Albert Bernard Bongo, né le 30 décembre 1935, Président du Gabon depuis décembre 1967 se convertit en 1973 à l’islam et devient El Hadj Omar Bongo. Il y a plusieurs explications à ce changement de nom qui, loin de s’exclure, se complètent.
Le fait évident est que le changement de nom est consécutif à un changement de religion. Le Président gabonais était à l’origine chrétien, puis il est devenu musulman. Apparemment c’est en droite ligne de ce dernier changement qu’intervint le changement de nom. Dans le contexte de la diplomatie de l’époque marqué par la toute-puissance de l’OPEP, cette conversion et le changement de nom qui en est le signe ostensible apparaissent comme un moyen de se faire bien voir des pays de l’OPEP en majorité musulmans ; le Gabon étant un producteur de pétrole, ressource dont l’accaparement à huis clos par la France et la gestion patrimoniale feront la richesse personnelle de Bongo.
Pour autant, le changement de nom ne s’épuise pas dans cette appartenance à la confrérie musulmane des pays producteurs de pétrole. Ce changement de nom doit être replacé dans le contexte des farces et manipulations géopolitiques qui vont présider à la néo-colonisation de l’Afrique sur fond de guerre froide. La reprise en main de la liberté acquise de l’Afrique passe par l’installation, par la ruse, la force et la duperie, d’un treillis de dirigeants fantoches, dictateurs ou Présidents à vie à la solde du système impérialiste et néocolonial blanc dont ils sont les valets serviles et dociles. Cette prostitution librement consentie d’un quarteron de dirigeants africains complices de l’exploitation des larges masses africaines est un phénomène hélas récurrent dans l’histoire des rapports entre l’occident blanc et l’Afrique noire depuis des siècles : de l’esclavage au néocolonialisme.
Pour les dirigeants serviles qui jouent sans états d’âme les cautions indigènes d’une exploitation de l’Afrique à laquelle les soi-disant indépendances n’ont rien changé sur le fond, il sied de cacher leur posture derrière des scénarios de dénégation symbolique de leur forfait. L’une des ruses mises au point à cet effet avec la complicité malicieuse des Européens, a été la proclamation tapageuse de l’authenticité nationale ou africaine par ceux-là mêmes qui de par leurs actes avaient choisi de renier leur race, leurs congénères, et leur peuple, livrés pieds et poings liés à l’exploitation implacable et féroce des Blancs.
La manifestation la plus bruyante de cette soi-disant politique d’authenticité consistait alors au dirigeant fantoche vendu aux Blancs et à leurs intérêts à changer de nom. Et ce soi-disant dans une démarche de prise de conscience culturelle et philosophique qui se traduirait par une libération de l’aliénation culturelle et politique induite par la domination de l’Occident qui est censée relever du passé. Au moment même où le dirigeant africain servile et vendu convolait en tristes noces avec les puissances euro-occidentales et les milieux capitalistes voués à la domination politique et économique de l’Afrique, il s’en donne à cœur joie d’agiter le drapeau insidieux de l’authenticité destiné à endormir ses congénères. Ruse, cynisme, coups bas plus ou moins fumants, escroquerie, débauche et stupres, insensibilités aux souffrances de sa race, culte de soi, promotion exclusive de sa seule personne et de son clan au détriment du peuple, manipulation, etc. Telles étaient la méthode, la culture te le parti-pris éthique de cette sordide engeance de prostitués dont la servilité aux Blancs était la condition de leur fortune politique et de leur immense richesse indue : salaire de la honte !
Donc, dans ces années phares où se mettait en place l’odieux système de recolonisation informelle de l’Afrique – car le continent noir était censé être formellement indépendant – le changement de nom de Monsieur Albert-Bernard Bongo devenu Omar Bongo, pouvait aussi se comprendre comme une volonté subtile de revendiquer une identité dont la fierté affichée a d’abord et avant tout pour fonction de masquer son abdication servile.
D’ailleurs le cas de Bongo n’était pas isolé dans la sulfureuse galaxie de la Françafrique, piloté depuis Paris par Jacques Foccart, le Monsieur Afrique des années 60 à 80. Tel était aussi le cas de deux autres autocrates à vie de la sphère francophone que sont Eyadema et Mobutu. Le second né Joseph-Désiré Mobutu en 1930 devint en 1965 Président d’un pays qui s’appelait alors Congo Kinshasa. Inventeur de la mystique de l’authenticité dans les années fastes de la guerre froide qui présida à son accession violente au pouvoir après l’assassinat crapuleuse de Patrice Lumumba, il changea le nom du pays et le sien propre. Le Congo Kinshasa devint Zaïre et son président se fit appeler Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga. (alias « Mobutu le guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter »). Dans l’atmosphère de farce destinée à servir de masque à la trahison de l’Afrique réelle symbolisée par l’élimination de Patrice Lumumba et au service docile des intérêts occidentaux, Mobutu instaura sa politique dite de Recours à l’authenticité. La farce ne se contenta pas d’un simple changement de nom du pays et du Président, mais elle poussa plus loin l’ironie par sa velléité à se décliner dans les formes diverses de la vie sociale et collective. Ainsi la politique dite du recours à l’authenticité imposa-t-elle un costume traditionnel: « l’abacost » et, à l’instar du Président, obligea les Zaïrois à choisir un nom d'origine africaine. « L’Afrique disait alors Mobutu dans un slogan resté célèbre, n’était ni capitaliste ni communiste, mais communautaire » !
Le syndrome de la farce de l’authenticité eut un certain écho au-delà des frontières du Zaïre. Au Togo, Eyadema, l’imita à sa manière en tenant compte des réalités de son pays et de ses moyens. Né Étienne Eyadema 1935 et connu sous ce nom jusqu’à son accession violente au pouvoir suite à l’assassinat du premier Président du Togo Sylnavus Olympio, Etienne Eyadema qui utilisait son prénom autochtone comme patronyme, rétablit la situation en supprimant le prénom Etienne, et s’appela désormais Gnassingbé Eyadema par réhabilitation du nom de son père. Mais dans la pratique, il était connu sous le nom de Eyadema.
Dans ces deux derniers cas l’intention suborneuse et faussement idéologique du changement de nom était plus évidente et délibérée que dans le cas de Bongo. En effet, alors que dans le cas de Bongo, le choix d’un nom musulman après une conversion ne connotait pas une revendication plausible à un quelconque retour à l’authenticité – En quoi l’islam serait-il authentiquement plus africaine que le christianisme ? – le choix de nom africain ou la suppression d’un prénom occidental chrétien par les deux autres suppôts africains du système néocolonial français se voulaient selon les contextes une plus ou moins tapageuse revendication d’authenticité soi-disant africaine. Il semblait d’ailleurs que le Dictateur togolais, entre autres raisons, fût inspiré par son homologue zaïrois dont la politique du recours à l’authenticité était indexée sur le pillage des immenses ressources du Pays.
Bref, répondre à la question de savoir pourquoi Albert-Bernard Bongo au début de sa longue carrière d’autocrate gabonais s’est fait appeler Omar Bongo nécessiterait de faire l’histoire du néocolonialisme français de ses farces et manipulations crapuleuses, de son théâtre de duperie. Ce type d’acte qui n’était pas isolé dans les années 70 où, à l’ombre de la guerre froide, se mettait en place la galaxie de la Françafrique doit être replacé dans son contexte. Pour se convaincre de son caractère d’acte politico-médiatique historiquement situé, il suffit de se demander pourquoi depuis lors en Afrique plus aucun autocrate ou président ne trouve loisible ni intéressant de changer de nom, de prénom ou de religion...
Prof. Cossi Bio Ossè
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