Leçons de choses politiques au Bénin
Difficile équation
Ce dernier doit résoudre l’équation suivante : corriger les perversions internes d’une démocratie béninoise particulièrement corrompue. Comment assurer la pérennité de la dynamique démocratique en l’expurgeant de la corruption qui, si elle se poursuit, finira par compromettre l’avenir même de la démocratie ? C’est le dilemme et non des moindres auquel le nouveau président est confronté. Or son thème de campagne fut sans ambiguïté : « ça peut changer, ça doit changer, ça va changer ». Nous insistions, il y a quelques mois déjà, dans ces mêmes pages sur l’idée que, le successeur du Général Mathieu Kérékou, pour espérer maintenir la démocratie sur les rails au Bénin, doit être impopulaire. Le nouveau président par son plébiscite, a bien compris ce que le petit peuple, fatigué de la surenchère politique, attend de lui sur la base de ses promesses. N’en déplaise à ceux qui croient encore que le nombre de milliards investis dans les campagnes influence les comportements de vote des électeurs. Les récentes élections au Bénin semblent laisser penser qu’un peuple rassasié par l’immoralité de sa classe politique, l’impunité et la morosité économique, peut faire rapidement évoluer la culture de vote des pauvres à laquelle les milieux politiques peu novateurs sont habitués et souhaiter de lui-même l’alternance politique. Thomas Yayi Boni semble avoir capitalisé ce signe de maturité politique d’une population qui n’a pas été suivie par une classe politique béninoise ringarde qui elle, n’a pas décroché des vieilles stratégies électorales aux fondements marchands, tribalistes et régionalistes. Maintenant, à Yayi Boni, de prouver que « ça peut changer » effectivement. Le plus difficile est que les gens ordinaires attendent beaucoup de ce nouveau pouvoir alors que Yayi Boni doit ordonner ce changement promis dans un pays où l’immense majorité doute encore des chances de réussite de ce projet, compte tenu des rigidités sociales et des habitudes prises dans les administrations publiques, pourtant clé de voûte du changement souhaité. On attend tout de Yayi Boni en oubliant soi-même qu’on est potentiellement acteur et bénéficiaire du changement souhaité.
Des signaux
Pour un début, Yayi Boni semble avoir offert quatre signaux politiquement significatifs. Le premier. La constitution d’un gouvernement, non sur le principe de la récompense des zélés courtisans et suiveurs mais plutôt sur la base de la compétence et de la moralité des personnes.
Le deuxième. L’initiation de ses ministres à une méthodologie de gouvernance à travers un séminaire gouvernemental organisé juste après sa prise de fonction et la récente rationalisation de l’organigramme des ministères. Action peut être sans intérêt pour les gens ordinaires mais nécessaire pour la lisibilité et la traçabilité de l’action gouvernementale. Le troisième est un signal plus discret. Le choix d’un ministre des finances et du développement dont la compétence technique et surtout la rigueur sont nécessaires pour corriger les velléités du tout politique qui pourraient faire perdre de vue les buts à atteindre. Pourvu que dans le tandem technique-politique, le dernier ne l’emporte pas sur le premier. Le quatrième. La croisade contre l’impunité. El Hadj Séfou Fagbohoun, le patron du CPI (Continentale des Pétroles et Investissements), un intouchable sous le régime précédent, et deux de ses
collaborateurs sont sous les verrous et confiés à la justice pour une rocambolesque affaire concernant la société nationale d’hydrocarbure, SONACOP-SA. Un ancien directeur de l’administration de la police nationale a été également été mis sous mandat de dépôt pour cause de détournement. Les passeports de certains ministres du gouvernement précédent ont été confisqués. Des audits sont en cours et devront livrer sous peu leurs secrets. Seront-ils suivis de poursuites judiciaires si les résultats des audits l’imposent ? Wait and see.
Curieux Bénin !
Le cap du changement y est diversement perçu et vécu. Des députés issus des partis qui ont soutenu Yayi Boni pendant les dernières élections et qui, théoriquement avaient adhéré à l’idée de changement, certainement sans y croire, se trouvent être ceux-là même qui réclament la libération de l’ « homme d’affaire » écroué. Mieux, ils exigent de Yayi Boni cette libération au motif que leurs partis l’ont soutenu lors de la dernière campagne et appartiennent à la nébuleuse de la « mouvance présidentielle ».
Yayi Boni est à la croisée des chemins. Il choisit de poursuivre la lutte contre l’impunité et la moralisation de la vie publique et l’inscrit dans la perspective de la relance économique. De ce fait, il sera impopulaire auprès des rentiers de la galaxie Kérékou mais ramènera la confiance dans les institutions et le corps social. Ou il cède aux pressions de la pègre politique et de leurs alliés étrangers et compromet dangereusement, de ce fait, l’avenir de la démocratie béninoise. L’expérience politique de Yayi enrichira certainement les annales des sciences politiques africaines.
Par : Francis AKINDES
Professeur titulaire de sociologie
Université d’Abidjan et de Bouaké
© Copyright, Blaise APLOGAN, 2006
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