivain guinéen Lansiné KABA comme « l’instrument et la condition de la concorde sociale ».
Nous, Béninois, sommes attachés à une conception de la politique et de l’Etat basée sur le droit, l’égalité et le contrôle de l’électorat sur les gouvernants. Rappelons que l’alternance constitue le fondement d’une vie politique solide et sereine.
Ces élections du 13 mars 2011, ont oblitéré l’esprit de civisme des béninois et le mauvais usage du droit s’avère dans toutes ses formes, comme un danger contre la démocratie et la paix. La démocratie va aussi de pair avec la notion de vérité. Un pays qui se veut démocratique, ne peut accepter qu’on fasse un piètre usage du droit.
Le Bénin, a-t-on coutume de dire est, par tradition, le pays du bon sens. En ce sens, la mission, la vocation de la cour constitutionnelle aurait dû être de dire véritablement le droit, de servir la démocratie. Or, nous remarquons tous que le droit vient d’être utilisé pour mettre des bâtons dans la grande roue de notre jeune démocratie.
Un jour viendra où les membres de cette cour, après tout, en proclamant de tels résultats, les considèreront comme la pire erreur de leur existence, comme un lourd cas de conscience.
Nombre de Béninois, connus d’ailleurs pour leur remarquable foi en Dieu, se sont demandés : « Mais que fait donc Dieu face à tout cela ? » Il nous semble que Dieu se serait lui même interdit d’intervenir dans nos cuisines terrestres, puisqu’Il a créé le monde, et l’a déjà doté de ses règles et outils. Il s’est ensuite aussitôt retiré, tout en gardant un œil observateur sur l’humanité.
Il se pourrait très bien que cette fiction ne soit pas la première du genre dans notre pays depuis l’historique et mémorable avènement d’un Etat démocratique. Mais une chose est certaine, si d’autres se seraient jouées dans une certaine ombre, on peut dire que celle-ci s’est déroulée sous une lumière tellement perceptible qu’elle en vient à nous éblouir.
Le scénario de cette fiction juridico-politique est bien connu désormais sur le continent. Pour vous en convaincre, suivez donc mon regard ! Notre motivation est simple : interpeller et essayer d’éclairer toutes les consciences libres et engagées de notre continent, afin que chacun prenne ses responsabilités. Comme le disait Hannah ARENDT, les pouvoirs autocratiques et dictatoriaux ne se nourrissent que de la peur et du silence de leur peuple. Le régime s’effondre rapidement dès lors que la peur change de camp : observations du cas Tunisien à travers sa révolution dite du jasmin.
Non, il ne faut conclure aucun pacte diabolique avec les tenants de la liquidation des acquis démocratiques chèrement conquis par notre peuple, depuis la conférence nationale. Il faut refuser ce statu quo politique actuel qui veut que la majorité de la population béninoise accepte un tel déni de sa volonté, la seule qui confère la légitimité politique véritable.
La légitimité transcende le droit établi. Elle se réclame alors d’une idée morale supérieure à la légalité établie. Dès lors que le peuple dans son « entièreté » a choisi librement de se constituer en Etat Souverain et Démocratique, nul n’est besoin de rappeler ici qu’il ne s’agit donc pas pour un présidentiable, de se positionner dans une quête de légitimité de type monarchique fondée sur un droit divin et une tradition. Il s’agit plutôt d’une légitimité octroyée par le suffrage universel, à l’image des Etats démocratiques anciens et réguliers, bien que nous ne puissions pas encore affirmer que le Bénin soit une démocratie solide. Il serait plus juste de parler plutôt de l’Expérience démocratique béninoise. Qu’induit donc tout cela ?
Cela nous amène à écrire que, libre donc à nous, à mi-chemin de nous arrêter et de faire un bilan. Puis, de continuer sur ce cheminement, après avoir décidé unanimement de corriger ce qui devrait l’être, pour approcher d’avantage cet Idéal de démocratie, ou alors de stopper l’Expérience. Il n’appartient qu’au seul et indivisible peuple d’en décider. Sa décision sera alors souveraine.
Pour ma part, je remarque qu’une minorité usurpatrice vient d’opérer un choix capital, en lieu et place du peuple. Quel doit alors être le devoir de la majorité silencieuse de notre peuple ?
Saint Thomas d’Aquin disait que c’est le tyran qui est séditieux et non ceux qui se révoltent contre lui. L’univers s’écroulerait, que les ruines en frapperaient le peuple qui conteste justement un pouvoir, au nom du droit et de la légitimité, sans l’étonner. On ne saurait en dire autant du « vrai » perdant n’assumant pas sa réelle défaite, encore moins de ceux qui soutiendraient une victoire uniquement légaliste.
Bien entendu, force doit rester à la loi, mais encore faudrait-il que l’autorité qu’incarne cette force soit légitimée par le même peuple à travers un suffrage universel LIBRE, TRANSPARENT et JUSTE !!!
Nous appelons cela, un simple rappel de la loi et non la légitimation de la loi. La légitimité ne consiste pas simplement en un rappel de la loi. Il faudrait souligner ici et maintenant que toute légalité a besoin d’une légitimité. Il ne suffit pas de « proclamer » qu’un régime est légitime parce qu’il respecte la loi. La puissance du droit se nourrit de la puissance de fait, autrement dit, d’une légitimité incontestable.
Mais alors, qu’est ce qu’une élection libre ?
Une élection peut être qualifiée de libre dès lors que tout citoyen en âge de voter et en ayant manifesté le désir, accomplit cet acte avec sa pleine et libre volonté, sans influence quelconque, et ceci sur toute l’étendue du territoire national. A l’inverse, cela s’appellerait de l’esclavagisme électoral. L’esclave faisant sous la contrainte, ce que lui dicte le maître.
Quid alors de l’observateur étranger, fût-il de l’ONU, qui ne peut fondamentalement être présent dans tous les bureaux de vote d’un pays à la fois? J’en profite également pour inviter tout un chacun à une extrême lucidité ainsi qu’à l’éveil sur la manipulation de ce concept d’«observateur neutre » même si ce dernier est mandaté par le Conseil de sécurité des N.U.
Bien qu’auréolé de la plus ultime crédibilité et de l’impartialité la plus indiscutable, un groupe d’observateurs ne doit rendre des conclusions qu’à la condition nécessaire et suffisante qu’il ait déployé des représentants dans tous les bureaux de vote validés de manière collégiale par les membres de la Commission Electorale Nationale Autonome dans les délais prescrits par le code électoral.
Qu’est ce qu’une élection transparente ?
Est transparent ce qui est n’est pas dissimulé, ce qui n’est pas opaque. Ce qui est transparent, se fait au vu et au su de toutes les parties en présence. Par exemple, le fait que dans toute élection au monde y compris au Pakistan et en Afghanistan, les listes de votants et de bureaux de vote soient transparentes pour tous, donc connues de tous à l’avance, représente la véritable pierre angulaire de la transparence. La création par le responsable de la CENA de bureaux de vote fut-ils d’exception, la veille du scrutin, pourrait être considérée dans certaines conditions comme légale, mais si tous les représentants des candidats ne sont pas avisés de toutes les créations de bureau de vote, afin de s’y rendre, on ne saurait alors parler de transparence.
Qu’est ce qu’une élection juste ?
Pour finir, un scrutin juste est un scrutin pour lequel le suffrage est réellement universel, dans le sens où toute personne en âge de voter et ayant réellement manifesté son désir de voter, obtiens bien une carte d’électeur avant le jour du scrutin. Est juste, ce qui est équitable, ce qui est conforme à la règle. Ce qui est exempt d’abus et d’exclusions, et aucune motivation de développement ou de modernisme électoral ne saurait excuser un défaut de justesse. De la même manière, d’habiles excuses publiques après coup, certainement conseillées avec ruse ne sauraient redonner à un scrutin le caractère juste qui viendrait à lui manquer.
Sans la participation pleine et entière des béninois aux différentes élections, la citoyenneté est impossible. Une société qui cesse d’être garantie par ses citoyens n’est fondée sur aucune légitimité populaire. Et Montesquieu a eu raison de souligner que si les mœurs règlent les actions de l’homme, les lois règlent plus les actions du citoyen.
La méconnaissance du principe d’égalité des citoyens par le détenteur du pouvoir et ses partisans conduit à la répression et à la guerre. Lansiné KABA écrit que : « l’esprit d’injustice engendre la guerre, celui de démocratie conduit à la concorde et à la paix ».
Raymond ARON avait également raison d’appeler la démocratie, la vérité indépassable de notre temps.
Je nous invite à avoir toujours à l’esprit que toute avancée technologique génère systématiquement une certaine ambivalence dans le résultat. Je veux dire ici qu’en tout progrès de la science et de la technique, l’homme porté naturellement vers le Vice y trouvera toujours de nouvelles méthodes de déconstruction machiavélique, exactement au même moment où l’homme Vertueux y trouvera de nouvelles opportunités pour son idéal de construction. En ce sens, la LEPI (Liste Electorale Permanente Informatisée) a été utilisée au bénin, comme le plus beau piège du monde.
Le régime issu du pseudo scrutin du 13 mars 2011 est parfaitement illégitime pour plusieurs raisons.
1. Il arrive parfois qu’un gouvernement soit tenu pour illégitime, « simplement » parce que sa constitution n’a pas obéit en tous points à la légalité formelle. J’entends bien : la Loi électorale ainsi que la Constitution en ses articles relatifs aux échéances électorales. L’établissement en France, en 1940 du régime dit de Vichy était qualifié d’illégitime. Et pour cette raison, la majorité silencieuse française avec à sa tête le Général de Gaulle, à travers un appel à la Résistance (l’appel du 18 juin 1940 de Londres) a fini par obtenir sa libération en juin 1944 avec l’aide du Royaume-Uni et celle des Etats-Unis.
S’il semble aujourd’hui avéré et prouvé que la gestion logistique trop peu rigoureuse par la CENA a lourdement failli et que ces fautes n’ont jamais été sanctionnées, ni par la plus haute juridiction, ni par la collégialité de la CENA elle-même, alors toute personne peut affirmer librement que la loi électorale n’a pas été respectée, encore moins la loi fondamentale. Dès lors, le boulevard de l’illégitimité s’ouvre pour le candidat qui en sortira « vainqueur ». Cette illégitimité est une illégitimité formelle : non fondée donc sur le principe de l’adhésion populaire.
2. Parfois encore, il arrive que la source de l’illégitimité soit une source morale : un gouvernement qui ferait systématiquement bon marché de la liberté et/ou de la vie de ses concitoyens, ou de certaines catégories de citoyens, sera justement tenu pour parfaitement illégitime quelles que soient les acclamations populistes dont il puisse bénéficier. Qu’il s’agisse, bien sûre, d’acclamations libres ou suscitées.
Et maintenant, quelle légitimité pour le président YAYI Boni?
Jouit-il d’une légitimité tout au moins formelle ? Tout un chacun pourra y répondre en considérant la totalité des recours et irrégularités formalisés et heureusement rendus disponibles sur internet.
Ou alors, se serait-il émancipé d’une légitimité formelle, en faveur d’une légitimité morale ? Encore une fois, uniquement notre libre arbitre pourra nous aider à apporter notre réponse à ce questionnement. A la condition bien sûr de s’employer à être le moins amnésique possible et encore une fois, en nous référant aux divers faits liés à la morale, dans notre pays ces cinq dernières années.
Face à ce hold-up électoral, ce pays entre dans ce que Karl JASPERS appelle « situation-limite », c'est-à-dire une situation qui doit pousser chaque citoyen à penser par lui-même. Il ne serait pas du tout inutile de rappeler ici que notre propre opinion sur un sujet, doit toujours primer sur les opinions empruntées. Et pour exercer librement son jugement, il importe d’éviter tous les amalgames qui à leurs tours, risqueraient de nous faire tromper de combat.
Il nous semble évident que « l’élection de M. YAYI Boni » dès le premier tour du scrutin du 13 mars 2011, souffre cruellement d’une carence en légitimité.
Attention, nous ne prétendons pas que le peuple a toujours majoritairement raison ! En effet, au nom de quoi, un peuple ne pourrait – il pas se tromper ? Encore faudrait-il que toute élection soit LIBRE, TRANSPARENTE et JUSTE, car une élection peut bel et bien être LIBRE, TRANSPARENTE et JUSTE sans pour autant que celle-ci n’aboutisse à la victoire du meilleur ! La victoire du meilleur dépend de son travail sur lui même et surtout de son travail sur le terrain.
Si nous sommes tous d’avis pour dire que la consécration ou l’établissement d’un gouvernement par le suffrage universel direct (et non un suffrage semi-universel) direct, est la base de toute légitimité démocratique, alors la question est maintenant de savoir comment perfectionner notre système électoral dans le sens de minimiser les contestations pré et post électorales.
C’est notre vraie « cause commune » si je puis me permettre !
Puisse ensuite la prière du roi Salomon donner aux membres de la cour constitutionnelle un « cœur intelligent ». Car, qui pourrait nier que ces membres ont abandonné, par leurs décisions, toute prétention de « Sagesse » ?
Décidément, ils ont renoncé à leur position d’ « hommes et de femmes sages » de la nation béninoise; ils se sont installés dans un état d’esprit arrogant sans aucune réelle vision politique.
Disons-le clairement, les décisions de la cour ne sont pas des commandements divins.
A l’endroit du président YAYI Boni :
Monsieur le Président, et si vous réclamiez au plus tôt la légitimité de votre pouvoir, en convoquant à nouveau le corps électoral, tout le corps électoral ?
A ce titre, inspirez-vous de la démarche de notre sage et ancien Président Mr Emile Derlin ZINSOU. En démocrate de conviction, il avait tenu en son temps à légitimer rapidement son pouvoir, à travers le plébiscite du 28 juillet 1968, quelques jours seulement après son investiture du 17 juillet de la même année comme Président de la république du Bénin. Ainsi prendriez-vous date, pour un futur et incontestable come-back, à l’image du président Mathieu KEREKOU en avril 1996.
Ecrit par M. Tite T. ZOSSOU - Ingénieur Télécoms – Paris - contact : [email protected]
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Vraiment c'est courageux et salutaire pour le Bénin, que ce béninois réfléchisse et fasse un diagnostic aussi pertinent...
Rédigé par : Yovo | 24 septembre 2012 à 00:57