« juillet 2006 | Accueil | septembre 2006 »
Rédigé à 20:28 dans Article | Lien permanent | Commentaires (0)
.
Par : Francis AKINDES
Au début des années 90, les pays d’Afrique francophone particulièrement se sont laissés tenter par la démocratie pluraliste. L’euphorie politique a gagné toutes ces sociétés qui y ont placé leur espoir. De gré ou de force, les organes politiques durablement viciés par la logique du parti unique s’y sont recomposés. Dix ans après, le mouvement a commencé par montrer des signes d’essoufflement. Il s’est même perverti. Sur le registre démocratique, vu sous l’angle du mode de rétablissement de l’ordre démocratique et du bilan de l’expérience en elle-même, le Bénin reste un idéal-type. En 1989, ce pays a inauguré un modèle de transition pacifique : la Conférence Nationale. Modèle qui lui valut la sympathie aussi bien des vieilles démocraties que des peuples qui aspirent au même idéal. Il en a d’ailleurs immédiatement récolté les fruits en termes de flux financiers. Des années durant, ce pays a exporté le modèle qu’il était devenu. Mais seulement pour une courte période. Car, progressivement le modèle s’est mué en une démocratie corrompue, unique en son genre et ce, en raison des forces contraires qui l’agitent et le structurent.
La perversion d’un modèle La dynamique démocratique avait deux objectifs : libérer l’espace politique afin que l’ouverture du débat politique agisse directement ou indirectement sur la gouvernance économique. En la matière, le bilan est décevant. Quinze ans après la Conférence nationale, qu’est devenu l’idéal démocratique béninois ? Il a accouché d’un Etat privatisé, géré par une mafia politico-affairiste d’une rare insolence, moulée dans une culture de corruption et de prévarication sans le moindre souci d’éthique politique. Sans état d’âme, ils privatisent « démocratiquement » les attributs de l’Etat, prospèrent en toute impunité sous le parapluie politique d’un savant architecte politique, fédérateur de groupes politiques aux identités floues, tous mus par un seul et même objectif : s’enrichir et s’essayer à la plénitude de la jouissance sur fond d’accumulation primitive. Cette culture partagée de la prévarication est un trait marquant de cette classe politico-affairiste qui a prospéré sous le second mandat du président Mathieu Kérékou. Finalement, une spécificité de la démocratie béninoise se dégage : la parole est libérée. Mais elle n’influence en rien la gouvernance économique. L’impunité des crimes économiques est si flagrante qu’elle a engendré chez les gens ordinaires un profond sentiment d’injustice. Ce sentiment semble nourrir une extrême frustration sociale qui ne met pas le Bénin à l’abri d’une violence politique corrective. La micro-violence sociale de plus en plus perceptible dans le corps social est un indice sociologique de l’ampleur du malaise social pour l’instant contenu par la perspective d’une alternance politique. Mais la banalisation des incivilités et des formes diverses d’agressivité verbale interpersonnelle pour des motifs insignifiants, la multiplication des vols à main armée avec de plus en plus de mort d’hommes, sont des signes d’une recrudescence de la micro-violence dans la société béninoise. La guerre des statuts sociaux se manifestent également dans les rues : la violence des gens ordinaires sur les personnes qui présentent des signes extérieurs quelconques d’aisance sociale, la tension à peine voilée entre Zémidjan, prototype du lumpenprolétariat au Bénin, et usagers des véhicules de plus en plus luxueux de l’administration publique et des parlementaires systématiquement assimilés aux profiteurs des faveurs de l’Etat en sont des indices. Il semble que ce soit des signes d’expression du sentiment d’injustice et des inégalités de plus en plus mal vécus, cautionnées par un ordre politique qui ne laisse hors de son contrôle aucun espace économiquement rentable. L’impunité de la corruption et de la prévarication par le haut a rendu le modèle légitime par le bas. Aucun secteur n’est épargné par le cancer de la corruption dans une société béninoise atteinte de fièvre du gain facile et rapide à tout prix, au mépris de toute morale dans les relations sociales et humaines. Le bulldozer du gain facile pour une consommation du dérisoire a fini par y balayer l’éthique du travail sacrifiée à l’autel de l’immédiateté, dans un pays où la ruse, l’imposture, la méfiance sont érigées en kit de gestion pratique du quotidien. En fait une société qui manque de perspective, de lisibilité d’elle-même et de pensée prospective. Le modèle au sommet a irradié toute la société. Une société dans laquelle chaque fonctionnaire de l’Etat s’arroge le droit absolu de privatisation de sa fonction. Irrémédiablement, les effets d’une telle dynamique de libéralisation de la corruption pénalisent encore plus les plus pauvres. Car ils n’ont pas les moyens de payer les surcoûts de l’accès aux services sociaux privatisés, semble-t-il, pour longtemps si rien ne vient entraver le cours de ce processus. Alors, que faire ?
Il est logique d’attendre que les changements nécessaires soient impulsés par le haut. Mais deux périphrases du président en exercice, le général Mathieu Kérékou, sont suffisamment éloquentes pour comprendre la logique du désordre apparent : « si vous êtes prêt, je suis prêt ». « Vous me connaissez, je vous connais ». On ne peut mieux exprimer une conscience politique du mal-être collectif et en même temps la fuite de ses responsabilités. Le président n’a jamais vraiment offert les gages d’une quelconque disposition à prendre le risque d’impulser la dynamique du progrès qui fait du développement une entreprise collective à haute portée éthique. Mais ne vous y trompez pas. L’ingénierie politique kérékouïste, faite de ruse et de disqualification de l’intelligence (« intellectuels tarés »), a sa propre rationalité. Derrière une apparence kafkaïenne, cette logique s’appuie sur une ambiguïté et une contradiction sociales dont Kérékou s’accommode fort bien : tout le monde souhaite le changement. Mais personne ne veut prendre le risque de changer ses propres pratiques sociales (« Qui est fou ? »). Le changement incombe à l’autre. Son voisin et non à soi-même.
Tout le monde critique tout pour que rien ne change vraiment dans une société pétrie de peur. Peur de tout : peur de prendre des initiatives, peur d’être différent ou de penser différemment, peur de sa propre ombre, certainement parce qu’elle bouge en même temps que soi, peur de l’autre, peur des têtes qui dépassent. Et lorsqu’une tête dépasse, on la coupe. Une sorte d’égalitarisme niveleur par le bas. Finalement, le serpent se mord par la queue. Résultat : on souhaite le changement sans le vouloir vraiment. Puisqu’on ne s’y engage pas personnellement, on fait tout pour décourager l’autre. On a peur de tout ce qui bouge pour que rien ne change. Si la philosophie sociale et l’histoire consacrent la confiance comme étant le tiers facteur immatériel sans lequel aucun progrès n’est possible, où va alors le Bénin, une société aussi pathologiquement travaillée par la méfiance sociale ? Vers quoi peuvent converger les énergies d’une société minée à ce point par les croyances dans les charges négatives du Vodoun qui tyrannisent maladivement les consciences individuelles et entretiennent jusqu’à un seuil paroxystique la peur dans le corps social. Le ver est certainement dans le fruit. La thérapie peut et doit être sociale, mais aussi et avant tout politique.
Le Bénin est un curieux laboratoire social, une jeune démocratie très fragile en raison d’un ordre social et politique en désarticulation totale avec les exigences culturelles et institutionnelles du progrès. Lequel progrès a besoin d’être accéléré dans un monde dont la vitesse de mutation est exponentielle. Fort de tout cela, mise en perspective, la gouvernementalité kérékouiste, avec son système, doit être considérée comme une parenthèse dans l’histoire politique du Bénin si l’on veut préserver cette société des risques de violence pour cause d’injustice structurelle insoutenable. Il est alors impératif que la culture politique instillée sous Kérékou soit mise à mort. Par conséquent, il est important que le successeur de Kérékou fasse le choix explicite d’être impopulaire. Le choix de l’impopularité, parce qu’il doit s’engager à créer le contre-modèle. Il doit alors réorienter, légiférer, surveiller et punir. Il n’y a d’ailleurs guère d’incompatibilité entre de telles exigences d’arbitrage et un vrai projet démocratique. C’est une condition sine qua non pour restaurer la confiance et la justice dont une société qui veut s’émanciper dans la durée ne peut faire l’économie. Sur cette question, les hommes de médias doivent être particulièrement vigilants. Ils doivent veiller à arracher à chaque candidat à la succession un engagement à générer un contre-modèle de la gouvernance de Kérékou.
En clair, ils doivent tester le degré de sensibilité et la volonté d’appropriation du devoir d’impopularité corrective et justicière des potentiels candidats à la magistrature suprême. Tout candidat qui refuse d’être impopulaire fait implicitement le choix de reconduire la logique du système en place et de fragiliser encore plus la société béninoise en lui faisant courir le risque de lui faire perdre ses maigres acquis au plan démocratique. Les exclus de la galaxie Kérékou attendent beaucoup des élections de 2006. Les gens ordinaires semblent avoir retenu, au Bénin comme ailleurs, que la démocratie permet de changer les hommes à la tête de l’Etat lorsque ceux-ci n’ont pas fait preuve de capacité à améliorer leurs conditions de vie. Les Béninois attendent des mesures correctives vigoureuses en matière de gestion des affaires publiques. Ce sera suicidaire pour la jeune démocratie béninoise qui secrète déjà les germes de la violence si, après 2006, le Bénin s’inscrit politiquement dans la logique : Kérékou est parti. Vive Kérékou.
Par : Francis AKINDES
Professeur titulaire de sociologie, Université d’Abidjan et de Bouaké
© Copyright, Blaise APLOGAN, 2006
Rédigé à 11:30 dans Article | Lien permanent | Commentaires (0)
Les Fantômes du Brésil
Paris le 17/8/2006 Cher Florent, Votre dernier roman, Les Fantômes du Brésil, vient de paraître. Ah, les Fantômes, le Brésil, deux mots presque synonymes !… Cela sent de l’histoire. Démarche nouvelle de votre part. Toute chose qui excite la curiosité… Pouvez-vous nous mettre au parfum ? Juste ce qu’il faut… pour nous mettre sur la braise… Amicalement, Blaise APLOGAN, Paris Cotonou le 20/8/2006 (...) Eh bien, heureux que ma compagnie littéraire vous soit agréable... A vos internautes, je voudrais me risquer à quelques explications sur mon dernier roman, Les Fantômes du Brésil, même si l'exercice paraît parfois malaisé. J'ai écrit ce texte pour revenir un peu à moi, à ma famille, du côté de ma mère da Costa. pendant toute mon enfance, j'ai baigné dans les histoires de zombis, de fêtes carnavalesques dont on dit qu'elles viennent, pour l'essentiel de Salvador de Bahia, le Brésil, l'origine prétendue de mon grand père maternel. A la maison, je voyais les amies de ma mère venir très souvent pour parler de bourignan, le carnaval des agoudas. D'ailleurs, elles avaient pour nom Santos, d'Almeida, de Souza, do Régo, Diogo, etc. Elles en parlaient avec une grande fierté tant et si bien que j'ai fini par penser que moi aussi je venais du Brésil et j'avais un regard plutôt condescendant sur mes camarades de classe... Alors, une fois adulte, j'ai voulu revisiter ce sujet. Bien sûr, au collège, des pans entiers de cette histoire nous ont été enseignés. Mais c'était loin de l'éclairage que je pouvais moi-même avoir à travers les contacts avec la collectivité agouda, à travers différentes documentations. Ce qui m'importait, c'était de plonger au cœur de cette communauté agouda, de la faire vivre et de la confronter aux réalités et aux habitudes de vie des gens du milieu. Cette communauté que l'on voit à travers la famille do Mato, se présente comme des gens lovés sur eux-mêmes, sur leurs cultures faites de ressentis et des réminiscences issues de Bahia. Seule l'attitude de leur fille Anna-Maria amoureuse d'un natif de Ouidah - car l'histoire se déroule dans cette petite ville historique- tente de briser cet enfermement. D'ailleurs, on lui reproche cette liaison qui, aux yeux des agoudas, est contre nature. Puisqu'ils estiment que les autochtones ont prêté leur complicité aux négriers qui avaient déporté leurs arrières grands parents. Ici, je n'invente rien. Bien au contraire; quand ces esclaves se sont affranchis et sont revenus dans le Golfe du Bénin au milieu du vingtième siècle, ils avaient créé une espèce de caste, brandissant cet argument à leurs frères du terroir . Ce qui a constitué, pendant longtemps, des sujets de discordes entre les deux collectivités. Aujourd'hui, cet antagonisme a disparu. Mais pour habiller mon histoire et lui donner quelques reliefs anthropologiques, j'ai forcé sur les traits, en empruntant cet argumentaire à l'histoire. Ce que d'ailleurs j'ai pris le soin de préciser en épitaphe au roman. Si toutes mes publications, jusque là on utilisé Cotonou comme cadre de narration, cette fois-ci, j'ai choisi Ouidah avec son quartier Brésil, avec ses monuments historiques, avec sa plage - point terminal de la route des esclaves - pour camper mon décor. C'est un exercice qui m'a beaucoup enthousiasmé puiqu'il m'a permis de me déplacer dans la ville, d'y prendre des notes d'interroger les gens, de fouiller les archives, bref, de donner un visage différent de Ouidah de notre éternel aîné Olympe Bhêly-Quenum Que dire d'autre? Il y a tellement de choses à raconter que je préfère m'en arrêter là et recevoir des questions précises sur d'autres aspects de ce roman. Amicalement Paris le 21/8/2006 Je vous remercie de vos réponses qui apportent de précieux éclaircissements sur les Fantômes du Brésil. (...) L’un des objectifs que nous visons à Babilown c’est partager avec nos compatriotes le plaisir sinon l’heur d'une reconnaissance-découverte des valeurs de chez nous : littéraires, artistiques et plus généralement culturelles. Comme vous le dites, jusqu’à présent, tous vos écrits ont utilisé Cotonou et la société actuelle comme cadre. Certes, Cotonou est la fille historique de Ouidah, et les maux d’aujourd’hui ne sont pas une génération spontanée ; alors comment expliquez-vous ce shift ? (pour parler franglais) Est-ce seulement un basculement vers un autre théâtre ? Une simple migration de registre : du sociologique à l’historique ? Ou bien, à un moment donné, vous vous êtes senti à l’étroit dans les lieux et les temps ? Une manière de creuser plus profond pour mieux exprimer vos thèmes essentiels ? Autre question : vous avez choisi, d’entrée, c’est-à-dire dès le titre de l’œuvre, d’annoncer la couleur (critique). Est-ce délibéré ? Pourquoi ?… Pour ma part, je suis persuadé que votre pioche est tombée au bon endroit. Les Fantômes du Brésil, en ressuscitant des ténèbres d’une mémoire en veilleuse, vont contribuer à rafraîchir les esprits ; gageons qu’ils renouvelleront dans le même élan la vision merveilleuse d’une ville, Ouidah, qui a un besoin fou de rééquilibrer son identité... Parler de soi et de son oeuvre est, je le sais, un exercice médiatique qui n'est pas toujours facile ; aussi, je vous prie d'accepter mes sincères remerciements pour avoir bien voulu vous y prêter de bonne grâce... Blaise APLOGAN, Paris Cotonou le 24/8/2006 Cher ami, Je vous remercie pour votre réaction. Réaction qui s’est nourrie d’autres questions, toutes aussi intéressantes les unes que les autres. Pourquoi avoir choisi la ville de Ouidah comme espace d’action : simple besoin de changement de décor ? Serait-ce pour mieux accuser les lignes historiques et sociologiques de mon histoire ? Ou cela répond-il à une préoccupation particulière ? D’abord, il me parait difficile, en abordant un thème aussi délicat que celui des descendants d’anciens esclaves revenus du Brésil, de choisir une localité autre que Ouidah. Certes, on aurait pensé à Porto-Novo, Grand Popo et, accessoirement Agoué. Mais Ouidah, c’était la ville des grandes migrations portugaise, française, hollandaise et américaine. Ouidah, c’était le pied à terre des rois d’Abomey qui, du 17ème siècle jusqu’à la fin du dix-neuvième, l’avaient utilisé comme zone franche pour tous les types de commerces, surtout pour le « bois d’ébène ». C’est surtout la ville où le plus grand des négriers de la côte s’était installé, don Francisco de Souza dit Chacha qui, en tant qu’inséminateur infatigable, a coloré la population de plus d’une centaine de ses rejetons. Ouidah, c’est surtout le quartier Brésil – même si, apparemment bon nombre de maisons du style portugais ont été détruites – avec ses limites géographiques sud qui s’ouvrent sur la route de l’esclave. Donc, il m’a paru, pour mettre en relief la césure qui existe entre les collectivités agouda et les autochtones, le malaise qui empreigne les relations – ici, j’ai pris le risque de l’exagération pour la nécessité de l’intrigue – d’installer mon roman dans cette ville. D’un autre côté, Ouidah pour moi, était un dépaysement littéraire. D’autant que la ville, pendant longtemps, m’avait paru très lointaine de mes préoccupations. Le fait de m’éloigner de Cotonou, de plonger mes yeux dans cette cité, de secouer certains artifices, certains préjugés que l’on impute à ses habitants, m’a permis de me détacher de mon cadre de prédilection littéraire pour traquer d’autres vérités, d’autres réalités et mesurer, avec le recul nécessaire, tout le bonheur qu’un écrivain a à s’investir dans un lieu aussi chargé d’histoire. A des moments donnés, j’ai eu l’impression, en parcourant certains sites, que chaque morceau de terre me parlait, que chaque feuille d’arbre me tutoyait. Surtout quand on se rend à la porte du non-retour. J’ai eu le sentiment d’entendre les râles d’esclaves, le claquement des fouets se mêler au soupir du vent et à l’écume des vagues qui viennent se briser sur la plage. Enfin, le titre : Les Fantômes du Brésil. J’ai voulu risquer une provocation : les fantômes, ici, représentent cette culture aussi hybride qu’insaisissable dont se réclament ces agoudas, culture qui ne constitue qu’un pan, qu’une réminiscence des expressions identitaires des Noirs du Brésil, précisément de Bahia. Parce que je me suis rendu compte que bon nombre de ces gens-là font référence très souvent au Brésil. Comme s’ils en étaient originaires. Comme s’ils y avaient encore leurs parents. C’est vrai que, dans les fêtes des agoudas, il y a souvent quelques traits de manifestations qui rappellent vaguement le Brésil : les chansons, les vêtements, la cuisine. Mais à voir de près, on se rend compte que c’est de l’arnaque, ce que j’appellerai de l’ « arnaque inconsciente ». Car, les textes des chansons sont inaudibles, c’est du charabia « enchanté » : ni portugais, ni brésilien, ni même africain. Les vêtements relèvent du style du début du siècle et font penser à la bourgeoisie de l’époque. Et la cuisine, à part trois repas…bref, c’est…fantomatique. Voilà les quelques explications que je peux vous apporter… Amicalement, Florent Couao-Zotti, Cotonou © Copyright, Blaise APLOGAN, 2006 |
Rédigé à 23:20 dans Lettre | Lien permanent | Commentaires (0)
.
Petite histoire d'un Changement
V
.
Mais l’un dans l’autre, seul ce Changement pratique importe à mes yeux. Le changement de la qualité de l’air à Cotonou n’a rien de poétique. Les Zémidjans, qui sont à l’origine de ce changement sont aussi ceux qui veulent le changement aujourd’hui. De ce point de vue, une ambiguïté doit être levée. Sous l’ère des changements poétiques, ces laissés-pour-compte de la trahison de l’impératif du pacte social ont fait allégeance à tous les pouvoirs du moment. Un attachement légitime à leur gagne-pain les porte à persévérer dans leur être. Logique. C’est aussi une catégorie qui aime à jouer de sa densité sociologique. Un élément de leur conservatisme pathétique est la prise de conscience de cette densité. La densité réside dans la visibilité : au-delà de leur nombre, c’est surtout leur identité qui crée cette unité dans la conscience de soi catégorielle. Identité générationnelle, sociale et urbaine : tout cela se résume dans l’uniforme jaune. Or cet uniforme a été le premier geste de rationalisation initié par les pouvoirs publics en leur direction. En son temps, il n’a pas été facile à faire passer. Rebelles dans l’âme et susceptibles d’instinct, ces desperados d’une société régressive ont intériorisé la loi du sauve-qui-peut implicitement en vigueur dans le pays. N’ayant jamais rien eu de personne et n’attendant plus rien de personne, ils n’entendent surtout pas qu’on viennent leur mettre les bâtons dans les roues. Cet ethos du Zémidjan résume à lui seule l’éthique du Béninois moyen. Le Zémidjan est ce que le génie social et politique de notre pays à inventé de mieux depuis l’indépendance. Très rusé, le Zémidjan veut travestir son individualisme anarchique sous les dehors d’un corporatisme éclairé. C’est étonnant de voir que dans sa condition, dans son esprit et dans sa culture, le Zémidjan est le type même du Béninois. Les taxi-villes qui ont laissé leur place aux Zémidjans peuvent être considérés comme des transports en commun, dans le sens où malgré leur exiguïté de petite voiture, ils transportaient un échantillon socialement signifiant de voyageurs vers des directions négociées selon un bon sens partagé dont le chauffeur était l’arbitre. « Edjroa ! » C’est à ce covoiturage à caractère social que le Zémidjan substitue ce qui est apparu à tous comme le règne de la liberté, de la fluidité et de l’indépendance. Mais outre le grave problème de la qualité de l’air, il s’agit là d’une indépendance en trompe l’œil qui consacre la régression du lien social, aiguise l’égoïsme du Béninois, et renforce l’esprit mesquin du chacun pour soi. La valorisation à outrance de la débrouillardise est socialement suspecte. Quelque part, cela traduit sinon une discrète volonté de mise hors jeu du lien social du moins une joyeuse résignation. Or cela fait partie de la mentalité béninoise d’aujourd’hui. Et c’est cette mentalité qui pollue l’air de Cotonou.
Pour le chrétien, la Trinité est un mystère qui consacre l’unicité du Dieu en trois personnes : Père, Fils, et Esprit. Pour le Béninois, il y a une Trinité qui porte désormais le nom de Zémidjan qu’on peut aborder selon trois aspects : social, écologique, et éthique.
Socialement le Zémidjan est le résultat d’un échec de notre pays à se prendre en mains après son indépendance. Ce n’est pas seulement à cause de l’incurie des hommes politiques, il y a aussi la complexité historique des pesanteurs mentales et géopolitiques qui pèsent sur les Africains ; la difficile perception de l’identité nationale et de la manière de l’articuler dans un projet social cohérent ; la difficulté de s’autodéterminer radicalement et de répondre à l’aliénation qui fonde notre être ; le fait que nous étions dans nos premiers balbutiements de jeune nation libérée d’un viol à répétition, et dont le violeur, subtil et récidiviste, rode toujours et n’entend pas lâcher prise, en dépit qu’il en aie...
Ecologiquement, le Zémidjan est un don de la proximité du Nigeria d’où vient le Kpayo sans lequel aucune moto ne peut rouler. Avec ces motos qui circulent en permanence dans Cotonou, des tonnes de gaz, tous plus nocifs les uns que les autres, emplissent l’air de la ville. Cela constitue un grave problème de santé et une atteinte à la nature et aux hommes auxquels il faut vite remédier par une politique de déplacements durables.
Enfin sur le plan éthique, sous les dehors de la liberté de se déplacer, le Zémidjan introduit au travers du mode de transports urbains un individualisme anarchique qui s’oppose à la convivialité sociale des taxi-ville qu’il a évincés. Il incarne à son corps défendant cette éthique du sauve-qui-peut, de la débrouille, du chacun-pour-soi qui, face à la faillite des pouvoirs publics, est la seule chose en valeur dans la société. Et ce n’est pas son corporatisme ostentatoire et bon enfant, stratégie pour persévérer dans son être, qui peut faire illusion.
On l’aura compris, la comparaison avec la Trinité chrétienne est trompeuse. En effet, la Trinité qui porte le nom de Zémidjan est négative. C’est la croix de cette négativité que nous portons tous désormais. Pas seulement à Cotonou, mais dans tout le Bénin. La qualité de l’air dépend de la manière dont nous regarderons en face le problème ainsi posé par cette Trinité. Nous avons le devoir de la rendre positive. Elle est la vraie mesure du Changement. Pour que le Changement annoncé débouche sur du positif et se démarque des changements poétiques qui l’ont précédé, il ne sera pas question de s’agenouiller devant cette Trinité, mais de la prendre à bras le corps et de relever le passionnant défi de sa sublimation.
Binason Avèkes
© Copyright, Blaise APLOGAN, Paris 2006
Rédigé à 23:40 dans Essai | Lien permanent | Commentaires (0)
.
Petite histoire d'un Changement
IV
Malheureusement, tous les déchets ne peuvent être traités par la seule solidarité citoyenne. A Xwlacodji, quartier historique de Cotonou, l’installation d’une usine de cimenterie en pleine agglomération empoisonne la vie de la population. Les riverains sont confrontés à une source de pollution face à laquelle leur solidarité écologique ne peut rien, avec le bruit assourdissant des machines et la tonne de poussière qui s’élève dans le ciel. Si le lecteurs se trouve à Cotonou, qu’il se donne la peine d’aller à Xwlacodji, non loin du ministère de la fonction publique, et il verra de ses propres yeux ce que je dis. Il découvrira une zone fortement industrialisée en pleine agglomération. Infernal ! Riverains et visiteurs cohabitent avec le bruit des machines et la poussière du clinker. Sur les toitures des bars et restaurants, en face de l’usine, il peut voir une couche épaisse de poussière. Je pleins les élèves et usagers qui arpentent cette rue poussiéreuse, et qui n’ont d’autre recours que de se pincer le nez. Que le lecteur, une fois sur place, ne s’avise surtout pas de s’attabler à un des nombreux restaurants du coin, car son plat sera saupoudré de clinker ! A tout cela s’ajoute le ballet incessant des camions qui transportent le clinker. Ils jouent eux aussi un rôle non négligeable dans la pollution atmosphérique. Au déchargement, ces camions éventent la poussière de clinker qui envahit l’atmosphère et affecte la qualité de l’air oxygéné.
Tout ceci n’est pas pour décourager le touriste curieux de découvrir ce quartier historique de Cotonou. Moi-même j’ai eu l’agréable surprise de faire l’expérience de la conscience écologique aiguë des autorités et habitants du quartier. A quelque chose malheur est bon, Xwlacodji peut être est fier d’avoir une structure de collecte des ordures ménagères, dont l’objectif est de lutter contre l’insalubrité grandissante. La plage, qui jadis avait une mauvaise réputation d’insalubrité, aujourd’hui, par sa propreté, fait mentir les préjugés. Quel plaisir pour le Bruxellois de se reposer là et de contempler l’océan ! Spectacle de rêve ! Rêve que dans un futur plutôt proche, l’usine qui pollue l’air du quartier sera très vite démantelée…
Autres sources de pollution industrielle, autre lieu. Sortie de Cotonou, à la descente du « nouveau pont », à « Dédokpo », une odeur tenace me saisit à la gorge. Exécrable, il n’y a pas d’autre mot ! A l'autre sortie de la ville, après le pont bascule, à Kindonou, le long de la route inter-Etat, même spectacle. Dans les deux cas, les odeurs proviennent des usines agroalimentaires du coin. Elles ont nom Saab et Crustamer. Entre provende pour volaille et conditionnement de crevettes, le côté alimentaire est tout simplement trompeur. Pour ce qui est de la pollution rien à envier à l’usine de Xwlacodji…
Ici, il n’y a pas de plage pour se reposer et rêver. Les ponts sont bruyants et encombrés de passagers et voitures, et surtout de Zémidjan, encore eux…
« Et tout ce monde qu’on voit sur les zémidjans !
- la vendeuse, le bébé au dos, avec son tabouret, sa corbeille et toutes ses marchandises !
- l’ouvrier qui est monté avec tous ses outils et son matériel ;
- l’écolier qui s’accroche au conducteur ;
- la maman avec un bébé au dos, et deux autres sur les genoux, et le plus grand qui aide le conducteur à bien conduire sa moto...
- les copains qui font la traversée à trois ;
- le père de famille amenant un mouton pour la fête;
- l’éleveur qui transporte ses bêtes au marché ;
- le Blanc qui fait son excursion touristique... »
Ainsi s’extasiait un ami Français de passage à Cotonou. Les Français ont une âme de poète. Du Prévert sous les tropiques, on en finirait pas… Au-delà de la poésie, il y a la réalité. En effet, j’ai opposé dans le domaine de la politique tous les « changements » passés au Changement que nous abordons actuellement. Et à tout bien penser, il semble qu’on peut distinguer clairement les changements. Les changements du passé peuvent être considérés comme poétiques quel que soit le nom qu’on a pu leur donner : Révolution, Renouveau, Renaissance, et j’en passe. Actuellement la marque d’authenticité qui semble jouer en faveur du nouveau régime donne raison au fait que le changement proposé soit un changement pratique. Les philosophes grecs opposaient le pratique au poétique. Bien que leur acception soit différente de celle que le commun donne à ces mots aujourd’hui, je revendique la simple distinction pour mieux faire comprendre la différence entre les diverses offres de changements qui ont marqué le discours politique dans notre pays. Poétique/Pratique : de tous les changements dont on nous a rebattu les oreilles jusqu’ici, Révolution, Renouveau, Renaissance, Résurrection, il est à remarquer que tous commencent par un R, air de déjà-vu, qui n’a rien changé à la qualité de l’air ! En revanche ne trouvez-vous pas un curieux signe de la Providence que seul le dernier porte simplement le nom de Changement ? Sans fioriture ni poésie supplémentaire. Signes à méditer.
Mais me direz-vous, peut-on vraiment méditer quand le changement dans la qualité de l’air de Cotonou nous confronte aux terribles réalités que j’ai essayé de présenter ? La chose est peut-être facile pour quelqu’un qui vit à Bruxelles, ville où, même lorsqu’on parle de pic de pollution, on ne voit jamais à l’œil nu des nuages bleus prendre d’assaut le ciel comme à Cotonou.
Très croyant, je fais miens les 10 commandements de l'environnement édictés par le ministère de l’environnement mais que j’ai pris la peine de simplifier :
* Je dois protéger l'environnement car c’est mon patrimoine ;
* Je dois respecter les normes en matière de pollution.
* Je ne dois pas gaspiller les ressources naturelles.
* Je construirai ma maison en respectant les normes de salubrité et de sécurité.
* Je ne déposerai les déchets que dans les déchetteries ; trop de bruit est nuisible.
* Je dois faire mes plans touchant à l’environnement dans le respect des normes
* Je dois être paré aux catastrophes selon un plan rôdé à l’avance.
* Je dois prévenir qui de droit si mon environnement est pollué ou contaminé.
* Je suis comptable de ma part de pollution sous peine de sanctions
* Tu ne dois pas receler des produits chimiques nocifs.
La prière est la poésie du pécheur, dit-on. Ces dix commandements peuvent être considérés comme le côté poétique de la question sur la qualité de l’air à Cotonou. Ce n’est pas que j’aie quelque chose contre la poésie, loin s’en faut. Par exemple, je ne rejette pas en bloc tout le contenu des changements du passé bien que je les aie rangés dans la catégorie poétique. Dans ces changements en R, que ce soit la Révolution, le Renouveau, la Renaissance ou la Résurrection, si on cherche, on trouvera bien quelque chose de bon. Ainsi, «la caractéristique fondamentale et la source première de l’arriération de notre pays est la domination étrangère… » est un constat qui tombe sous le sens. La seule question est de savoir si sous ce rapport la Révolution a changé quelque chose ou pas. Par ailleurs, il est bien vrai qu’en cinq ans de règne à la tête du pays, le taux de croissance négatif à l’entrée en fonction de Soglo est passé à 6%. Et «Cototrous» est redevenu Cotonou : Vrai ! Quant à la Résurrection, on lui trouvera mille défauts, prévarication, gestion sans bilan, corruption, paupérisme, misère et j’en passe, on sera bien obligé de lui reconnaître au moins un avantage : le fait qu’il justifie la nécessité du présent Changement !
A suivre...
Binason Avèkes.
© Copyright, Blaise APLOGAN, 2006
Rédigé à 13:44 dans Essai | Lien permanent | Commentaires (0)
.
& Nécessité de la fédéralisation
Par Edgard Gnansounou, (ICAD)*
Avec la célébration du 46ème anniversaire de son indépendance le 1er août dernier, le Bénin a ouvert le bal des fêtes nationales du mois d’août qui s’est poursuivi par le Niger, le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Tchad, la République Centrafricaine, le Congo-Brazzaville et le Gabon. Ces événements ont donné lieu à de nombreux écrits et de déclarations sur ces pays, leurs gouvernants passés et présents et leurs politiques. Dans son allocution, le Président du Bénin a, pour sa part, rappelé sa vision économique en mettant l’accent sur les atouts de son pays dont « la position géographique en fait une porte d’entrée pour le Nigéria et les pays de l’hinterland et un carrefour naturel entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale ». La vision de Boni Yayi, élu massivement par les Béninois en mars 2006, s’articule en quatre axes stratégiques : la bonne gouvernance ; le renouveau économique ; le développement à la base ; la sécurisation sociale, en particulier en faveur des populations vulnérables que sont les femmes et les jeunes. Il n’y a pas de doute qu’il s’agit là d’une perspective exaltante capable de sortir le Bénin du marasme économique. Toutefois on est en droit de s’interroger sur la relation entre la vision de Boni Yayi et l’indépendance. Le cas du Bénin illustre en fait une tendance générale en Afrique subsaharienne où, dans les discours des chefs d’Etats, le thème de l’indépendance s’efface devant les impératifs économiques et sociaux. Pourtant la célébration de l’émancipation des peuples africains du joug colonial aurait dû fournir l’occasion à nos dirigeants de faire le point sur le chemin qui reste à parcourir sur la voie d’une prise en mains par nos peuples de leur avenir. Faut-il croire que l’indépendance est passée de mode ou qu’elle est un événement bien circonscrit dans le temps, la naissance des nouveaux états et leur reconnaissance par la Communauté internationale ? Quelle est en 2006 la valeur de l’indépendance dans nos pays ? Sommes-nous collectivement disposés à en payer le prix ? Nos politiques nationales sont-elles inspirées par le génie de nos peuples ou sommes-nous à la remorque des « partenaires au développement » ? L’indépendance et le bien-être L’indépendance est-elle une condition nécessaire pour être heureux ? Haïti est le premier pays « noir » jouissant d’une souveraineté nationale, la première nation indépendante « noire ». Elle a en effet acquis son indépendance en 1804. Malgré plus de deux siècles d’exercice (par intermittence il est vrai) de la souveraineté nationale, nos sœurs et frères Haïtiens restent une des populations les plus pauvres du monde, placés au 153ème rang sur 177 pays au classement 2005 du développement humain. En revanche, les pays tels que la Guadeloupe et la Martinique, restés dans le giron français ont un revenu par habitant de loin plus élevé qu’Haïti. En 2006, aussi bien les Haïtiens que les autres Antillais des DOM-TOM vivent sous une forte dépendance même si le niveau de vie des seconds est incomparablement plus élevé. S’il suffisait d’être riche pour être heureux, sans doute que les Haïtiens regretteraient d’avoir si longtemps été « indépendants » ! Cependant c’est oublier qu’alors que l’Haïtien peut être fier d’avoir son pays à lui, l’Antillais en France métropolitaine aurait quelques raisons de se sentir emprunté dans sa condition française. Il n’est pas souvent considéré par beaucoup de ses compatriotes comme un Français ordinaire. Mais ceci ne suffit sans doute pas pour que la majorité des Antillais deviennent favorables à l’indépendance ! Devenir indépendant quand on est Antillais, c’est renoncer aux avantages sociaux de l’Etat providence français et aux aides importantes de l’Europe. Pourtant, ce choix en faveur de l’indépendance a été fait par certains mouvements et partis politiques antillais, en connaissance de cause. D’autres Antillais sont cependant fiers d’être Français au nom d’idéaux universalistes inclus dans la Révolution française. D'autres encore ne se posent tout simplement pas la question et se contentent de faire bonne fortune des conditions qui leur ont été léguées. Quant aux Haïtiens, malgré l’état de déliquescence de leur Nation, ils sont sans doute très majoritaires à refuser farouchement d’être recolonisés ! Mais ne le sont-ils pas déjà dans les faits, de manière insidieuse ? L’indépendance est la volonté et le pouvoir de décider de son avenir, de manière souveraine. Elle a un grand prix, celui de la responsabilité de décider pour et par soi-même. Pour un être qui aspire à la liberté, l’indépendance est un projet qui participe du bien-être. Pour une personne qui se résigne à la servitude et à l’humiliation, ou qui simplement ne s’en émeut guère, l’indépendance n’est d’aucun apport, seule compte la prospérité même si elle peut être le fruit de la pitié et de la commisération. En choisissant de devenir indépendants, les pays africains ont opté pour la prise en charge de leur destin par leurs propres peuples. Mais avaient-ils pris la juste mesure de ce choix et sont-ils aujourd’hui disposés à en payer le prix ? L’indépendance ne doit pas être réduite à sa dimension symbolique. Ni Haïti ni aucun pays de l’Afrique subsaharienne à l’exclusion peut-être de l’Afrique du Sud n’exerce aujourd’hui pleinement sa souveraineté nationale. La dépendance économique de ces pays et les déficiences de leurs ressources humaines limitent gravement le pouvoir de leurs peuples à décider par eux-mêmes de leur destin. Mais est-ce une raison pour laisser émousser la volonté d’autonomie ? La commémoration par de nombreux pays africains du 46ème anniversaire de l’accession à la souveraineté nationale fournit l’occasion d’une réflexion sur le sens à donner en 2006 à notre indépendance. Le sens de l’indépendance L’indépendance signifie que nous avons choisi d’être collectivement responsables de notre avenir. Ceci a différentes implications : - au plan économique, nous devons définir par nous-mêmes notre propre programme de développement, certes en coopération avec nos partenaires mais pas en sous-traitant les programmes-cadres prédéfinis pour nous par les « donateurs » et leurs consultants ; nous ne devons pas choisir de vivre au-dessus de nos moyens et dépendre des dons pour boucler nos budgets ; les aides doivent servir exclusivement à renforcer nos propres capacités à nous prendre en charge ; - au plan politique, nous devons apprécier collectivement les défis et les principaux enjeux qui imposent de réunir un consensus suffisant au sein de la société et de consacrer l’effort commun aux objectifs choisis ensemble ; - au plan social, nous nous devons de définir les modalités de redistribution des revenus et parvenir à un pacte en relation avec les standards sociaux à satisfaire et les échéances correspondantes. Lors de leur accession à l’indépendance, les pays africains avaient signé de nombreux accords d’assistance avec les anciennes métropoles coloniales qui limitaient leur propre capacité d’initiatives et instauraient des relations de nature paternaliste. Les « enfants » qu’étaient les nouvelles nations indépendantes devaient encore apprendre de leurs « pères ». Mais pendant combien de temps était-ce nécessaire ? Ce qui au départ revêtait un caractère pragmatique, a acquis une dimension structurante. Les réseaux d’affaires y ont beaucoup aidé, vidant l’indépendance de sa substance et la réduisant à sa plus simple expression symbolique. Etant donné l’effort herculéen qu’il faudrait consentir pour devenir véritablement indépendant, on peut se demander si de nombreux dirigeants africains n’ont pas choisi la voie moins exigeante de la dépendance permanente. La justification que beaucoup donnent à ce choix implicite est qu’avec la mondialisation et l’interdépendance des économies, l’indépendance serait devenue une valeur surannée qu’il conviendrait néanmoins de fêter par respect de la tradition et pour inciter la population au patriotisme. Que représente aujourd’hui l’indépendance pour la jeunesse africaine qui n’a pas connu la colonisation et n’a vécu que la dépendance et les plans d’ajustement structurel ? L’indépendance doit-elle se limiter à un événement à commémorer chaque année, comme le 14 juillet en France, par un défilé militaire, un discours présidentiel et un entretien accordé par le Président de la République à la presse audio-visuelle ? Ne devrions-nous pas faire de cette commémoration une étape plus signifiante pour nous-mêmes, un rendez-vous annuel sur notre marche vers une véritable émancipation ? Indépendance et mondialisation La discussion autour de l’indépendance renvoie aujourd’hui à la mondialisation et à la limitation qu’elle impose à l’exercice de la souveraineté nationale. L’importance des flux monétaires internationaux et la dématérialisation de l’économie, la globalisation des transactions et de leurs effets, les délocalisations et relocalisations des industries et le poids des entreprises transnationales feraient voler en éclats les frontières nationales. Le monde serait entièrement globalisé sous la férule de big brother et de ses affidés. Selon les nouvelles valeurs qui découlent de cette vision, toute volonté d’indépendance est assimilée au nationalisme le plus rétrograde ou à la démagogie souverainiste. Une analyse plus fine de la situation conduit cependant à davantage de nuances. La globalisation est compatible avec un certain niveau d’autonomie des nations. Celles qui s’organisent pour se doter d’un marché intérieur de dimension critique, parviennent mieux que les autres à acquérir l’autonomie qui fait d’elles des entités viables alors que les pays africains du fait de leur fragmentation excessive sont très affaiblis et ne peuvent valablement négocier la répartition des richesses au niveau mondial. Le cas des négociations sur le coton dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) montre bien la fragilité actuelle des pays africains et leur extrême faiblesse dans un environnement international dominé par les grands pays. Dans ce cas, pour une fois les pays africains avaient un avantage compétitif comparés à l'Amérique et à l'Europe et étaient en position de réclamer de ces grands blocs l’application des règles de libéralisation du commerce international qu'ils ont eux-mêmes érigées en dogme. Pourtant, malgré les déclarations d'autosatisfaction faites par les uns et les autres à l'issue de la 6ème Conférence ministérielle de l'OMC à Hong Kong en décembre 2005, il faut bien admettre que les pays africains sont repartis quasiment bredouilles. Comment cela aurait-il été autrement quand 54 pays africains faibles de leur nombre et de leur pauvreté doivent négocier avec l'Europe solidement représentée par un seul négociateur, comme le sont les autres grands pays tels que les USA, la Chine, le Japon, l'Inde, le Brésil? La fragmentation excessive de l'Afrique constitue aujourd'hui un handicap sérieux qui requiert un engagement bien plus osé et hardi que les démarches trop administratives d'intégration en cours au niveau sous-régional et continental. Sans bouleverser les cadres existants, il s'agit de les dynamiser en hâtant l'intégration politique effective pour atténuer certains facteurs qui constituent des obstacles aux processus en cours. Mais l'intégration politique, pour être viable doit procéder d'une construction progressive de proximité, sans tapages, avec les pays qui sont prêts à l'embarquement, tout en ménageant la possibilité pour les autres d'intégrer le navire plus tard. Prenons par exemple les 15 pays de l'Afrique de l'Ouest regroupés au sein de la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Théoriquement, cette Communauté présente les caractéristiques d'une union totale avec la suppression entre les pays membres des droits de douane sur les matières premières, une réduction des droits de douane pour les produits industriels, une mise en place dans un avenir indéterminé d'une seconde zone monétaire pour les pays non membres de l'UEMOA et la recherche d'une convergence des politiques macroéconomiques nationales. Dans la réalité, de nombreux obstacles empêchent la réalisation effective de cette union parmi lesquels le poids démographique et économique du Nigeria n'est pas le moindre. En effet, avec 126 millions d'habitants, le Nigeria représentait en 2003 la moitié de la population de la CEDEAO (248 millions). La deuxième moitié est très inégalement répartie entre les 14 autres pays parmi lesquels seulement deux avaient une population supérieure à 15 millions en 2003 (Le Ghana, 21 millions et la Côte d'Ivoire, 18 millions). Pour chacun de ces 14 pays, la réalisation d'une union totale signifierait une perte importante de recettes fiscales issues des droits de douanes, sans la garantie suffisante d'une bonne péréquation une fois que l’union sera réalisée. Par ailleurs, les facteurs réels et potentiels d'instabilité au Nigeria ainsi que l'image extérieure de ce grand pays miné par la corruption ne sont pas de nature à rassurer les autres alors même que le Nigeria constitue un des atouts majeurs de l’avenir de la sous-région. Enfin, chacun des pays pris isolément a des échanges commerciaux tournés davantage vers l'Union Européenne que vers les pays voisins. Voilà autant d'éléments qui contribuent à entretenir un énorme fossé entre les grandes ambitions et la réalité. Cependant il est clair que la faiblesse démographique et économique de chacun des 14 pays limite fortement la taille des industries qui peuvent s'y implanter alors même que les blocages vers une véritable union économique empêchent ces industries de tirer parti de l'ensemble du marché de la CEDEAO. Une manière de débloquer cette situation est de limiter la fragmentation au sein de la Communauté en favorisant l'émergence d'autres fédérations à côté de celle du Nigeria tout en poursuivant l'objectif d'une union totale au niveau de la sous-région. Dans des articles précédents j'avais proposé la création de deux nouvelles fédérations: celles du Golfe de Guinée et du Sahel. La première réunirait les pays suivants: Bénin, Togo, Ghana, Côte d'Ivoire, Guinée, Guinée Bissau, Cap-Vert, Liberia et Sierra Léone. La deuxième comprendrait le Niger, le Burkina Faso, le Sénégal, la Gambie et le Mali. Ces deux nouvelles fédérations réuniraient respectivement 72 et 51 millions d'habitants en 2003 puis 92 et 72 millions en 2015 année au cours de laquelle la population du Nigeria aura atteint 160 millions. Le pari d'une telle fédéralisation est de construire des unités de base plus solides, les trois fédérations, disposant chacune d'un marché intérieur potentiellement viable, permettant ainsi de rendre la compétition économique plus efficace dans chacun de leur espace et au sein de la CEDEAO en gestation trop lente et qu’il faudrait dynamiser. Le préalable à une telle fédéralisation est le partage d'une communauté de valeurs démocratiques et éthiques telles que la laïcité ainsi que l'harmonisation des politiques économiques, fiscales et sociales. La construction ainsi proposée pour l’Afrique de l’Ouest est aussi valable pour les autres sous-régions africaines : approfondissement de la démocratie dans chaque pays par une décentralisation efficace, fédéralisation des pays pour atteindre une dimension critique, dynamisation des unions sous-régionales par les fédérations. L’Union africaine reste un idéal à atteindre dont la concrétisation ne sera cependant pas probante sans la réalisation effective des unions sous-régionales. Toute union politique au niveau continental restera sans impact significatif si les fondations à la base ne sont pas solides. Sans un sursaut pour prendre en mains la construction africaine de manière rationnelle, en dépassant les nationalismes étroits, nos pays pourront continuer à se plaindre de leur impuissance à résoudre leurs problèmes de développement socio-économique. Ce ne sera pas la faute de la mondialisation mais celle de la prépondérance chez nous des symboles sur la réalité. La voie qui mène à l'émancipation passe aujourd'hui et demain par la fédéralisation. L'Union Européenne l'a bien compris, elle qui a su franchir de nombreuses inimitiés entre certains de ses membres pour construire une confédération et renforcer ainsi le pouvoir de négociation de chaque pays Européen au niveau mondial. Mais souhaitons-nous toujours cheminer vers une indépendance véritable? Plaidoyer pour une indépendance véritable Il n’est pas futile de chercher à convaincre aujourd’hui de la valeur de l’indépendance véritable qui dans le monde contemporain signifie l’accession à un degré suffisant d’autonomie. Une autonomie qui ferait de nos pays des partenaires fiables et crédibles pour les autres nations. La tendance qui domine au sein de nos élites et des « donateurs » est de considérer que seule devrait compter la bonne gestion ou encore la bonne gouvernance économique dans chaque pays pris isolément. On ne saurait nier l’importance de la bonne gestion des affaires publiques, de l’amélioration des performances de l’administration. Mais comme on l’a vu avec les DOM-TOM, la bonne gestion n’implique pas forcément l’indépendance. En réalité, la quête de l’indépendance véritable exige la mise en mouvement de l’ensemble de nos sociétés. Le volontarisme le plus forcené d'un Président de la République ne suffirait pas ! L’horizon politique présidentiel et encore moins celui des gouvernements ne permettent pas à ces institutions toutes seules de trouver des solutions durables aux problèmes auxquels nous sommes confrontés, problèmes qui sont de nature à s’aggraver à long terme. Nos sociétés doivent se mobiliser, toutes ensemble, sereinement et dans la durée autour d’une stratégie partagée. De ce point de vue, la perspective de l’indépendance véritable est le seul gage de succès durable que nous pouvons nous donner dans notre quête collective d’un épanouissement. Nous devons alors nous convaincre d’un certain nombre de faits : - si les problèmes de nos pays étaient similaires à ceux d’une entreprise, il aurait suffi à nos dirigeants d’avoir les meilleurs conseillers techniques ; or malgré toute l’assistance dont ils ont pu bénéficier au cours des décennies précédentes, nous tournons en rond ; il faut croire que la quête de l’épanouissement est une problématique plus complexe ; - il n’existe aucun pays au monde, ni le Chili, ni la Chine, ni a fortiori les pays industrialisés, qui ait réussi à réaliser l’épanouissement de sa population en sous-traitant les programmes pensés par les « donateurs » aussi désintéressés soient-ils ! - l’attitude la plus saine est de compter d’abord sur nos propres capacités d’initiatives et de faire appel aux partenaires uniquement dans le cas où leurs actions contribuent à la réalisation de nos objectifs stratégiques. Cependant, la technocratie qu’on nous concocte un peu partout, au risque parfois d’entorses à la démocratie comme ce fut le cas au Togo, cette technocratie n’est pas sans intérêt. Elle est plus prometteuse que les oligarchies politiques fondées sur l’incompétence et le fait du prince ! La technocratie peut résoudre des questions ponctuelles dans les limites d’un mandat présidentiel et permettre une réélection, mais elle est incapable de parvenir à insuffler un développement socio-économique robuste. L’approche purement pragmatique est insuffisante pour produire les effets durables que nos peuples sont en droit d’attendre. La mise en mouvement de nos sociétés suppose une véritable ambition politique, au sens le plus noble du terme, et une stratégie pour la réaliser sans précipitation, une stratégie qui fasse une place prioritaire aux forces sociales, au génie du peuple, sans populisme, sans démagogie, ni dogmatisme. Pour devenir prospère, il n’est pas besoin d’être grand, des pays tels que la Suisse, Luxembourg et d’autres l’ont bien montré. Chacun de nos pays peut mettre en place sa vision économique pour s'en sortir tout seul. Ceci peut marcher un moment mais cette prospérité peut-elle être durable si les pays voisins restent pauvres? Tirons les leçons de l'exemple de la Côte d'Ivoire ; elles nous montrent la grande vulnérabilité d'un tel modèle. Le modèle « champignon » plie avec le temps sous le poids de la pauvreté environnante et laisse la place à la xénophobie et à la guerre civile pour le contrôle de la richesse nationale. Il appartient donc aux sociétés civiles de nos pays de lancer de vastes mouvements pour dépasser les nationalismes qui font les affaires d’une partie des élites dirigeantes en mal de leadership mais si peu celles des peuples. Cependant, les fédérations ne pourront pas se construire contre les nations. Il s'agira en réalité de mutualiser certaines fonctions et activités entre les nations fédérées en laissant par exemple aux gouvernements nationaux l'approfondissement de la gouvernance politique et économique à la base. Ainsi, si en 1960 l'indépendance signifiait l'émancipation par rapport à la colonisation, en 2006, il s'agit davantage de rechercher le degré suffisant d'autonomie qui nous permettra de décider de notre avenir par nous-mêmes dans un monde de plus en plus complexe. La stratégie de la fédéralisation progressive se révèle ainsi comme une alternative raisonnable au souverainisme autarcique inefficace et à la dépendance résignée et humiliante. Elle reste compatible avec l'utopie des Etats-Unis d'Afrique si chère au panafricanisme, tout en procédant d’une manière progressive et concrète. Cependant la fédéralisation ne constitue pas une fin en soi mais un moyen, le meilleur, pour réaliser un programme économique ambitieux qui conduirait les pays africains à ajouter de la valeur à leurs matières premières plutôt que de continuer à geindre dans le rôle que la Communauté internationale semble leur avoir réservé, celui de fournisseurs de produits de base demandés par les autres régions du monde pour leur propre développement, celui de victimes expiatoires de la détérioration continue des termes de l’échange.
Rédigé à 21:59 dans Article | Lien permanent | Commentaires (0)
.
. Le destin du Prince Régent
.
.
A Dorominfla, il y avait grand monde à l’intronisation du roi. Les représentants des Villages-Frères étaient tous là. Sous l’arbre à palabre était dressé le trône du futur roi. Le trône était couvert d’or et reposait sur une estrade en ivoire cerné de diamants aux reflets chatoyants.
La délégation de Korominfla était arrivée longtemps après moi. Ayant demandé à mon aide de monter sur Tamani, j’ai pris moi-même la forme d’un oiseau et je suis arrivé plus vite. Ensuite, je suis redevenu moi-même et je me suis faufilé dans la foule à l’entrée du palais royal, à l’insu de tous. Si je voulais, je pouvais être invisible, mais avec la foule, je ne m’en donnai pas la peine. La foule était nombreuse et personne ne pouvait me reconnaître mais moi, je reconnaissais les gens que j’avais déjà vus la veille. Je voyais les gardes du roi Bonzo et ils étaient très tendus à cause de la disparition du commandant-en-chef Sanni. Mais en dehors de cette absence, on menait grand bruit autour du Palais. La cour sacrée était pleine comme un œuf. Tous les dignitaires et les sages étaient réunis, chacun à sa place selon l’étiquette. Les savants, les sages et les électeurs du roi avaient pris place autour de trône royal.
Un peu avant l’intronisation, il y a eu des incidents regrettables devant la véranda du palais royal où j’étais. Je dis regrettable, parce que je m’en étais mêlés. A ce moment, je réfléchissais, me demandant sans arrêt quelle était la meilleure manière d’empêcher le Prince Régent, véritable marionnette des braconniers, d’être intronisé. Or, voici que tout d’un coup, j’entends des cris. Les gardes venaient de saisir un petit garçon de sept ans qui tentait d’entrer dans le Palais. Tout le monde semblait connaître le garçon, on l’appelait Lycaon-sans-queue, et il avait des cheveux longs et hirsutes. Le garçon était tout nu, il avait l’air d’un petit enfant peul abandonné. Son corps était couvert de blessures et de griffures. Lycaon-sans-queue se débattait dans la main des gardes en criant. En entendant les cris, le roi sort de son palais et regarde la scène du perron. « Que se passe-t-il en cette heure solennelle ? demande-t-il.» Le roi était en colère ; les gardes traînèrent le garçon devant lui.
« Petit animal sans queue, dit le roi furieux, tu oses troubler l’heure sacrée de mon intronisation ?
— Tu ne seras pas roi, je vais te tuer, méchant, assassin ! »
Le petit garçon était en colère comme jamais je n’ai vu un enfant en colère. Il parlait avec un accent bizarre. On aurait dit un animal. Sa voix hachée découpait les mots et les lançaient à la face du roi. Ils étaient pleins de mépris et de haine pour le futur roi. Alors le roi fou de rage se tourna vers ses gardes. « Jetez-le aux lions ! » dit-il sans autre forme de procès. Les gardes sans attendre saisirent Lycaon-sans-queue et se dirigeaient vers la cage aux lions sous les applaudissements de la foule ravi de voir l’enfant dévoré par des lions. C’est à ce moment que j’ai commis une erreur qui a failli être fatale pour la suite des événements. En effet, au moment où les gardes ayant saisi l’enfant, le menaient aux lions sous les applaudissements de la foule, tout occupé que j’étais à réfléchir, j’ai cru sur le coup que j’étais invisible, et je me suis jeté sur les deux gardes comme un tigre sur sa proie. En un éclair, je me suis jeté sur eux, et de toute la force de mes deux bras, j’ai saisi leurs têtes que j’ai cognées l’une contre l’autre. Les gardes sont tombés évanouis, et Lycaon-sans-queue en a profité pour détaler. Rapide comme un félin, le petit garçon a disparu en un éclair. D’autres gardes venus en renfort se sont alors précipités sur moi et m’ont arrêté. Sans demander l’avis du roi, ils ont commencé à me traîner vers la cage aux lions à la place de Lycaon-sans-queue. Les gardes m’en voulaient d’avoir assommé leurs camarades et ils me traînaient sans ménagement vers la mort mais je ne me laissais pas faire. Je résistais comme quatre homme à la fois. Et, à un moment, quand j’ai regardé en direction du palais, mon regard a croisé le regard du Prince régent qui se tenait debout. Le Prince Régent m’a vu et sur son visage est passé comme un éclair de panique. J’étais sûr qu’il voudrait bien savoir où se trouvait son commandant-en-chef avant de laisser ses gardes me jeter aux lions. Mais l’éclair de panique a fait long feu. Le Prince Régent est rentré dans son palais, me laissant à mon sort. Les gardes ont continué de me traîner vers la cage aux lions. Est-ce que c’était vraiment fini pour moi ? J’avais peur. Je commençais à perdre confiance, parce que, vu mes conditions, il m’était difficile d’utiliser mes bôs pour me tirer d’affaire. Mais, à quelques pas de la cage aux lions, pendant que les lions s’agitaient, s’excitaient et rugissaient d’impatience à l’approche du festin inattendu qui venait vers eux, un des gardes du roi est sorti du palais et a crié : « Halte ! au nom du roi, emmenez-le ! »
Aussitôt transmis, l’ordre du Prince Régent a été entendu et les gardes m’ont traîné à l’intérieur du palais. Lorsque je suis arrivé devant le roi, il m’a regardé avec son regard perçant du premier jour. Je n’ai pas vu son visage parce qu’il était déjà vêtu pour la cérémonie et son turban bleu indigo voilait toute sa figure. Seuls ses yeux étaient visibles ; noirs et dilatés, ils lançaient des reflets incandescents. Dès qu’il m’a vu de près, le Prince Régent n’y est pas allé par quatre chemins.
« Demi-Frère-du-Diable, me dit-il, où est Sanni ?
— Sanni est dans mes mains, Prince Régent.
— Prince Régent ! vous osez encore m’appelez ainsi ! Eh bien soit, vous avez offensé un prince et c’est un roi qui vous punira »
Le prince était en colère et rugissait comme un lion. Est-ce qu’il se souvenait des paroles de Lycaon-sans-queue lorsque l’enfant a dit « Tu ne seras pas roi, méchant, assassin » ? Je ne sais pas. Peut-être c’était l’imminence de la cérémonie d’intronisation qui le rendait aussi nerveux. D’ailleurs, une escorte est arrivée après que le héraut royal eut sonné la retraite sacrée. Le Prince-Régent s’est tourné vers ses gardes. « Qu’on enferme ce diable dans la chambre noire ! » dit-il avant de suivre l’escorte à pas solennels vers sa retraite.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Me voilà donc dans cette chambre noire que je connaissais déjà. Je pouvais sortir de là sans problème même si les gardes allaient et venaient devant la porte. Mais les gardes m’avaient ligoté des pieds à la tête comme un fagot de bois avec une cordelette en résine très dure, et même si je me changeais en fourmi, je serais toujours dans les cordes. Alors je me suis mis à réfléchir à comment faire pour me tirer d’affaire. Pendant que je réfléchissais, j’entendais les bruits venant de la cour sacrée. J’avais peur que la cérémonie ne commence sans moi, même si je n’avais pas une idée très précise de ce qu’il fallait faire pour empêcher Bonzo Yamaoré d’être roi. Mais en un éclair, la bonne idée m’est venue à l’esprit ; en me souvenant d’une incantation de notre clan qui dit : « On ne peut tenir en corde le python boa, tout ruisselant de bave et de sueur, chose impossible », je me suis transformé en un python.
Ainsi, je suis sorti de mes cordes facilement, comme l’eau qui passe à travers un panier. A partir de là, j’ai fait exactement comme la veille, j’ai utilisé mes pouvoirs et je me suis retrouvé dans la cour sacrée, juste devant la case carrée. Personne ne me voyait, ni le prêtre Gonokoré, ni les sages électeurs du roi, ni les nombreux représentants du Conseil des Villages-Frères : j’étais invisible. J’avais gardé sur moi la cordelette de résine dont je venais de me libérer. C’était une cordelette souple longue d’environ un mètre quatre-vingts. A chacun de ses bouts, j’ai fait un nœud coulant de trente centimètres de diamètre. J’ai posé les deux cercles devant la porte de la case carrée et j’ai attendu. Un étrange silence pesait sur le village. Pour un aveugle, c’était comme si le village était désert ou mort ; il n’y avait ni bruit ni murmure et même les animaux avaient compris qu’une nouvelle ère se préparait. Mais laquelle? Les dieux seuls pouvaient le dire.
« Doum ! Boum ! Doum ! Boum ! Doum ! » Le tam-tam sacré battait au rythme du cœur de toute la nation Zégué. Après les cinq coups rituels, Bonzo Yamaoré est sorti de la chambre carrée, vêtu de sa royale tunique blanche qui balayait le sol. Son turban était couvert de gros diamants qui scintillaient et tout autour de son cou pesaient de lourds pendentifs magiques en ivoire sertis d’or. C’est dans cette tenue d’apparat que Bonzo Yamaoré a fait son premier pas et il s’est pris les deux pieds dans mon piège. Et comme j’étais invisible, je me suis accroupi derrière lui et j’ai serré les nœuds. Bonzo Yamaoré a senti que ses pieds étaient pris dans une corde. Il ne comprenait pas ce qui se passait mais comme tout le village avait les yeux fixés sur lui, et que la tradition veut que le futur roi marche dignement vers le trône, Bonzo Yamaoré n’a pas voulu se baisser pour si peu. D’ailleurs, les nœuds ne le gênaient pas pour marcher, et entre ses deux pieds il y avait de l’espace. Profitant de cet espace, Bonzo Yamaoré a continué de marcher dignement comme si de rien n’était en prenant soin d’écarter ses deux pieds. A ce train, il réussit à faire quelques pas incertains. Il sentait bien qu’il s’était pris les pieds dans des cordes mais il se disait que tant qu’il pouvait marcher jusqu’au trône, ce n’était pas le moment de s’abaisser à les en libérer.
Et, en effet, il fit encore quelques pas. Mais au sixième pas, la corde devint raide et Bonzo Yamaoré s’arrêta brusquement. Instinctivement, il jeta un regard rapide derrière lui pour voir ce qui se passait. Et, comme il ne vit rien d’inquiétant il se tourna vers l’assistance. Dans les yeux des sages, on pouvait lire leur stupéfaction. De mémoire d’électeurs, personne n’avait jamais vu un roi s’arrêter ou regarder derrière sur le chemin de son intronisation. Que se passait-il ? Personne n’en savait rien. J’étais invisible et je tenais la corde fermement comme un cavalier tient la bride de son cheval rétif. Quand Bonzo Yamaoré a esquissé le septième pas, j’ai tiré sur la corde très fort et son pied droit a obliqué vers la gauche et il a failli tomber. Un énorme « Ahan ! » prononcé en chœur par toute l’assistance traduisait la stupéfaction générale. Malgré cet avertissement, Bonzo Yamaoré n’a rien voulu entendre. N’écoutant que sa rage aveugle de pouvoir il a continué à marcher. L’assistance médusée, comme un seul homme s’est tournée vers Goronoké. Mais le grand sage est resté silencieux lui aussi, peut-être parce que c’était la première fois qu’un tel incident se présentait et personne ne savait vraiment ce qu’il fallait faire et comment arrêter la marche du Prince régent vers le trône seulement parce qu’il avait failli tomber. Mais les représentants du Conseil des Villages-Frères se sont tous levés et, un à un, les électeurs du roi eux aussi se sont levés et tout le monde était étonné et personne ne savait comment arrêter Bonzo Yamaoré dans sa marche vers le trône. Comme la situation était tendue, j’ai laissé Bonzo Yamaoré faire quelques pas encore puis j’ai tiré brusquement sur la corde comme un cavalier tire sur la bride lorsque son cheval est au bord d’un précipice. Et ça été le coup de grâce. Bonzo Yamaoré a perdu l’équilibre et s’est affalé de tout son long en soulevant un énorme nuage de poussière. Le prétendant au trône avait mordu la poussière ! Du jamais vu. Aussitôt, les femmes ont lancé des cris de détresse comme le veut la tradition. C’était la première fois qu’on entendait ce cri. « Ô, Mânes de nos ancêtres, mort à l’infidèle, arrêtez le parjure ! » a crié Goronoké d’une voix grave. Des gardes armés de lances se sont précipités sur le Prince régent et l’ont arrêté. Pendant ce temps, ni vu ni connu, je me suis éloigné sur la pointe des pieds, tout heureux d’avoir tenu ma promesse.
Bonzo Yamaoré était devenu la honte de son peuple. Et quand le peuple a relevé la tête un peu plus tard, quelle n’était pas sa joie de constater que la honte était effacée. Yaradoua était sur le trône.
*
*******
Tout heureux d’avoir été élu roi, et débarrassé de son vieil ennemi, Yaradoua n’a pas attendu longtemps pour s’occuper de moi. Sur sa demande, ses hommes ont remué ciel et terre pour retrouver Montcho. Ils ont cherché Montcho dans tout le Palais mais Montcho n’était dans aucune des trente-sept pièces du Palais. Alors, le roi a ordonné de le chercher dans toutes les dépendances du Palais et les gardes ont cherché, et nulle part il n’y avait l’ombre de Montcho. Alors le roi a fait appeler Bonzo Yamaoré et ils sont allés le chercher dans sa prison. Quand Bonzo Yamaoré est arrivé, dans un boubou jaune rayé qui est la tenue des prisonniers, il était méconnaissable. En quelques heures seulement il avait pris l’air d’un vieux prisonnier, sans chaussures ni or ni diamant et, pour tout bijou, il n’avait que des chaînes lourdes aux pieds et aux mains. A l’entrée de la salle de séjour du Palais où quelques heures plus tôt il régnait encore en maître tout-puissant, Bonzo Yamaoré s’est effondré comme s’il avait été assommé par un ennemi invisible. Mais le roi n’a pas eu pitié de lui. « Où est l’homme à une cicatrice ? » lui demande-t-il. Bonzo Yamaoré n’a pas répondu. Même quand le roi l’a menacé à trois reprises de le jeter aux lions, il est resté silencieux comme un fantôme. Alors, comme Bonzo Yamaoré ne parlait pas, j’ai proposé au roi de faire venir Sanni, et le roi a envoyé une escadrille rapide qui est allé chercher l’ex-commandant-en-chef. A son arrivée, Sanni avait l’air fatigué. Il venait de se réveiller de son profond sommeil de la veille. Quand il est entré dans le Palais où Yaradoua, son ancien ennemi, était maintenant roi et surtout lorsqu’il a vu que son roi était prisonnier, il est resté abasourdi. Il ne croyait pas ses yeux. Le roi lui a parlé avec autorité : « Odieux personnage, lui cria-t-il, où est l’homme du sud ? » Sur le coup, Sanni ne dit mot. Pour toute réponse, il s’avança vers le roi et tituba, tête baissée. Le loi le tança à nouveau. Alors il parla.
« Noble roi, dit-il, d’une voix tremblante, j’aimerais une faveur…
— Quoi donc, parle !
— Est-ce que j’aurai la vie sauve, Brave Roi ?
— Si tu dis la vérité, oui, sinon ta mort ne sera pas douce ! »
Soudain, Sanni tomba à genoux et tendit ses deux mains vers le roi. Puis, d’une voix entrecoupée de bégaiements, il se mit à supplier le roi. Ce fut une longue supplication émaillée de pleurs et truffées de révélations, à l’issue de laquelle, j’appris que Montcho avait repris le chemin de la Jungle après qu’il a été libéré par un cochon géant et Lycaon-sans-queue.
Ce soir-là, j’ai demandé au roi la faveur de me laisser partir dans la jungle sans assister à la fête de son intronisation qui commençait dans tout le village. Le roi savait que je ne voulais ni or ni honneur ; il savait que n’avais qu’une idée en tête : retrouver Montcho et retourner voir mes femmes au Sud. Aussi, le cœur gros, accéda-t-il à ma demande. J’ai quitté Dorominfla, la même nuit à la tête d’une escorte de trois soldats. Nous avons pris le nécessaire pour affronter les dures conditions de la jungle. Avant mon départ, le roi a encore menacé de jeter Bonzo Yamaoré aux lions mais je l’ai pris sous ma protection, parce que je pensais qu’en tant que roi des braconniers, il pouvait m’être utile ; et de plus ce n’était pas à deux lions en cage qu’il avait des comptes à rendre mais au peuple de la jungle tout entier. Le roi était tout à fait d’accord avec moi. C’est ainsi que j’ai pris Bonzo Yamaoré dans mon escorte et le roi était soulagé de le voir rendu à la jungle pour le restant de ses jours.
A suivre
© Copyright, Blaise APLOGAN, 2006
Rédigé à 10:23 dans Fiction | Lien permanent | Commentaires (0)
...Par Cossi Bio Ossè
..
A bien des égards, Yayi Boni réalise le portrait balancé du Béninois. A commencer d’abord par ceux de ses prédécesseurs, Présidents de la République avec la synthèse desquels sa personne, située à un moment singulier du cours de l’histoire nationale, entretient une analogie. Analogie souvent cohérente, parfois troublante. Dans le détail, il n’y a guère qu’avec le Président Sourou Migan Apithy, (en 1964 à 51 ans) et dans une moindre mesure Justin Tometin Ahomadégbé ( en 1972 à 55 ans) qu’il emprunte peu ses traits. Et encore ! Si l’on songe que le premier était Expert-comptable de formation, une branche technique de l’économie, et le second médecin dentiste donc assimilé docteur, on voit que des rapprochements ne font pas défaut.
Pour ce qui est des autres Présidents considérables de l’histoire politique mouvementée de notre nation, on peut aisément constater que chacun a payé de sa personne aux traits du nouveau Président ; ou plus exactement, celui-ci a pris bien de ses traits chez ceux-là.
Rédigé à 16:55 dans Article | Lien permanent | Commentaires (0)
Petite histoire d'un Changement
III
Ce genre de situation doit changer. Le changement de la qualité de l’air à Cotonou est une mesure politique concrète du Changement. Que faut-il entendre par là ? Eh bien voici : à mon sens, l’impératif du pacte social énoncé plus haut a été trahi par les élites, les pouvoirs publics et les régimes politiques successifs. Passe encore qu’une classe minoritaire se soit enrichie sur le dos du peuple. Le plus grave est que toute une génération ait été sacrifiée. C’est dans un réflexe de survie que cette masse de jeunes et de moins jeunes unie dans la misère, son masque commun, remisant ses rêves les plus légitimes, s’est recyclée de force dans le métier de Zémidjan. Une analyse des origines sociales de cette division motorisée de l’armée des laissés-pour-compte montre qu’il s’agit d’un mélange bigarré. Ouvriers au chômage, victimes de l’exode rural, étudiants sans emploi, jeunes pressés, fonctionnaires "compressés". Outre les jeunes migrants, le métier s’est étendu aux diplômés sans emploi, voire aux fonctionnaires d’Etat qui consacrent leur fin de journée à une activité qui leur procure au quotidien un complément de revenu substantiel.
Depuis que j’ai été personnellement touché par les conséquences du changement de la qualité de l’air à Cotonou, j’en ai tiré les conséquences qui s’imposaient. En accord avec mon jeune frère, je l’ai réorienté, finance à l’appui, vers son métier initial de tailleur. Pour l’encourager, je l’ai mis en rapport avec une ligne de vêtement bruxelloise qui s’intéresse à la mode africaine d’origine. Et ses affaires ne marchent pas si mal. Mon frère qui est devenu avec l’âge très sage a reconnu qu’il l’avait échappé belle. Rétrospectivement, il reconnaît lui-même le caractère éprouvant de son ex-métier. Il va sans dire que le métier affecte dangereusement la santé de celui qui l’exerce. Les Zémidjans doivent faire face aux intempéries et au mauvais état des infrastructures routières. Ces conditions de travail difficiles en amènent plus d’un à consommer des stupéfiants.
Par ailleurs ma sensibilité aux problèmes écologiques s’est aiguisée. Il y a quelques mois, suite à un article que j’ai publié dans un magazine canadien, j’ai été l’hôte d’une association pulmonaire du Canada qui m’a invité à un colloque à Fredericton. A ce colloque, sans m’y attendre le moins du monde, j’ai rencontré mon ami, le docteur Maurice Vignon du Cnhu qui se trouvait lui aussi invité. Le Béninois est partout, me direz-vous, mais qu’un spécialiste éminent de mon pays se trouve présent à une réunion traitant de ce sujet m’a vraiment mis le cœur en joie. Le colloque a fait le point sur la prise de conscience de la qualité de l’air dans les politiques urbaines de par le monde. A cet effet, entre autres activités, nous avons eu l’occasion de visionner un film présentant le projet de création en 2010 de la première "ville écologique" du monde. Née de rien, au milieu des marais, la cité se situe à l'extrémité orientale de Chongming, la troisième plus grande île chinoise, à l'embouchure du fleuve Yangzi. Aucun des immeubles ne dépasse huit étages. Les toits sont recouverts de gazon et de plantes vertes pour isoler les bâtiments et recycler l'eau. La ville réserve à chaque piéton six fois plus d'espace que Copenhague, l'une des capitales les plus aérées d'Europe ! Des bus propres, à piles à combustible, relient les quartiers. Un système d'Intranet planifie la durée du trajet et met en contact les habitants désireux de partager une voiture. Les motos traditionnelles sont interdites : on circule en scooter électrique ou à bicyclette. Les routes ont été dessinées de telle sorte qu'il est plus rapide de rejoindre son travail à pied ou à vélo qu'en voiture. L'objectif fixé : une empreinte écologique de deux hectares par personne, trois fois plus qu'aujourd'hui à Shanghai, Londres ou Paris. L’empreinte écologique, il faut le préciser, est une unité de calcul représentant la superficie de terre nécessaire pour assurer la survie d'un individu. Entouré de kilomètres de marais, paradis des oiseaux qui migrent entre l'Australie et la Sibérie, le site de Dongtan veut préserver la qualité de l'air. Les voitures ne devront émettre aucune particule de carbone et des stations-service à hydrogène seront mises en place. Cela suppose d’imaginer des véhicules petits, légers, peu gourmands en énergie, aptes à rouler très près l'un derrière l'autre pour occuper un espace routier minimal. Dongtan se veut également autosuffisante en énergie. Celle-ci devrait provenir totalement de sources renouvelables : solaire, éolienne, biomasse…
« Ah, que tout cela est bien beau ! fis-je remarquer au docteur Vignon à la fin du film, mais la Chine n’est pas le Bénin.
– Vous avez raison, mais les Chinois n’ont pas deux têtes, ce qu’ils ont envisagé peut nous inspirer aussi.
– Sans aller jusque là, docteur, que faire ici et maintenant pour améliorer la qualité de l’air à Cotonou ?
− Question explosive ! dit le docteur sur le ton de la boutade. »
Et pourtant il était sérieux. A l’en croire, la question réunit toutes les données du drame national des trente dernières années. Très versé dans le dossier, il parlait en politique. « Je pense que toute mesure non fondée sur la volonté de régler réellement le problème de la pollution serait vouée à un échec, assène-t-il. »
En clair, après avoir décidé de régler réellement le problème de la pollution, il faut faire partager cette volonté aux populations. J’étais du même avis, mais je n’avais aucune idée des mesures concrètes à prendre, n’ayant jamais abordé la question sous l’angle scientifique ou technique. Voici alors comment mon ami, le docteur Maurice Vignon, satisfit ma curiosité de néophyte.
« Ecoute mon cher, dit-il, dans l’immédiat, il faut prendre des mesures pour gérer le problème au quotidien. Ce sont des mesures d’ordre essentiellement techniques bien connues de ceux qui sont en charge du dossier :
- le remplacement de vélomoteurs 2T par des vélomoteurs 4T, moins polluants, l'amélioration de la qualité de l'huile pour le 2T et de la qualité des mélanges essence/huile.
- la mise en place d'un contrôle technique pour les engins à 2 roues
- une amélioration du secteur des carburants
- la mise en place d'un réseau de garagistes formés. »
Tout cela était technique pour moi, je dois l’avouer. Je fis comprendre au docteur qu’il faut aussi penser à la reconversion des Zémidjans. Cela me tenait beaucoup à cœur. «Vous avez raison, approuva-t-il, c’est un impératif sociétal, il faut les orienter dans d'autres secteurs porteurs et trouver une solution à la question du transport collectif dans les villes. Une politique de déplacements durables doit être menée... »
Le docteur parlait en connaisseur, très précis et méthodique. C’est des gens comme lui qu’il faut pour diriger notre pays, si nous voulons que ça change. Il n’y a pas de doute, cette discussion au Canada avec un spécialiste béninois de la qualité de l’air m’a apporté si j’ose dire un grand bol d’air. J’espère que c’est l’air de l’espoir, même si je reconnais que la question de la qualité de l’air, dépasse de loin la fixation qu’on fait sur les Zémidjans.
En effet, on ne saurait sous-estimer les autres sources de nuisance à la qualité de l’air de Cotonou. Au-delà des Zémidjans, la qualité de l’air à Cotonou doit être appréciée dans le cadre plus général d’une politique de développement durable qui prenne en compte la diversité des sources de pollution. Malheureusement, ces sources sont légion. L’insalubrité urbaine en est un exemple concret. La gestion des déchets et ordures ménagères est un véritable problème de santé urbaine. A Cotonou, l’insalubrité est palpable. Rues, voies, et places publiques sont sales, jonchées d’emballages, de détritus, peaux de fruits divers et d’objets encombrants malgré ce qu’on peut imaginer comme effort déployé par la municipalité pour offrir aux populations un environnement un tant soit peu sain. Ces manquements aux règles de salubrité sont le fait de tous : passagers qui se débarrassent sans crier gare du moindre objet encombrant, vendeurs qui circulent sans prévoir une poubelle portative, acheteurs qui se soucient très peu d’être bons éco-citoyens ; Zémidjans, chauffeurs, etc. Et puis il y a la responsabilité directe des pouvoirs publics. Comment se fait-il qu’une ville comme Cotonou ne possède pas un système adéquat de déchetteries et de poubelles ? La question mérite réponse. Lorsqu’on la pose aux services techniques de la marie à Ganhi les agents laissent entendre que les rues sont nettoyées au moins trois fois dans le mois et que des déchetteries sont implantées presque dans tous les coins de la ville. Reste que leur visibilité, gage d’efficacité, laisse à désirer. Il existe également une équipe chargée du ramassage des ordures ménagères, me dit-on ; mais si de telles équipes ne rayonnent pas sur la ville et se cantonnent à quelques quartiers arbitrairement sélectionnés alors le problème de la pollution par les déchets reste entier.
Certes face au problème de la pollution, on ne peut pas dire que la ville reste inerte. Très récemment de passage à Cotonou, en circulant dans le quartier de Cadjehoun quelle n’a été ma joie de voir un samedi matin dans les rues des dizaines de jeunes qui ramassaient des ordures de manière très organisée et conviviale. Ils étaient vêtus de Tee-Shirts de couleur bleue et blanche avec les logos de la ville de Cotonou et de " Jeunesse Canada Monde ". Bel exemple de solidarité écologique. Cela m’a rappelé les mêmes scènes que j’ai vécues au Japon lors d’un séjour littéraire en mémoire du Maître Soseki. Isolé dans un kiosque d’un jardin à la japonaise pour décrire mes impressions sur la nature du pays du Soleil levant, je voyais chaque jour sur les cours de midi, un groupe discipliné d’hommes en tenue trois-pièces et cravate qui venaient nettoyer de leurs mains la parc public de la ville de Hakodate. Curieux de savoir qui étaient ces nettoyeurs insolites, j’appris que c’étaient les P.D.G. de sociétés qui se trouvaient dans la zone franche bordant le parc public d’en face. Je voyais là une illustration de la force du lien social sous-tendue par les valeurs de discipline, d’unité et du bien commun, en vigueur au Japon. Je me disais : « Confucius est toujours vivant ! » J’étais loin de penser que le même sens du bien commun pouvait se donner libre cours au sein de la jeunesse de mon pays. Comme quoi, dans les questions de mentalités, de culture et de valeurs, il ne faut jurer de rien !
Binason Avèkes.
© Copyright, Blaise Aplogan, 2006
Rédigé à 16:39 dans Essai | Lien permanent | Commentaires (0)
Petite histoire d'un Changement
II
La caractéristique des changements spontanés est qu’ils prennent racine dans des nécessités mais peuvent générer des problèmes plus graves que ceux auxquels leur adoption est censée pallier.
En tant que changement dans le mode de transport urbain, le Zémidjan est à la charnière de maint processus : social, physique, biologique et politique. Dans le cas d’espèce, il est la résultante de trois facteurs : la proximité du Nigeria qui pourvoit en motos et carburant frelaté ; l’existence d’un réseau de vendeurs de kpayo ; et la faillite des pouvoirs publics et de toute une génération.
Au-delà de leur caractère spontané, les changements sont chose difficile à saisir. Tel phénomène cyclique peut nous paraître changeant tant que nous n’avons pas pris conscience qu’il est cyclique. Et même lorsque nous avons pris conscience de cet aspect, tant que nous n’avons pas pu déterminer sa périodicité, il reste pour nous un mystère. L’histoire de l’astronomie regorge d’expériences illustrant un tel mystère.
Dans l’histoire des trente dernières années du Bénin, les époques politiques se sont accompagnées de mots d’ordre et de slogans plus ou moins accrocheurs. C’est à n’en pas douter un héritage de la période lyrique de la Révolution. En effet, la Révolution s’est illustrée par le mot d’ordre : « Ehuzu dandan ! » Puis suite à la Conférence nationale, le Renouveau démocratique a ouvert la voie à l’ère de la Renaissance de Soglo et à la Résurrection de Kérékou. Maintenant avec les dernières élections le Changement est à l’honneur appuyé par le slogan « Ça va changer ! » Or il suffit de traduire ce slogan en fon pour voir apparaître une troublante liaison rhétorique entre « Ehuzu ! » et « Enahuzu! »
Mais à y regarder de près, qu’est-ce qui change ? Est-ce que ce n’est pas tout simplement un processus cyclique qui consacre le flux et le reflux de l’espérance du peuple ? On peut penser que le Changement qui nous est promis fraîchement, et que nous n’avons aucune raison de mettre en doute, est opposé à tout ce qui l’avait précédé. Mais même dans les termes, la Révolution se voulait un changement ; le Renouveau était un changement ; la Renaissance aussi etc. Changement ! Est-ce parce que le changement est partout que rien ne change ?
Les sceptiques peuvent faire un clin d’œil au cas du Sénégal. On se souvient en effet de la tumultueuse élection de Monsieur Abdoulaye Wade à la Présidence. Le vieil opposant au Parti socialiste avait accédé au pouvoir sous le vibrant slogan de « Sopi ! » Ce mot en wolof veut dire Changement. Au Sénégal c’était le grand soir. Les gens rêvaient des lendemains qui chantent. Aujourd’hui, il suffit de mesurer en quoi et dans quel sens le Sénégal a changé depuis Abdou Diouf pour échapper à l’hypnose collective de l’espérance de masse.
L’enfer dit-on est pavé de bonnes intentions. En ce qui concerne la volonté de changement, en Afrique plus qu’ailleurs, il faut surtout se garder de jugements hâtifs. Pour ne parler que du Bénin, il va sans dire que des forces coalisées ont tendance à freiner le changement ; forces endogènes et/ou exogènes ; soit volontaires parce que, à l’instar des croque-morts, elles vivent de cet état de chose ; soit involontaires parce qu’un immense effort mental incombe à la nation pour connaître sa pleine autonomie, une montagne à soulever. Cet effort auquel nous ne parvenons pas, il convient d’en questionner sérieusement les échecs récurrents, et non pas nous hâter de jeter la pierre aux hommes politiques et aux régimes du passé, vite catalogués comme sans foi, ineptes et inaptes. C’est en comprenant les raisons de ces échecs que notre légitime désir de changement évitera le double écueil de l’incantation et du lyrisme qui est au principe du flux et du reflux de l’espérance populaire. Au-delà de tout volontarisme éphémère, nous devons nous défaire du regard manichéen que nous portons sur le passé pour mieux voir les forces et logiques qui freinent le changement.
Par ailleurs, avec la meilleure volonté et les meilleures chances du monde, l’effort de développement d’un pays du continent – petit ou grand –finira par entrer en résonance avec l’effort des autres pays africains. C’est dire que la vision d’un pays comme îlot de changement dans un océan de régression ne tient pas la route longtemps ; tout scepticisme mis à part, cette limite dialectique incite à situer la question du changement dans un cadre suffisamment critique.
Dans le cas du Bénin, on peut dire que la Révolution a été un changement radical, le Renouveau un changement de velours, et le Changement actuel, eh bien…disons un changement tout court, avec un grand C !
Et si tous ces changements s’inscrivaient dans un processus cyclique ? Comme me le faisait remarquer Eloi Vidosessi, un compatriote humoriste fin observateur de l’histoire politique nationale, et si le Bénin était un pays qui, tous les dix ans, se laisse enfoncer dans un puits par un militaire débonnaire, et a besoin d’un fonctionnaire plus ou moins international pour le hisser sur la margelle ?
Foin de spéculation sur le sens des choses dans le temps. S’il y un changement qui n’a pas changé depuis que les changements changent au Bénin, c’est bien le changement de la qualité de l’air à Cotonou. Lorsqu’il faisait son entrée dans Cotonou le premier taxi-moto, on l’imagine, était loin de se douter qu’il serait à l’origine d’un tel changement. Et pourtant les faits sont là. Même dans des conditions de stricte réglementation, le carburant qui alimente les véhicules à moteur, constitue une importante source de gaz qui encombrent l’atmosphère. Ces mêmes combustibles fossiles produisent d'autres polluants qui, lorsqu'ils sont inhalés, ont des répercussions néfastes sur la santé. Or, en l’occurrence, cette donnée est aggravée par le fait que le kpayo est un carburant frelaté.
C’est dans ces conditions que le ciel de Cotonou a été pris d’assaut par de redoutables ennemis qui ont nom GES, alias gaz à effets de serre. Sous cette appellation générique se cache toute une armée d’envahisseurs gazeux plus ou moins malins. Il y a d’abord le H2O et le CO2, qu’on ne présente plus, le CH4 ou méthane, le NO2 ou oxygène nitreux, le CFC issu des appareils de réfrigération, et enfin, O3, le fameux Ozone dont le seul nom résonne dans maintes zones de nos cerveaux de terriens avec effroi. A Cotonou, cette armée d’éléments gazeux se résume en quelques chiffres alarmants : 83 % de monoxyde de carbone et 36% d’hydrocarbures. Au quotidien, l’émission de gaz carbonique est de 83 tonnes dont 59 % pour les seuls deux-roues. Il y a là de quoi donner le tournis à l’ancêtre Portonovien du Zémidjan de Cotonou…
Certes, le problème de la qualité de l’air soulève la question du respect des normes. En ce qui concerne les véhicules, qu’ils soient à deux ou à quatre roues, il y a le problème des conditions techniques de leur introduction sur le sol national. A Cotonou, la majorité des voitures qui débarquent au port sont des "venues de France ", particulièrement polluantes et en fin de vie. J’ai parcouru naguère, une étude du MEHU sur le parc automobile immatriculé dans la ville de Cotonou. Et j’ai été proprement sidéré. L’étude indiquait que l’âge de la majorité des véhicules était supérieur à dix ans, avec une moyenne d’environ 12,5 ans ! Avec une complaisance aveugle due à l’appât du gain, nos acteurs économiques, là comme ailleurs, font assumer à notre pays le rôle d’anus du système de consommation capitaliste mondial. Et les conséquences écologiques sont désastreuses. La pollution à Cotonou fait courir à la population de graves dangers. Un vaste spectre de maladies allant des maladies respiratoires au saturnisme en passant par les maladies allergiques et les maladies de la peau fait son apparition. En effet, les émissions de gaz toxiques provoquent notamment : le cancer du poumon, des affections respiratoires, les infarctus, les céphalées, le vertige etc.… Par an, l'intoxication par le plomb ou saturnisme coûte au Bénin 20 milliards de francs CFA soit 1,2% du PIB. Face à cet état de chose, si rien n'est fait, il va de soi que la situation va s'aggraver de façon continue.
Récemment, un ami, le professeur Maurice Vignon du Cnhu de Cotonou, a cru devoir mettre en garde le Bruxellois fraîchement débarqué que j’étais. « Vous avez-vu, me disait-il, les motocyclistes circulent désormais avec des cache-nez ou des mouchoirs. Traverser la ville est un véritable calvaire. La fumée est partout, nous mourons à petit feu, pour ne pas dire à petit gaz. » Et il savait de quoi il parlait ; spécialiste des maladies respiratoires, il avait en charge la santé de mon frère aîné atteint d’un cancer foudroyant qui devait l’emporter.
Bien souvent, les changements nous touchent au plus profond de nous et parfois nous laissent dans un embarras sans nom. Pour la petite histoire, j’ai deux frères. Mon frère aîné, qui a eu le bac vers la fin des années 70 est entré dans la Police nationale en 1983. Certes, il n’y a pas de sot métier et dans le sauve-qui-peut de l’époque, il avait accepté son sort . Mon plus jeune frère est du genre fainéant. A peine sorti du cours primaire, il errait dans le vide d’une société où même les gens diplômés ne menaient pas large. Moi, j’avais eu la chance de poursuivre mes études en Belgique où je vis actuellement. Pour venir en aide à mon jeune frère, j’ai financé l’achat d’une moto pour qu’il devienne Zémidjan. C’était au milieu des années 90 où ce métier battait son plein. J’avais agi de bonne foi. Voilà donc mes deux frères en activité dans la ville de Cotonou : l’un sur son Zémidjan et l’autre aux carrefours. C’est dans ces conditions qu’au bout de cinq ans, alors qu’il était non fumeur, mon frère aîné contracta un cancer du poumon qui devait l’emporter en quelques mois. Quand je sais que j’ai encouragé mon aîné à passer le concours des policiers ; et que c’est moi-même qui ai financé le plus jeune en l’incorporant de facto à l’armée des hommes en jaune dont le gagne-pain a eu raison de la vie de notre frère, je mesure tout mon embarras !
A suivre
Binason Avèkes
© Copyright Blaise APLOGAN, Paris 2006
Rédigé à 00:14 dans Essai | Lien permanent | Commentaires (0)
Lettre à Thomas
.
.Yverdon le 4 août 2006
.
Cher Binason,
Il semble bien que dans son allocution de commémoration de l’Indépendance le silence du Président de la République sur la thématique de l’Indépendance soit éloquent. Pour autant le constater et en proposer quelques pistes d’explication ne veut pas dire qu’on l’approuve. Avancer que quelqu’un pose des actes calculés ne veut pas dire que ces actes ne sont pas critiquables. Loin de là.
Et je crois que l’espace politique et médiatique au Bénin a effectivement besoin urgent d’une aile vigoureuse de contre pouvoir. D’où viendra-t-il ? Je ne sais. Quant à l’omniprésence de A.T., il faudrait se poser la question de savoir comment cela se fait qu’il soit arrivé par deux fois à se placer aux premières loges du choix des présidentiables dans notre pays. Entre autres questions, pourquoi Soglo qui pourtant a été Président et est arrivé en 2ème position par la suite n’a-t-il pas pu désigner un candidat gagnant pour occuper la place après Kérékou ? A.T serait-il l’intelligence politique absolue au Bénin ?
Cordialement,
Thomas Coffi, Yverdon le 4 août 2006.
.
.
.
Marcoussis le 4 août 2006
Cher Thomas,
Tes questions sont pertinentes, et cruciales. Quant à AT, je crois qu'il y a une dimension narcissique qu'il faut prendre en compte. C'est quelqu'un qui rêve que la postérité garde de lui l'image de grand manitou de la politique, tout au moins béninoise, et qui dès lors emploie toute son industrie à construire cette réputation. Il doit sacrifier ses nuits à ça. Ce qui n’est pas le cas de Soglo. Quand on veut quelque chose de manière aussi tenace, même lorsque c'est comme là dérisoire – pas la politique mais les motivations narcissiques qui obsèdent le personnage – on y arrive toujours. A mon avis, Soglo n'est pas du tout obsédé par ce genre d'ambition idiote... Il a quelque chose de plus sain que l'histoire, j'espère, saura retenir... Pour ce qui est de la paternité politique de Yayi Boni, il y a toujours ceux qui crient sur tous les toits leur rôle décisif et primordial et il y a ceux qui essaient de penser au pays et qui font les choses de manière plus discrète.
N’oublie pas que c’est Soglo qui a mis le pied à l’étrier à Yayi Boni en le nommant à la Boad. Par ailleurs, qu’on le veuille ou non, Yayi Boni a, dans un relatif laisser-faire, chassé sur les terres de Soglo et de la RB lors des dernières élections. Il est permis de penser que Soglo a dû accepter de couper la poire en deux : entre la nécessité de laisser passer Yayi Boni, et d’assurer une représentativité politique à son parti pour l’avenir…
Oui, en attendant que l'opposition politique trouve le jour, il faut organiser l'opposition de l'intelligence. Encourager, surveiller, critiquer, proposer, espérer, et de ce point de vue, Edmond a raison... : entre l’éthique de la conviction et l’éthique de la responsabilité, nous devons savoir naviguer.
Cordialement,
Binason Avèkes, Marcoussis le 4 août 2006…
.
.
.
Marcoussis le 5 août 2006
Cher Thomas,
C’est une vue de l’esprit de dire toujours que A.T. adoube tel ou tel présidentiable.
Bien-sûr, l’homme ne rêve que de ça. Mais sa tactique consiste à légitimer les autres sur la base de sa réputation de «savant politique» et de quelqu’un qui a, du moins dans le regard des Béninois, l’image d’un "secrétaire-adjoint" de « nos partenaires au développement »...
Donc A.T. utilise ces qualités plus ou moins occultes pour mystifier. Sa stratégie consiste à « objectivement légitimer » un choix d’une manière « désintéressée. » En effet, si un intellectuel comme lui, dit que Kérékou est le meilleur homme qu’il nous faut, cela passe comme une idée originale et objective, et permet d’accompagner une décision et un choix qui de toute façon étaient déjà scellés.
Evidemment, l’expérience a montré que cette légitimation peut être celle du pire. Notre homme, fidèle à son obsession et à son bon plaisir de grand connaisseur des subtilités de la politique, ressuscite et nous dit : « Yayi Boni est l’homme de la situation ! » Est-ce une légitimation du meilleur ? Il se peut. Du reste, Yayi Boni s'inscrit dans le cycle historiquement éprouvé d'une oscillation de la volonté politique nationale entre Chute et Lutte, Evanescence et Renaissance, Anomie et Autonomie. Mais cet art de jouer les faiseurs de roi, même s’il est d’abord inspiré par un certain culte de l'ego, l’autosatisfaction narcissique de se sentir au centre et à la source des événements politiques, peut aussi se conjuguer avec une vue politiquement juste, d’autant plus juste que pour faire oublier le poison du passé, notre apothicaire national a intérêt à aller très tôt à la recherche de son antidote.
Mais par rapport à sa démarche pour le choix et la proposition de Yayi Boni, sans qu’on sache s’il a pris ou non le train en marche, l’essentiel est qu’il l’a pris, pour les raisons à la fois narcissiques, stratégiques, logiques et historiques évoquées, sans compter les retombées du succès, comme ce type de poste de Médiateur qu’il n’a eu de cesse de suggérer de mille manières à son « poulain » putatif, à coup de théâtre, de poses et de gesticulations médiatiques passablement pathétiques...
Mais l’autre aspect de la motivation de AT qui est très béninois est la jalousie ; en fait voilà un Monsieur qui se méfie comme de la peste des gens qui peuvent lui tenir la contradiction, intellectuellement parlant, dans la mesure où ils sont insaisissables et ne sont pas un bon " objet politique" ; il préfère les gens dociles, qu’il peut manipuler à son aise, qui sont pour lui des "objets empiriques". Ainsi s'explique sa méfiance irrationnelle vis à vis des Soglo et autres Houngbédji. Savant putatif, AT est quelqu'un qui ne jure que par l’objectivation intellectuelle, chose qui n'est pas aisée à réaliser dès lors qu'on a en face de soi un sujet libre et imprévisible. Par ailleurs, c'est un travers qui montre combien il est difficile de faire asseoir rationnellement les Béninois autour d'une même table en toute confiance sans hiérarchie : hiérarchie de la connaissance ou supposée telle, hiérarchie des préjugés, hiérarchie de l'argent, hiérarchie de l’extraction et du bô...
Ainsi, si le choix de Kérékou était un choix anti-Soglo, celui de Yayi est, à n'en pas douter, un choix anti-Houngbédji. Soit dit en passant, il ne faut peut-être pas oublier que Houngbédji et lui faisaient partie de la cabale qui a évincé Soglo ; maintenant, alors que Houngbédji s’attendait à ramasser la mise, AT, d’une manière retorse, le contrecarre avec, comme raison supérieure affichée, la volonté de faire montre d’un sens élevé de l’intérêt national. Cynisme et bon plaisir...
Alors, me diras-tu, cher Thomas, si l’opposition intellectuelle Soglo-Kérékou est évidente celle de Houngbédji-Yayi semble controuvée. Je ne crois pas. C’est l’une des raisons pour lesquelles dans sa campagne et après son élection, Yayi Boni se voit affublé de la particule intellectuellement anoblissant de «Docteur». Cette particule convient surtout aux médecins ; et le cas échéant, son aura se mesure surtout dans l’espace institutionnel de l’Université, à l’aune du nombre et de la qualité d’articles pertinents publiés ou des choses de ce genre. Sous cet angle, Yayi Boni n’est pas vraiment un intellectuel. L’homme engrange l’aura certes mais ne fait pas mystère de son penchant de pur technocrate. En vérité, ce «trafic d’ influence intellectuelle » permet de dénier l’opposition intellectuelle, et de montrer que de ce point de vue, Yayi Boni n’a rien à envier à certains "Maîtres"… n'ayant de maître que lui-même...
Il y a quand même une lueur d'espoir dans ce tableau réaliste. Elle émane de la différence des personnalités. Personnellement, le nouveau Président est soucieux de changer d’abord la vie des Béninois que la sienne ; ce qui n'est sûrement pas le cas d’un Houngbédji dont l’obsession narcissique n’a rien à envier à celle de AT. De ce point de vue, une fois n'est pas coutume, on peut espérer que le choix de notre grand manitou ne soit pas si mauvais que cela, à condition de rester vigilants, comme tu l’as dit !
A condition aussi que le Roi sache mettre un bémol à la complaisance des Princes Régents, car à trop faire la politique par délégation, à trop s’entourer de Princes Régents, il y a un moment où le pouvoir véritable vous échappe…
Cordialement…
Binason Avèkes, Marcoussis le 5 août 2006
.
.
© Copyright, Blaise Aplogan, 2006
Rédigé à 23:16 dans Lettre | Lien permanent | Commentaires (0)
Critique de l’allocution du Président à l’occasion du 1ER AOUT 2006
Monsieur Aliou Kodjovi, philosophe de formation vous vous intéressez à la linguistique du discours politique. Mais vous êtes aussi fin connaisseur de la vie politique du Bénin. Ces deux qualités réunies font de vous un analyste privilégié du discours du Chef de l’Etat à l’occasion de la commémoration de la 46ème année de l’Indépendance de notre pays. Que doit-on penser de ce premier discours de 1er Août du Président Yayi Boni ?
Aliou Kodjovi : Ce discours de Monsieur Yayi Boni est assez spécial. Comme vous le dites, c’est son premier discours pour ce genre de rituel. D’ailleurs, comme chacun a pu le constater le Président Yayi Boni, qui est de la race des pragmatistes n’est pas vraiment un homme à discours. D’entrée ce qui est remarquable dans ce premier discours de 1er août du Président est la manière dont il entre en scène
« Je voudrais avec vous me réjouir de l’état de notre démocratie depuis l’historique conférence des forces vives de la nation de février 1990 » commence-t-il sans crier gare. Alors qu’il est question de l’Indépendance du Bénin, le Président place l’origine du temps de son discours à la conférence nationale, sans aucun regard sur le sens de l’indépendance, sans aucune réflexion de forme comme de fond, sur l’importance historique de l’événement que son discours est censé commémorer. Bref, le Président refait l’histoire…
Puis il continue en rendant « grâce à Dieu pour nous avoir toujours préservés des conflits avec leur cortège de désolation, de misère et de détresse. » Et alors dira un esprit critique, un tantinet rationaliste, les pays dans lesquels il y a guerre et violence aujourd’hui, proches de nous comme le Togo ou plus ou moins loin comme le Liban, c’est Dieu qui ne les a pas préservés ? Et dans ce cas, ce Dieu partial et parcellaire mérite-t-il grâce ?
B. A. Nous sommes quand même Béninois et le Béninois est croyant…
Aliou Kodjovi : Certes dans un pays très « animé» comme le Bénin, on ne peut pas ne pas user de l’hypothèse culturelle ou de la formule psychologique de Dieu en politique mais à bon escient et surtout il ne convient pas d’en abuser. Car malheureusement cette colorisation théologique du discours politique, cette manière de se considérer comme élu ou spécialement préservé par Dieu, indépendamment de nos mérites, de nos efforts et de notre volonté sont grosses d’une irresponsabilité aux effets endémiques paralysants ou tragiques.
B. A Mais, fidèle à notre tradition du respect des anciens, le Président rend aussi hommage à ses Prédécesseurs vivants…
Aliou Kodjovi : Oui, vous avez raison de le souligner mais est-ce dans le même esprit religieux de vénération, j’en doute ; auquel cas, il aurait généralisé son hommage aussi à tous ses prédécesseurs sans restriction. L’hommage à ses prédécesseurs vivants dont il souhaite que leur longévité soit bénéfique au pays n’est pas gratuit. « Leur appui et leurs conseils, dit-il seront inlassablement sollicités pour le bien du peuple et le rayonnement de notre pays. »
A y voir de près, cet hommage intéressé n’est pas sans rapport avec l’actualité politique des dernières semaines. En effet, au-delà de l’hommage, le chef de l’Etat ici essaie de justifier in fine l’urgence du recours à ses prédécesseurs dans le bras de fer entre le Gouvernement et les Députés autour de la question de la révision de la constitution ; justifier et naturaliser, ce qui peut vouloir dire aussi dénier et banaliser, dissoudre et absoudre ses erreurs, son noviciat politique…
B. A Voilà qui introduit à un regard plus précisément linguistique
Aliou Kodjovi : Le discours du Président Yayi Boni est en effet une allocution au sens linguistique du terme. Il est produit par le locuteur Yayi Boni, Président de la République, Chef du Gouvernement, etc.… Il a une double référence en terme d’allocutaire : un allocutaire explicite, le Peuple, mais d’autres allocutaires implicites qui sont plutôt des partenaires ou institutions sociales, politiques et économiques dont dépend son pouvoir et auxquels, comme à Dieu auquel il rend grâce, il convient de rendre hommage, soit par gratitude, soit pour ménager les susceptibilités soit par courtoisie ou pour ces trois raisons à la fois.
B. A Et le « Béninoises, Béninois » qui scande le discours, il sert à quoi ?
Aliou Kodjovi : Il s’agit là d’un prétexte formel de production de l’allocution. En vérité tout au long du discours, l’allocutaire explicite, le peuple est ignoré. Ceci répond sans doute au paternalisme bien pensant qui imprègne l’esprit du Gouvernement ; paternalisme enté sur une idée du Peuple qui l’assimile plus à un objet (de sa bienveillance) qu’à un sujet actif et interactif. Peut-être que cette représentation a quelque chose de provisoire compte tenu du pragmatisme avec lequel est abordé la gouvernance au vu de l’urgence et la gravité des problèmes qui se posent ; mais il est évident qu’une telle représentation ne pourra durablement étayer un réel changement en profondeur : car le changement à notre avis se fait dans un sujet libre artisan de son destin, pas sur un Peuple objet, ni dans ses besoins du moment. Il faut honorer l’instance subjective du Peuple et ne pas le rabaisser à ses seuls instincts aussi objectifs soient-ils.
B. A Selon votre analyse, qui et où sont les allocutaires implicites et pourquoi sont-ils si importants ?
Aliou Kodjovi : L’allocutaire explicite est ignoré disons-nous parce qu’au Peuple, il importe surtout à l’heure actuelle de faire que de dire. En revanche les allocutaires implicites sont à l’honneur : Anciens Chef d’Etat, pour le bénéfice affirmé de leur précieuse expérience ; les Forces Armées pour leur supposée contribution à la promotion de l’image du Bénin à l’extérieur et la conscience qui leur est prêtée dans leur responsabilité en tant que bouclier de la Nation et garante de l’Etat de droit ; les Partenaires aux développement ( ou ceux qu’on appelle ainsi dans le jargon de la mendiologie, raison d’être de nos Etats) pour leur précieux soutien aux efforts de construction de notre jeune démocratie ; et last but not least, la Société civile dont le dynamisme n’est plus à démontrer.
Ces quatre allocutaires résument bien, dans la perception pragmatiste du nouveau régime, les quatre piliers du pouvoir politique, de sa préservation ou de sa négociation. Chacune de ces instances dont dépend la quiétude du nouveau régime a eu droit à son hommage. Ce jeu des hommages soigne ses enjeux et ne manque pas de subtilité pédagogique. L’arbitrage des tensions politiques internes perd de plus en plus son caractère autochtone et se donne à voir sous le regard contraignant d’une gouvernance du monde plus rationalisée. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la supposée contribution des Forces Armées à la « promotion de l’image du Bénin à l’extérieur. » Les Forces Armées qui ont constitué par le passé une alternative aussi menaçante que malheureuse à la démocratie sont invitées à intérioriser l’esprit d’ouverture. L’externalisation des enjeux sous l’œil vigilant de nos « partenaires au développement » oblige les partis prenants au pouvoir à se reconnaître en toute civilité dans leur limite et dans leur hiérarchie. Les pulsions obscures étant d’autant plus néfastes qu’elles sont aveugles, l’éducation des regards commence par la mise en regard de chacun. Il s’agit là d’une politique de surveillance du territoire politique.
De ce territoire de lutte des géants, comme s’il était mineur ou si son adhésion fût à la fois innée et acquise, le Peuple est exclu. Aussi bien en terme de considération directe que dans la prise en compte des ses médiateurs institutionnels, sociaux ou politiques. Hommage aux Forces Armées mais aucun hommage à une autre armée, celle des Fantassins de la République : Enseignants de tous les niveaux qui en réalité contribuent plus qu’aucun autre Corps d’Armée à la promotion de l’image du Bénin à l’extérieur.
B. A Si on suit votre raisonnement on peut dire qu’il n’y a pas que le Peuple qui est mis hors jeu, ce qui relativise...
Aliou Kodjovi : Vous avez raison. Le Peuple est traité en objet inanimé, mais il n’est pas le seul à faire l’objet de cette évacuation. Les thèmes consacrés eux aussi en font les frais. Certes, il s’agit du premier 1er Août du nouveau Président. On peut donc s’attendre d’une part que soient rappelées les grandes lignes du programme de campagne et du discours d’investiture mais d’autre part, à cette occasion des 123 jours d’action, que soit montré en quoi les perspectives sont bonnes et le navire du changement fend-il vraiment les eaux dans la bonne direction. Pour autant l’occasion du 1er août ne doit pas être celle d’un discours programme du Gouvernement. Il doit plutôt être l’occasion de faire une réflexion de fond et de forme sur l’Indépendance elle-même. Et nous dire en quoi l’action du Gouvernement et son programme, au rebours de ceux de ceux qui l’ont précédé, sont en mesure de nous faire enfin mériter de cette indépendance qui tarde à se concrétiser dans les faits, aussi bien au niveau économique qu’aux niveaux culturel, mental, existentiel, éthique, politique et diplomatique. Replacer ce concept de l’Indépendance dans son contexte historique, géographique et culturel en rapport avec les autres pays africains afin d’en tirer une signification partagée utile pour l’Afrique et son devenir. Une réflexion aussi à faire sur l’autonomie qui est la chose dont dépend l’indépendance elle-même. Cela suppose de regarder la longue durée de notre histoire de pays indépendant dans sa totalité, et non d’en fixer l’origine de manière là aussi arbitraire au début du Renouveau démocratique.
B. A Nous voilà dans les hautes sphères de la politique à mille lieues de la linguistique…
Aliou Kodjovi : Rassurez-vous. L’histoire et la politique nous confrontent à des actes de langage. Au sens de la pragmatique sémiologique, ce discours en tant que produit dans le cadre d’un rituel, qui est celui de la commémoration de l’Indépendance, est un discours déviant. C’est un discours politiquement déviant en ce sens qu’il bouscule naïvement le cadre de référence normal qui confère un rôle central à l’allocutaire explicite qu’est le Peuple ; de ce point de vue, il n’est pas jusqu’à certains lapsus typographiques qui ne trahissent la mise hors jeu de l’allocutaire explicite au détriment des allocutaires implicites ( béninois et béninoises avec b minuscule là-même où Forces Armées, Nation, République, Etat, restent infailliblement drapés dans leur majuscule de prestige.
Sur le fond, le discours est déviant, maltraité et sous-traité. Il est maltraité dans la mesure où il escamote l’objet principal du rituel, à savoir l’interrogation sur le sens de l’indépendance, la mesure dans laquelle sa jouissance a donné du sens à la Nation et rendu le Peuple plus heureux ; et le cas échéant proposer les voies et moyens pour actualiser ses effets pratiques et symboliques, asseoir son règne.
Très vite, parce que la situation le nécessite et l’urgence le justifie, l’indépendance du pays, se confond non pas tant avec son indépendance économique – car le libéralisme béat mis à l’honneur par nos doctes éconolâtres du temps présent ne rime pas avec patriotisme et sacrifie volontiers tout à sa finalité théorique – mais avec le rêve de sa prospérité économique. Du coup, le rituel du discours de commémoration de l’Indépendance devient l’occasion de brosser un tableau compréhensif et appuyé de la politique économique déclinée à travers des axes de natures hétérogènes et dont la finalité commune est de concourir à la prospérité des Béninois.
B. A Ce n’est pas un vain mot tout de même, les Béninois attendent de toute urgence l’amélioration de leur condition de vie…d’où le souci du Président…
Aliou Kodjovi : Oui, les Béninois attendent tout ça et bien plus, le cas échéant ils espèrent une certaine prospérité ! C’est cela seul qui compte et, d’une manière pragmatique, la question de l’indépendance est mise sous la cloche des préoccupations immédiates ; une rhétorique de la réduction la ramène à sa seule dimension économique. Une fois cette réduction opérée, le discours en tant que tableau des projets et priorités économiques du Gouvernement ne manque pas d’attrait. Il emporte la conviction et dénote d’une vue de spécialiste de la chose économique, d’un souci volontariste de faire en sorte que le Bénin enfin prenne son envol économique et que tous les actes et domaines en quoi notre développement économique dépend de nous-mêmes soient posés ou exposés avec rigueur, sérieux, volonté et abnégation. Mais il n’est un secret pour personne que même l’enfer est pavé de bonnes intentions, et que depuis 46 ans d’indépendance, fût-ce en démocratie ou en son contraire, ce ne sont pas les beaux discours plus ou moins enthousiastes, plus ou moins déterminés à vaincre la pauvreté et la corruption qui ont fait défaut. Certes du point de vue de la bonne volonté économique qui anime le gouvernement et son Chef, en l’occurrence le locuteur, l’allocution est bien traitée. Mais ramenée à l’aune du rituel qu’elle est censée honorer, elle pâtit d’une sous-traitance à tous les sens du mot. Sous-traitance au sens logique en ce sens que le discours est en dessous de sa norme compte tenu de la valeur du rituel qu’il incarne ; sous-traitance au sens économique en ce sens que toute sa dimension politique passe au travers du traitement économique, comme happé par la gueule d’un monstrueux animal économique. La lorgnette de la culture économique à travers laquelle la politique est abordée aujourd’hui et qui se brandit avec une certaine bonne conscience, est assez préoccupante. Ainsi, d’exception en exception, la logique économique, suivant une discrète stratégie, envahit le domaine social et politique et impose le règne de sa vision du monde et de ses méthodes. L’Economie est reine et le Roi économiste. Tout ce qui est politique est assumée dans l’évidence paternaliste de la confiance du Peuple, sanctionnée par le regard manichéen qui sépare les hommes politiques de bonne volonté et leur contraire ; ceux qui ont donné jusqu’ici dans l’exploitation de l’homme par l’homme, et ceux qui s’apprêtent enfin à faire le contraire !
B. A Y a-t-il vraiment de quoi fouetter un chat pour une question de sous-traitance ? Parfois en économie ou dans les affaires la sous-traitance a du bon, cela s’avère même rentable… Ne croyez-vous pas ?
Aliou Kodjovi : En vérité ce qui est plus inquiétant, c’est que la méthode de sous-traitance ne s’arrête pas seulement à ce discours en particulier, encore moins au discours en général ; il touche aussi aux actes et aux décisions politiques de tous les jours. On peut illustrer cette triste réalité à deux niveaux : au niveau de l’impunité ; et à celui de l’esprit des lois. Mû par son tropisme économique, le nouveau gouvernement donne l’impression de ne considérer l’impunité ou la responsabilité que sous le seul angle économique. Il commandite des audits, ou fait mettre en prison les figures populaires de la corruption. Bien : que veut le Peuple ? Dans la mesure où seule cette responsabilité est questionnée, cela contribue un peu plus à monétiser le débat dans le sens de la corruption des mentalités par le culte de l’argent. Comme si on entérinait ce culte très enraciné dans les mentalités. L’autre aspect est l’esprit des lois. La nomination, au rebours de la procédure parlementaire de désignation, du Médiateur à la Présidence, montre que les actes politiques bousculent l’esprit des lois ; et cette bousculade est aussi économiquement déterminée. Pourquoi ? Parce que derrière la nomination du Médiateur se cache une volonté de sous-traitance non pas tant, nous l’espérons, de la responsabilité politique du Président mais de tout ce qui est politique dans les investissements et actions du Président. D’un Président qui une fois ses obligations, prérogatives et tâches typiquement politiques déléguées à la sauvette dans une relative inconstitutionnalité ( la constitution ne prévoit pas de poste de vice Président chargé des affaires politiques) peut alors consacrer son temps utile à l’activité noble par excellence : le développement économique du pays !
B. A Mais en l’occurrence le Médiateur nommé est un grand homme de science politique, stratège et fin connaisseur des rouages de la vie politique du Bénin, un homme qui possède une solide et prestigieuse expérience internationale qui peut servir au pays, ne serait-ce que par sa capacité le cas échéant à actionner les leviers de la nécessaire ouverture de notre espace politique à cette rationnelle lueur du monde que vous préconisiez !
Aliou Kodjovi Ah, ma parole, vous ferez un bon avocat du diable ! ( Rire) Plus sérieusement, d’un point de vue personnel, la nomination du Médiateur trahit bien le peu de cas qui est fait de l’impunité et de la responsabilité politiques par le nouveau régime, tout obnubilé par son obsession de l’économique. En effet, avec tout le respect qu’on doit au Général Mathieu Kérékou dont on ne peut dire que l’action soit tout à fait étrangère à la stabilité politique du pays, on ne peut non plus en toute honnêteté passer sous silence le fait que les dix années de son règne démocratique aient constitué une période de coupable régression par rapport à l’impulsion donnée au pays par l’œuvre du Président Nicéphore Soglo. Or, l’un des tout premiers hommes politiques qui revendiquent sans nuance ni modestie le retour en grâce du Général Kérékou, même si on doit faire la part de la vanité d’une rodomontade sur un fait dont les effets se sont avérés sans conteste catastrophiques pour la Nation, ce même homme disons-nous est celui-là qui se trouve nommé aujourd’hui Médiateur à la Présidence ! Comme si les choix et les responsabilités que ce subtil personnage revendique échappent à toute évaluation et doivent être passés en pertes et profit du changement. Comme si là ne s’imposait pas un devoir d’inventaire, de mémoire et de responsabilité. Pourquoi ? Eh bien sans doute parce que, ce grand homme de science politique comme vous dites, nanti d’une grandiose expérience internationale et bien versé dans les rouages de la politique nationale, aussi engagée que soit sa responsabilité dans les dix années de régression économique et de corruption qu’a connue le Bénin sous l’ère de celui qu’il se targue d’avoir ramené au pouvoir, cet homme politique ne se voit reprocher aucun crime économique !
B. A Encore l’économie ! Où en est la linguistique ?
Aliou Kodjovi Oui, je vous l’ai dit, la politique nous confronte toujours au fait de langage. Le peuple en tant qu’allocutaire explicite est disons-nous marginalisé d’un discours qui lui-même est victime de la culture ambiante de sous-traitance. Mais on ne peut pas reprocher au discours son parti-pris populiste. Il y a bien sûr l’inné du mythe fondateur du Changement basé sur la bonne volonté supposée et la capacité technique des nouveaux acteurs à soulager la misère du Peuple en attendant de le conduire sur le Chemin Merveilleux de la Prospérité, mais il y a aussi l’acquis de la connaissance empirique des besoins quotidiens du Peuple et de ses attentes concrètes. Ainsi l’homme fort du Changement, à l’occasion du discours de la 46ème année d’indépendance de notre pays se fait-il fort d’annoncer au Peuple, non sans cette jubilation subtile et dérisoire de ceux qui savent toucher juste au cœur des préoccupations du Peuple, ( comme le choix du symbole du cauris qui touche au culte de l’argent roi qui imprègne la mentalité du Béninois, celle des hommes politiques voleurs comme celle du Peuple volé) les 50 F que coûtera bientôt le prix d’une communication SMS !
B. A Mais dans le monde d’aujourd’hui, la communication règne !
Aliou Kodjovi Certes. Révolus hélas les moments jadis où les annonces du genre concernaient la baisse du prix du pain. Maintenant, la chose la plus vitale pour nos compatriotes c’est la communication par messagerie digitale et le Gouvernement qui est à l’écoute du moindre besoin du Peuple l’a bien compris. Mais ce populisme-là ne mange pas du pain !
Au passage, signalons que le concept de communication n’est pris ici que dans sa seule acception économique au détriment là aussi, d’une mise en perspective dans le cadre élargi d’une certaine idée de la Culture, de l’Education de l’Information et de la communication…
B. A Professeur Aliou Kodjovi, merci pour vos analyses très éclairantes sur le premier discours de commémoration de l’Indépendance du Président Yayi Boni. Souhaitons qu’il y en ait d’autres et d’autres encore !
Aliou Kodjovi Dans l’intérêt de notre beau pays, il faut le souhaiter !
© Copyright, Blaise Aplogan, 2006
Rédigé à 06:39 dans Interview | Lien permanent | Commentaires (0)
Jours se sont écoulés depuis le holdup odieux perpétré par la bande des pilleurs diri gée par Yayi, valet-zombie de la Françafrique en terre du Bénin |
France Tv-Radio
► Europe 1
► Radio France
► France Info
► RFI
► Arte
► BFM-TV
► BFM-Radio
► CNN
► Euronews
► France 2
► France 3
► France 24
► RFO
► Plein d'autres...
► Zapping du PAF
Blog de Aplogan Blaise Intransigeant Libre Original Woofer National |
Pourquoi ceci ? Pourquoi cela ? Tout ce que vous avez envie de savoir sur et autour du Bénin ... Osez le demander à ÉTÈWUTU.com
Les commentaires récents