Une Analyse du Prof. Cossi Bio Ossè
La question mérite d’être posée parce que d’un point de vue de justice, de démocratie, et de pluralité, la Lépi consensuelle, c’est du bon sens élémentaire. Mais la politique ne vit pas que de bon sens et d’eau fraîche : c’est aussi une question d’arrangement, de rapport de forces, de niveau d’information, et de volonté de puissance. Être plus puissant, c’est détenir le secret suprême de l’arme suprême, celle qui renvoie tous les autres au rang de nains, d’objets malléables dont on détermine le sort à volonté. C’est ça le pouvoir en général ; c’est ça le pouvoir en Tyrannie, c’est ça le pouvoir en Afrique autocratique, c’est-à-dire, dans la plus grande partie de l’Afrique. Et Yayi Boni qui n’a pas commencé à rêver d’être Président de la République en 2006 connaît bien cette Afrique-là. Il a été à bonne école de la politique du fait accompli, du bon vouloir d’un homme, mélange d’accaparement léonin, de cynisme et de paternalisme tropical. Le Togo, pays où Yayi Boni a politiquement éclot est un idéaltype de cette Afrique de l’autocratie, de la dictature et de l’accaparement insensé du pouvoir par une tribu, un clan, une famille, un seul homme. Et d’une manière générale, l’Afrique Francophone est le sanctuaire africain des dynasties héréditaires qui sans vergogne et au vu et au su du monde entier se perpétuent scandaleusement à coup de corruption, de vols, de viols des consciences, d’élections truquées, de meurtres, de génocides et de violences politiques.
Donc si Yayi Boni ne veut pas d’une Lépi consensuelle, c’est que la Lépi Consensuelle ne fait pas son affaire. Dans les consultations prochaines ( présidentielles et législatives) Yayi Boni veut gagner avant même que les élections n’aient lieu ; il veut donner à sa victoire toutes les apparences de la régularité – organisationnelle et mathématique. De ce point de vue, la Lépi est du pain béni pour lui, un véritable cheval de Troie numérique ; puisque tout ce qui découle virtuellement du verdict d’une machine et des calculs prétendument rationnels et objectifs a les apparences de la vérité et de l’impartialité. C’est de cette impartialité que Yayi Boni a besoin pour légitimer sa victoire. La Lépi n’est pas pour lui un outil fiable mais d’abord et avant tout un outil de légitimation fondée sur la récupération frauduleuse du discours de l’impartialité. Et pour ce faire, il faut que l’impartialité soit préconstruite. Que derrière son apparence fiable et sa validité technique se profile un jeu de subornation et de manipulation des données et des clés savamment biaisés à tous les niveaux. Au-delà de son aspect froid et rigoureux, il s’agit d’un système à visée téléologique calculé pour donner un résultat voulu et connu à l’avance : la victoire de Yayi Boni à 56% , 65%, le cas échéant. Un exemple parmi mille autres de ces biais et sources de construction/corruption des données apparaît dans les chiffres déjà produits par la cartographie censitaire ; entre autres incongruités ceux-ci nous apprennent que dans l’Alibori, la frange des moins de huit ans serait de 5% ; dans le Borgou cette frange serait de 4% ; dans le littoral cette frange bondit à 43%, tandis que dans le Plateau, d’une façon miraculeuse et sociologiquement pour ne pas dire humainement impensable elle s’évanouit à 0% !
Bref les sources de corruption des données dans la mise en œuvre d’un tel outil sont nombreuses. Et la seule façon de limiter cette corruption délibérée est de faire prévaloir la volonté de construire un outil fiable, au service non pas d’un parti ou d’un groupe mais de toute la nation. Pour ce faire il n’y a qu’une seule méthode technique et une seule attitude éthique c’est celle qui privilégie l’approche consensuelle par opposition à l’approche solitaire conduite à coups d’oukases, de ruses et d’artefacts. D’une manière éthique la Lépi ne devrait pas être désirée comme un Cheval de Troie numérique dont on exploiterait de façon téléologique la fausse impartialité ou l’apparence de validité mathématique à des fins de trucage. La Lépi devrait être désirée pour elle-même et dans l’intérêt de la nation. Pour cela, non seulement faut-il que la Lépi soit consensuelle mais il est souhaitable que son projet soit objectif ; et l’une des manières de garantir cette objectivité, c’est qu’elle ne serve pas expressément dans une élection où le Président qui en a supervisé la confection soit candidat.
Prof Cossi Bio Ossè
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