I. Le Régionalisme dans le Bien et le Mal
Dans sa lettre ouverte au Président de la République, Kamarou Fassassi, en disant, je cite “Vous avez réussi à obliger chaque Béninois à se souvenir de la région dont il est originaire et de l’ethnie dont il est issu” souligne avec justesse un des travers ravivés par Yayi Boni : le régionalisme. Un des paradoxes du régime dit du changement. c’est de proclamer d’un côté sa volonté de faire émerger le Bénin, et de l’autre de donner à fond dans une idéologie et des pratiques rétrogrades aux antipodes des valeurs de progrès et de rationalité légale. Outre et en concurrence avec les pratiques et irrégularités qui ont conduit à la kyrielle de scandales dans lesquels le gouvernement se débat actuellement, il y a, pratique rétrograde entre toutes, ce qu’on appelle régionalisme.
Mais il y a aussi le type du régionalisme dans le mal. C’est la préférence que l’on établit lorsqu’en politique on est amené à sévir, punir ou sanctionner, soit pour se protéger, soit parce qu’on y est acculé. Tel est le cas dans les diverses réactions de Yayi Boni dans les affaires ou scandales financiers qui agitent l’opinion et la vie politique nationale depuis quelque temps. Acculé à sacrifier ses proches pour se protéger, Yayi Boni donne des Ministres parmi les plus zélés de ses collaborateurs. Mais en dépit des élucubrations béatement optimistes et de la bonne volonté nationaliste de certains analystes, quand on se donne la peine de regarder de près, on remarque que, même dans les sanctions, le parti-pris régionaliste de Yayi Boni affleure et saute aux yeux. Ainsi, ce n’est pas une vue de l’esprit de considérer que dans l’Affaire ICC Services, comme dans les scandales annexes ou corrélés, toutes les personnes que le Président a envoyées devant la Haute Cour sont du Sud. Les cas duaux des Ministres de l’Intérieur et de celui de la Défense sont à cet effet significatifs. Les deux hommes sont mouillés dans l’Affaire ICC’ Services, sans compter vraisemblablement la Ministre des Micro-Finances mais il se trouve que seul le Ministre de l’Intérieur, originaire du Sud, est donné et ce en dépit du zèle ardent de ce dernier au service du Chef de l’État. Comme si pour le coup son zèle et son amitié n’ont été d’aucune utilité face aux exigences de la politique. C’est ce genre de discrimination négative qui définit le régionalisme dans le mal.
En clair, dans le bien lorsqu’il s’agit de placer, d’honorer, de faire profiter ou prospérer, Yayi Boni préfère les gens d’une certaine partie du pays ; et lorsqu’il s’agit de déshonorer, de compromettre, de se débarrasser de, de sacrifier voire de tuer politiquement, Yayi Boni choisit ses holocaustes méthodiquement à l’extérieur d’une “région” du pays !
Pourquoi ce parti-pris régionaliste ? Et pourquoi est-il si systématique et si ferme ? Est-ce par haine ou mépris des gens du Sud ? Pourquoi verser sans états d’âme le sang politique d’un Zinzindohoué lorsqu’on préserve jalousement celui d’un Kogui N’douro ? Est-ce en raison d’une vision idéologique et ethnocentrique de la nation ? Est-ce la traduction d’une volonté d’oppression voire d’écrasement des autres composantes ? Est-ce en vertu d’une haine découlant d’un complexe du minoritaire ? Comme la xénophobie ou l’ethnocentrisme, ce qu’on appelle régionalisme au Bénin peut découler d’un mépris irrationnel de l’autre; il peut être aussi la conséquence logique d’un choix rationnel visant à optimiser ou à sauvegarder ses intérêts dans un contexte économique porté à leur raréfaction. Mais dans le cas de Yayi Boni, bien que ses actes régionalistes suscitent la haine et la frustration de ses victimes – haine et frustration d’autant plus légitimes que ces victimes forment la majorité symbolique et démographique du pays – Yayi Boni n’est pas foncièrement motivé par la haine viscérale. Et ce en dépit des commentaires troublants dans la bouche d’un Chef de l’Etat, sur la nécessaire revanche des Nago à l’endroit des Danhoméens, qui les réduisaient en esclavage, et que dénonçaient naguère Rosine Soglo. Quand on y regarde de près, l’attitude et le parti pris régionalistes de Yayi Boni sont plus régionalistes qu’ethnocentristes. C’est le lieu de battre en brèche le basculement sémantique que certains essaient non sans arrière pensée de faire du régionalisme à l’ethnocentrisme. En fait, à s’en tenir strictement à la définition de ce terme qui vient de la psychologie, le Béninois n’est pas ethnocentriste : en effet, aucune ethnie ne s’y prend comme la référence et ne souhaite s’imposer aux autres comme modèle. Mais les Béninois sont régionalistes, comme ils le disent mais non pas comme le définissent les dictionnaires des langues étrangères dans lesquelles nous sommes amenés à notre corps défendant à exprimer nos pensées. De ce point de vue, l’attitude et le parti pris de Yayi Boni sont rationnels – c’est-à-dire déterminés par un intérêt bien compris – et relèvent d’une idiosyncrasie biographique et identitaire. Le président béninois qui aura le plus agi de façon intensément régionaliste est celui-là même qui est le plus ethniquement mitigé à la limite de la contrariété. Prenez de ses prédécesseurs comme Maga, Apithy, Ahomadégbé, Kérékou, Soglo, et leur assignation régionale se fait sans ambigüité : Maga est bariba de Parakou, Ahomadégbé est fon d’Abomey, Apithy est goun de Porto-novo, Soglo est fon d’Abomey, Kérékou est somba de Natitingou ou peu s’en faut…Mais Yayi Boni est quoi ? et d’où ? Il n’est ni bariba ni nago : il est entre deux. Et si la nordicité des Nagos reste à démontrer, le Bariba en lui ne procède que par la lignée maternelle qui culturellement ne confère pas l’identité ethnique. C’est cette difficulté à se voir assigner spontanément une identité – ce qui aurait été d’un point de vue national une qualité – c’est cette indétermination dramatique qui explique la tendance à la surenchère ethnocentriste de Yayi Boni. Et pour le coup, le mot prend toute sa signification psychologique en tant que tendance individuelle et idéologique. Le drame identitaire de Yayi Boni, c’est-à-dire la situation d’un homme sans extraction fixe, mélange discret et contrarié d’horizons tout aussi discrets et contrariés, pouvait être résolu de deux manières. Soit par l’assomption positive et rationnelle, soit par la surenchère irrationnelle. En effet, dans le contexte d’un Bénin ouvert au monde et inscrit dans l’ordre démocratique d’une évolution de la rationalité légale, Yayi Boni pouvait assumer la figure du Béninois indistinct, citoyen originaire de nulle part et de partout. Mais compte tenu des mœurs électorales et politiques de chez nous cet universalisme citoyen risquait de sombrer dans un abstraction politiquement dangereuse, dans la mesure où l’électeur est mû par une rationalité ethnique. Ne voulant pas prendre ce risque, alors que les esprits n’y sont pas prêts, Yayi Boni choisit la seconde option, celle plus traditionnelle de l’identification au terroir. Mais entre l’identification somme toute banale au terroir et la surenchère régionaliste, il y a un fossé que Yayi boni a franchi allègrement. Pourquoi ? Eh bien, parce qu’en donnant dans la surenchère ethnocentriste, non seulement Yayi Boni essaie de retrouver par lui-même une identité originaire malaisée et sujette à caution, non seulement il cherche par ses actes injustes et ses discours passionnés à s’en convaincre, mais en poussant le bouchon trop loin, en choquant les consciences et les habitudes établies, il veut forcer les autres à le voir comme l’homme d’une région à laquelle son appartenance reste pourtant problématique.
Telle est la raison de la surenchère régionaliste de Yayi Boni. Et nous disons bien régionaliste plutôt qu’ethnocentriste. Car si Yayi Boni lui-même peut être qualifié d’ethnocentriste, les Béninois ne le sont pas. Au-delà de cette distinction sur laquelle nous reviendrons, il sied de comprendre que la surenchère régionaliste de Yayi Boni se situe à mi-chemin entre le drame identitaire personnel et la volonté d’un homme politiquement pauvre de s’inscrire de plain-pied dans le système politico-électoral béninois qui reste, quoi qu’on dise, sous l’emprise déterminante de la logique du terroir.
Binason Avèkes
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