Le Prince Régent face à son destin
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4.1
De Dorominfla, nous avancé longtemps en direction de la Jungle. J’étais à califourchon sur le dos de Tamani. Les deux gardes étaient à dos d’âne et Bonzo Yamaoré notre prisonnier marchait devant nous bien retenu dans ses chaînes. De temps en temps, les gardes le poussaient et lui donnaient des coups de fouets quand il n’avançait pas au pas. Nous avons avancé ainsi pendant deux heures, et nous sommes passés non loin de la route en construction. Nous avons aperçu au loin les ouvriers qui travaillaient dans la nuit sous la lumière des phares, et des voitures allaient et venaient dans tous les sens. Au loin, j’ai entendu une voix qui hurlait dans la nuit, et elle ressemblait à la voix de Angels, et j’ai pensé à Dônan mais les ouvriers étaient tous dans l’obscurité et je ne pouvais reconnaître personne. Puis le sentier a obliqué vers la jungle et nous avons perdu de vue les ouvriers. Après une heure de marche environ, nous sommes arrivés à l’entrée de la Jungle. C’est un endroit étrange dominé par une colline et dans la colline est creusé un tunnel. A l’entrée du tunnel, les hommes ont aménagé une voûte à l’abri des animaux. C’est là que nous nous sommes arrêtés pour passer la nuit parce que, à cause de la nuit, nous ne pouvions pas avancer sans tomber dans les pièges ou les trous. Les gardes ont enchaîné Bonzo Yamaoré à un pieux sous un gros rocher et nous avons allumé un feu de nuit. Le capitaine Sako, le chef des gardes, connaît bien la Jungle et les animaux. Il a passé une partie de sa vie à lutter contre les braconniers dans l’armée du roi Baboni, puis à la tête d’un régiment de l’ARZIN, aux côtés de Yaradoua. Il m’a longuement parlé de la Jungle, et de ses habitants, et j’ai voyagé dans ma tête, les yeux fermés. La colline dans laquelle était creusé le tunnel s’appelait le Fouta-Kora ; plus loin, à l’est, se situait la Caverne de Daanabé, le vénérable chef du clan des Pythons. Encore plus à l’est, s’étend la Grande Mare. C’est là que rôdent souvent Sékounon, la hyène boiteuse et ses enfants. Non loin de la mare, vers l’ouest, se situe à perte de vue la vaste clairière et en son au milieu se dresse le Grand-Baobab entouré d’une vaste esplanade que les animaux appellent dans leur langue Kinifo, ce qui veut dire " Place publique." C’est là que se rassemble le peuple de la Jungle lors des grands événements. Au nord-est de la prairie, tout à l’extrémité de la Jungle, se trouve le Temple du Zégué noir à l’abandon depuis la mort du roi Baboni, quand Bonzo Yamaoré a choisi la défense d’éléphant pour emblème du royaume. Le Temple tout en marbre et en granit poli est à quelques lieues de la frontière de Korominfla. Du temps de Baboni, c’était là que se réunissaient tous les ans les prêtres et les rois de tous les Villages-Frères qui avaient le Zégué noir pour emblème et les rois de Korominfla étaient de fervents adorateurs du Zégué. Au sud du Temple, se dresse l’imposant château de Kaniwi, la Reine des Termites. Plus au sud, c’est le domaine des Arbres Géants qui abritent Zinhô, la Tribu des Singes, et Agamèhè, la Tribu des Oiseaux de Proie. Enfin, à l’ouest du Fouta Kora, s’étend une grande forêt d’arbustes, de hautes herbes et de lianes tueuses. C’est le havre d’Azéhè, le Hibou, qui partage ce domaine avec Dambada, de la Tribu des Serpents à venin.
Cette nuit-là, le capitaine m’a parlé longuement de la Jungle. Il a aussi parlé des animaux et des Esprits. Il a évoqué la mémoire d’une femme blanche que les braconniers ont surnommée « Bourounata », c’est à dire « la femme qui vit seule». Bourounata a vécu seule dans la jungle pendant douze ans et avec ses gardes elle luttait jour et nuit contre les braconniers, elle détruisait leurs pièges, incendiait leurs abris, et saisissait leurs armes. Les braconniers avaient peur de Bourounata, parce qu’elle était armée ; elle avait des armes qui pouvaient tuer plusieurs personnes à la fois. Mais, un jour, Bourounata a été retrouvée morte, décapitée ; il n’y avait pas la moindre goutte de sang sur son corps cependant, sa tête avait disparu. Depuis lors, les braconniers ont encore plus peur d’elle car ils disent que sa tête sans corps, portée par son esprit rode partout dans la Jungle.
Tard dans la nuit, Sako et ses hommes dormaient. Moi aussi j’ai dormi un peu puis je me suis vite réveillé, parce que je n’avais qu’une seule chose en tête : retrouver Montcho. Avant de s’endormir, quand je lui avais demandé ce qu’il fallait faire pour retrouver Montcho, Sako m’a dit que la seule chose à faire c’était de retrouver Lycaon-sans-queue, parce que lui seul pouvait me dire où il se trouvait, s’il était devenu un animal ou s’il était un homme ; et s’il était devenu un homme où il était parti. Je pensais à tout ça quand j’ai entendu au loin un long hurlement qui a traversé la nuit pour venir mourir sur les contreforts de Fouta Kora. Puis il y eut un autre, puis d’autres hurlements se succédèrent à un rythme rapide. J’étais vraiment étonné par ces hurlements dans la nuit, et j’eus envie d’aller voir ce qui se passait. En faisant attention pour ne pas réveiller Sako et ses hommes, je me levai de ma couchette, et je sortis du ventre de la colline sur la pointe des pieds. Devant la bouche du tunnel, j’attendis un peu face à la Jungle immense plongée dans la nuit après que les hurlements se sont tus. Ainsi face à la jungle, une curiosité prit de mon être et je voulus entrer dans la Jungle. Je me transformai en hibou avec mon kanlinbô. Je volai pendant un bon quart d’heure environ vers l’ouest, là où se trouve le havre d’Azéhè le Hibou. Arrivé au cœur du havre, je me posai sur un arbre. Par hasard, non loin de l’endroit où je me suis posé, sur un autre arbre, se tenait une réunion de hiboux. Les oiseaux de nuit parlementaient, sous l’autorité de Azéhè leur chef. Ils discutaient d’une affaire secrète mais comme ils étaient entre eux et qu’ils avaient tous prêté le serment du clan-des-oiseaux-nocturnes, ils parlaient à voix haute sans se cacher. Selon ce que j’ai compris en prêtant oreille à leur discussion, une discorde se répandait dans la Jungle qui séparait les animaux en deux camps opposés. Les hiboux se chamaillaient, et le vent emportait vers l’ouest leurs paroles confuses. Mais à un moment donné, le vent s’étant apaisé un instant, j’entendis clairement un hibou qui disait : « Ah, si je n’étais aussi fatigué, j’irais jusqu’à la Caverne de Daanabé, lui seul peut dire ce que fera Zénabu. » J’ai pensé que peut-être cette discorde concernait Lycaon sans queue et j’ai voulu en savoir plus alors j’ai volé vers l’est de Fouta Kora, en direction de la Caverne du vénérable Daanabé. Je suis arrivé chez Daanabé après une demi-heure de vol. Le vénérable python prenait de l’air au clair de lune sur un rocher à l’entrée de la Caverne. Ses neuf mètres de longueur étaient enroulés en anneaux épais qui devenaient plus petits de bas en haut. Sa tête camuse s’élançait de temps en temps vers le ciel comme pour chasser les insectes qui rôdaient autour de lui. Daanabé se préparait à aller à la chasse aux singes dans les arbres. Mais il n’avait aucune idée de l’endroit où se trouvaient la Tribu des Singes et j’ai pensé qu’avec mes yeux de hibou je pouvais l’aider ; mais tout d’abord je l’ai salué avec respect.
« Vénérable Daanabé, je vous salue !
— Salut à toi jeune hibou, fier oiseau de nuit aux yeux perçants.
— Vénérable Daanabé vous qui n’avez que mépris pour les petits serpents à venin, vous qui êtes si sage, puis-je vous poser une question ?
— Ventre affamé n’a point d’oreille ; je me prépare pour la chasse et je ne sais même par où donner de la tête ; les jeunes singes et leur famille sont prévenus que j’ai fait ma mue et ils se méfient de moi, ils ne dorment presque plus et se réfugient sur la cime des grands arbres. Alors, vous comprenez, je n’ai point la tête à autre chose...
— Ô vénérable Daanabé, si vous voulez bien me parler, je pourrais en un tir d’ailes vous renseigner sur ce qui se passe dans la cime des grands arbres.
— Si fait, allez donc faire le tour des cimes, et si vous revenez avec de bonnes nouvelles, je répondrai à toutes vos questions…
— Marché conclu, Daanabé ! ».
Sans perdre un instant, je m’envolai vers la cime des grands arbres. Mais sur la cime des grands arbres, pas le moindre signe de singe alors je me dirigeai du côté de la prairie, aux abords de la Grande Mare. Là, par bonheur, je trouvai un immense attroupement de singes qui dormait dans les arbres. Aussitôt, je rebroussai chemin pour rendre compte à Daanabé.
« Vénérable Daanabé, j’ai trouvé des familles entières de Zinhô.
— Ah, bel oiseau aux yeux perçants, quelle bonne nouvelle ! Dites-donc, de quel côté dorment-ils ?
— Du côté de la Grande Mare, ils dorment d’un sommeil profond.
— Bien, et que puis-je faire pour vous en échange ?
— Vénérable Daanabé, vous qui êtes si sage, vous n’êtes pas sans savoir que la Jungle bruit d’une discorde. Les oiseaux de mon clan ainsi que ma tante Azéhè, nous ne savons pas quoi faire.
— Je vois, vous voulez parler de la discorde du petit d’Homme. Ah, quel malheur ! Avec son histoire de vengeance, ce petit aura fini de mettre la jungle sens dessus dessous, c’est regrettable »
Bien qu’il fût impatient d’aller à la chasse, Daanabé prit le temps de me raconter l’origine de la discorde provoquée par Lycaon-sans-queue. » A cinq ans, Aruna a perdu son père et sa mère. Son père a été décapité sur ordre de Bonzo Yamaoré parce qu’il combattait les braconniers et sa mère a été tuée parce qu’elle avait continué de cultiver le mil et le sorgho quand le royaume de Dorominfla s’était mis à vivre de la chasse aux animaux de la Jungle. Un jour, Bonzo Yamaoré en promenade dans la Jungle avec ses hommes, a emmené avec lui le petit Aruna. Arrivé près de la Grande Mare, il a jeté l’enfant aux fauves en disant : " Me voilà débarrassé de la race de mes ennemis, du premier au dernier "
»Bakari le léopard, qui était non loin de là a été le premier à bondir pour le saisir dans ses griffes. Mais Aruna, très agile s’est échappé et a pris ses jambes à son cou. Bakari l’a poursuivi sans relâche. Par chance, les lycaons passaient par-là et Kossoko a dit à sa bande : " Regardez Bakari qui s’acharne sur un petit d’Homme, un jeune enfant qui n’a peut-être ni père ni mère. L’Homme n’est pas un agneau mais est-ce une raison pour tuer son petit ? Nous ne devons pas laisser faire. " Les lycaons ont barré la route à Bakari et Zénabu, leur mère, a conduit Aruna dans sa tanière pendant que les autres lycaons détournaient l’attention de Bakari.
»Aruna a été sauvé par les lycaons, il n’y a pas de doute à ce sujet, tous les historiens de la jungle vous le diront ; il a grandi en leur compagnie, il est devenu un membre de leur clan ; avec eux, il a appris la langue des animaux et les différents dialectes des tribus de la Jungle, il a aussi appris la Loi de la Jungle sous la conduite éclairée de Maître Ajinaku, l’éléphant qui connaît toute l’histoire de la Jungle, depuis plusieurs générations. Mais Aruna a gardé la rancune dans son cœur. Il en veut à Bakari qui ne cesse de réclamer son dû à Kossoko, le père lycaon et à toute sa famille ; il en veut encore plus au roi des braconniers qui l’a jeté au léopard et qui a tué son père, sa mère et fait fuir sa sœur. Depuis des mois, il ne cesse de parler de vengeance mais nul n’ignore qu’il est trop jeune pour se battre contre le roi des braconniers et toute son armée qui sillonne la Jungle en semant partout des pièges mortels. Bien souvent, il retourne au village de sa naissance pour menacer le roi. Grâce à ses allées et venues, les habitants de la jungle comprennent ce que trament les hommes contre nous. C’est lui qui a appris à tous que les Villages-Frères avaient décidé de ne plus utiliser les armes à feu contre nous, et que les hommes ont parlé de "la volonté de la Nature". Tous les animaux de la Jungle étaient très heureux de cette décision. Mais les braconniers sont aussi rusés que méchants. Ils ont voulu contourner toutes les lois : la loi de l’Homme et la Loi de la Jungle. Ainsi un fléau s’est abattu sur nous. Oh, il ne s’agit pas d’une maladie, nous autres de la Jungle, nous avons toujours su résister aux maladies, mais il était difficile de résister à ce fléau car ce fléau est un homme qui a le don de devenir un animal et ainsi, il peut tromper les autres animaux et les conduire dans les pièges les plus mortels. Le roi des braconniers pouvait se réjouir de tuer des centaines d’entre nous. Il s’attaquaient surtout aux éléphants et aux rhinocéros. L’homme-leurre lui servait d’appât et ainsi, il faisait des ravages dans toute la jungle.
»Mais, depuis quelques jours, Aruna nous a encore appris la bonne nouvelle, l’homme-leurre et le roi des braconniers ne sont plus en bons termes. L’homme-leurre a promis de ne plus être du côté des braconniers. Aruna et lui sont arrivés dans la Jungle un soir, et ils ont annoncé la bonne nouvelle. Toute la Jungle a fêté ça. Le clan de Maître Ajinaku et les autres fauves, les rhinocéros, les hippopotames et autres animaux victimes des braconniers se sont réjouis et ont fait la fête jusqu’à l’aube. Tout cela devrait suffire, voilà que le petit d’Homme veut toujours sa vengeance. Il a levé toute une armée de fauves : des éléphants, des rhinocéros, des hippopotames, tout ce que la Jungle compte de bêtes puissantes pour aller attaquer le Palais du roi des braconniers. La dernière fois, Aruna s’est rendu dans le Palais, et il a failli être jeté aux lions si ce n’était grâce à la bravoure d’un homme courageux qui l’a sauvé au péril de sa vie. Mais il ne renonce pas et il veut toujours se venger de la mort de son père et de sa mère, et parce que le roi a fait fuir sa sœur du village. Voilà pourquoi cette affaire divise la Jungle en deux : ceux qui veulent qu’Aruna attaquent le Palais du roi, et ceux qui pensent que cela serait dangereux et servirait de prétexte aux braconniers pour jeter au feu le Décret des Villages-Frères qui nous protège depuis que l’homme-leurre a refusé d’être avec les braconniers. Toute la Jungle est sens dessus dessous à cause de cette histoire, même Kossoko et sa famille ne savent pas quoi faire. Et moi-même Daanabé, j’ai beau être nommé le Sage de la Jungle, ne me demandez pas quel camp j’ai choisi. Pour l’instant, tout ce que je songe à faire c’est de courir aux abords de la Grande Mare pour mon premier repas après ma mue, car, vous qui êtes de la famille des oiseaux de proie, vous n’êtes pas sans savoir que ventre affamé n’a point d’avis. »
Ainsi parla Daanabé. Mais, avant de prendre congé de moi, il m’indiqua l’endroit où se trouvait la tanière des lycaons. Et, après lui avoir souhaité bonne chasse, je pris l’envol.
La tanière des lycaons se trouvait en aval de la rivière Gambari un peu après la Grande Prairie boisée et l’imposant château de Kaniwi, la Reine des Termites. En une demi-heure de vol, j’y étais. Arrivé devant la tanière, je poussai un doux ululement, qui est le cri des hiboux. Zénabu apparut quelques instants après devant la tanière. Kossoko n’était pas présent, ainsi que trois de ses fils : ils s’étaient rendus au Parlement de la Clairière où se tenait le conseil des Lycaons qui devait choisir le camp des Lycaons dans la guerre qui s’annonçait. Dès que Zénabu m’aperçut, elle fonça sur moi tête baissée.
« Vilain oiseau, dit-elle en furie, il n’y a rien a manger par ici, dégage.
— Zénabu, vous savez bien que les hiboux ne se nourrissent pas de lycaons, je suis venu vous parler d’Aruna.
— Que voulez-vous me dire que je ne sache déjà ? Ah, Aruna, n’est pas mon fils, je le sais, même si je lui ai sauvé la vie, même s’il a grandi sous mon toit avec mes propres enfants, sinon, il m’aurait écouté quand je lui ai dit que la vengeance n’est pas digne de notre genre. Il a bien appris la Loi sous la conduite éclairée d’Ajinaku, alors pourquoi veut-il assouvir cette vengeance ? C’est de ça que vous voulez me parler ?
— Non, Zénabu, je suis venu vous apporter une bonne nouvelle.
— Laquelle, Azéhèvi, dites toujours.
— Eh bien, la guerre contre le Palais du Roi n’aura pas lieu.
— Votre Reine, Azéhè est-elle parvenue à faire entendre raison à Aruna ? Est-elle parvenue à faire ce que je n’ai pu faire, moi ?
— Non, ce n’est pas tout à fait ça, Zénabu, mais la guerre n’aura pas lieu faute de combattants. Le roi des braconniers a perdu son trône. Il a été fait prisonnier et est déporté ici même dans la Jungle. Aruna peut se venger comme il voudra et quand il le voudra mais il n’aura pas besoin d’attaquer le Palais avec son armée. Car le nouveau roi qui occupe le Palais est un ami des animaux. »
Zénabu et ses deux filles sautèrent de joie. Puis elles hurlèrent la nouvelle en direction du Clan qui siégeait au Parlement de la Clairière. Mais leurs hurlements ne pouvaient porter aussi loin, le Parlement était situé en amont de la rivière Gambari. Alors nous décidâmes de nous y rendre sans attendre. Moi je volais pendant que les lycaons couraient à travers la Jungle en direction du Château de Kiniwi. A notre arrivée dans la Clairière, tout le Clan des lycaons était en réunion. C’étaient des mâles pour la plupart, et quelques femelles d’âge avancé. Ils formaient un cercle au centre duquel trônait Biaou, le messager du Parlement. A tous les Lycaons absents, il se préparait à hurler la décision du Clan quand nous fîmes notre apparition. Zénabu bondit dans le cercle du parlement.
« Silence ! cria-t-elle. Frères et sœurs, honorables membres de notre Clan, voici une nouvelle qui nous intéresse et je demande la parole !
— Quoi donc !
— Une bonne nouvelle, écoutez-moi !
— Alors parle, je t’en prie !»
C’était Kossoko qui ordonnait à sa femme de parler parce qu’en tant que chef de la commission militaire du Parlement, c’était lui qui présidait la séance de cette nuit-là. Sur son ordre Zénabu parla. Avec beaucoup d’émotion, elle leur annonça la bonne nouvelle et pour s’en assurer, les lycaons m’invitèrent au centre de leur Parlement. Je confirmai l’information que Zénabu venait de leur révéler. Et je leur répétai de vive voix que le roi des braconniers était déchu et que le nouveau roi était un ami des bêtes. Les lycaons m’ont alors demandé de qui je tenais toutes ces informations et je leur ai dit toute la vérité sur moi. Je leur ai dit que j’étais un ami d’Aruna, que je lui avais sauvé la vie la veille lorsque le roi des braconniers avait voulu le jeter aux lions du Palais. Kossoko qui connaissait l’histoire est alors intervenu avec force.
« Mensonge que cela ! cria-t-il. Oiseau de malheur, celui qui a sauvé la vie d’Aruna n’est pas un hibou mais un homme, le petit me l’a bien dit.
— Oui, vous avez raison ; en vérité, je ne suis pas un hibou, je suis un homme, le Demi-Frère-des-Dieux-et-des-Esprits-Qui-a-Beaucoup-de-Pouvoir-en-ce-Bas-Monde.
— A notre connaissance, il n’y a qu’un seul homme qui peut devenir animal à volonté, c’est l’homme-leurre, mais depuis quelques jours, nous ne savons plus où il se cache.
— Le pouvoir de l’homme-leurre n’est rien à côté du mien !
— Si c’est vrai, prouvez-le donc !
— Alors, tenez. »
Ayant dit ça, je disparus derrière un rocher et aussi vite je refis mon apparition sous la forme d’un homme. Tout le parlement des lycaons resta figé de stupeur. Un étrange silence plana. Au bout d’une minute, Zénabu le rompit en poussant un long hurlement de joie. Ses deux filles l’imitèrent puis peu à peu tout le parlement se transforma en un vibrant concert de hurlements. La joie prit le pas sur la peur. Le Clan, heureux de se réconcilier avec les autres animaux de la Jungle qui les accusaient d’être à l’origine de la discorde, était enfin réconcilié avec lui-même. Biaou hurla la nouvelle dans toutes les langues et les oiseaux de nuit la reprirent dans leur long voyage aérien à travers la jungle.
© Copyright, Blaise APLOGAN, 2006
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