Petite histoire d'un Changement
III
Ce genre de situation doit changer. Le changement de la qualité de l’air à Cotonou est une mesure politique concrète du Changement. Que faut-il entendre par là ? Eh bien voici : à mon sens, l’impératif du pacte social énoncé plus haut a été trahi par les élites, les pouvoirs publics et les régimes politiques successifs. Passe encore qu’une classe minoritaire se soit enrichie sur le dos du peuple. Le plus grave est que toute une génération ait été sacrifiée. C’est dans un réflexe de survie que cette masse de jeunes et de moins jeunes unie dans la misère, son masque commun, remisant ses rêves les plus légitimes, s’est recyclée de force dans le métier de Zémidjan. Une analyse des origines sociales de cette division motorisée de l’armée des laissés-pour-compte montre qu’il s’agit d’un mélange bigarré. Ouvriers au chômage, victimes de l’exode rural, étudiants sans emploi, jeunes pressés, fonctionnaires "compressés". Outre les jeunes migrants, le métier s’est étendu aux diplômés sans emploi, voire aux fonctionnaires d’Etat qui consacrent leur fin de journée à une activité qui leur procure au quotidien un complément de revenu substantiel.
Depuis que j’ai été personnellement touché par les conséquences du changement de la qualité de l’air à Cotonou, j’en ai tiré les conséquences qui s’imposaient. En accord avec mon jeune frère, je l’ai réorienté, finance à l’appui, vers son métier initial de tailleur. Pour l’encourager, je l’ai mis en rapport avec une ligne de vêtement bruxelloise qui s’intéresse à la mode africaine d’origine. Et ses affaires ne marchent pas si mal. Mon frère qui est devenu avec l’âge très sage a reconnu qu’il l’avait échappé belle. Rétrospectivement, il reconnaît lui-même le caractère éprouvant de son ex-métier. Il va sans dire que le métier affecte dangereusement la santé de celui qui l’exerce. Les Zémidjans doivent faire face aux intempéries et au mauvais état des infrastructures routières. Ces conditions de travail difficiles en amènent plus d’un à consommer des stupéfiants.
Par ailleurs ma sensibilité aux problèmes écologiques s’est aiguisée. Il y a quelques mois, suite à un article que j’ai publié dans un magazine canadien, j’ai été l’hôte d’une association pulmonaire du Canada qui m’a invité à un colloque à Fredericton. A ce colloque, sans m’y attendre le moins du monde, j’ai rencontré mon ami, le docteur Maurice Vignon du Cnhu qui se trouvait lui aussi invité. Le Béninois est partout, me direz-vous, mais qu’un spécialiste éminent de mon pays se trouve présent à une réunion traitant de ce sujet m’a vraiment mis le cœur en joie. Le colloque a fait le point sur la prise de conscience de la qualité de l’air dans les politiques urbaines de par le monde. A cet effet, entre autres activités, nous avons eu l’occasion de visionner un film présentant le projet de création en 2010 de la première "ville écologique" du monde. Née de rien, au milieu des marais, la cité se situe à l'extrémité orientale de Chongming, la troisième plus grande île chinoise, à l'embouchure du fleuve Yangzi. Aucun des immeubles ne dépasse huit étages. Les toits sont recouverts de gazon et de plantes vertes pour isoler les bâtiments et recycler l'eau. La ville réserve à chaque piéton six fois plus d'espace que Copenhague, l'une des capitales les plus aérées d'Europe ! Des bus propres, à piles à combustible, relient les quartiers. Un système d'Intranet planifie la durée du trajet et met en contact les habitants désireux de partager une voiture. Les motos traditionnelles sont interdites : on circule en scooter électrique ou à bicyclette. Les routes ont été dessinées de telle sorte qu'il est plus rapide de rejoindre son travail à pied ou à vélo qu'en voiture. L'objectif fixé : une empreinte écologique de deux hectares par personne, trois fois plus qu'aujourd'hui à Shanghai, Londres ou Paris. L’empreinte écologique, il faut le préciser, est une unité de calcul représentant la superficie de terre nécessaire pour assurer la survie d'un individu. Entouré de kilomètres de marais, paradis des oiseaux qui migrent entre l'Australie et la Sibérie, le site de Dongtan veut préserver la qualité de l'air. Les voitures ne devront émettre aucune particule de carbone et des stations-service à hydrogène seront mises en place. Cela suppose d’imaginer des véhicules petits, légers, peu gourmands en énergie, aptes à rouler très près l'un derrière l'autre pour occuper un espace routier minimal. Dongtan se veut également autosuffisante en énergie. Celle-ci devrait provenir totalement de sources renouvelables : solaire, éolienne, biomasse…
« Ah, que tout cela est bien beau ! fis-je remarquer au docteur Vignon à la fin du film, mais la Chine n’est pas le Bénin.
– Vous avez raison, mais les Chinois n’ont pas deux têtes, ce qu’ils ont envisagé peut nous inspirer aussi.
– Sans aller jusque là, docteur, que faire ici et maintenant pour améliorer la qualité de l’air à Cotonou ?
− Question explosive ! dit le docteur sur le ton de la boutade. »
Et pourtant il était sérieux. A l’en croire, la question réunit toutes les données du drame national des trente dernières années. Très versé dans le dossier, il parlait en politique. « Je pense que toute mesure non fondée sur la volonté de régler réellement le problème de la pollution serait vouée à un échec, assène-t-il. »
En clair, après avoir décidé de régler réellement le problème de la pollution, il faut faire partager cette volonté aux populations. J’étais du même avis, mais je n’avais aucune idée des mesures concrètes à prendre, n’ayant jamais abordé la question sous l’angle scientifique ou technique. Voici alors comment mon ami, le docteur Maurice Vignon, satisfit ma curiosité de néophyte.
« Ecoute mon cher, dit-il, dans l’immédiat, il faut prendre des mesures pour gérer le problème au quotidien. Ce sont des mesures d’ordre essentiellement techniques bien connues de ceux qui sont en charge du dossier :
- le remplacement de vélomoteurs 2T par des vélomoteurs 4T, moins polluants, l'amélioration de la qualité de l'huile pour le 2T et de la qualité des mélanges essence/huile.
- la mise en place d'un contrôle technique pour les engins à 2 roues
- une amélioration du secteur des carburants
- la mise en place d'un réseau de garagistes formés. »
Tout cela était technique pour moi, je dois l’avouer. Je fis comprendre au docteur qu’il faut aussi penser à la reconversion des Zémidjans. Cela me tenait beaucoup à cœur. «Vous avez raison, approuva-t-il, c’est un impératif sociétal, il faut les orienter dans d'autres secteurs porteurs et trouver une solution à la question du transport collectif dans les villes. Une politique de déplacements durables doit être menée... »
Le docteur parlait en connaisseur, très précis et méthodique. C’est des gens comme lui qu’il faut pour diriger notre pays, si nous voulons que ça change. Il n’y a pas de doute, cette discussion au Canada avec un spécialiste béninois de la qualité de l’air m’a apporté si j’ose dire un grand bol d’air. J’espère que c’est l’air de l’espoir, même si je reconnais que la question de la qualité de l’air, dépasse de loin la fixation qu’on fait sur les Zémidjans.
En effet, on ne saurait sous-estimer les autres sources de nuisance à la qualité de l’air de Cotonou. Au-delà des Zémidjans, la qualité de l’air à Cotonou doit être appréciée dans le cadre plus général d’une politique de développement durable qui prenne en compte la diversité des sources de pollution. Malheureusement, ces sources sont légion. L’insalubrité urbaine en est un exemple concret. La gestion des déchets et ordures ménagères est un véritable problème de santé urbaine. A Cotonou, l’insalubrité est palpable. Rues, voies, et places publiques sont sales, jonchées d’emballages, de détritus, peaux de fruits divers et d’objets encombrants malgré ce qu’on peut imaginer comme effort déployé par la municipalité pour offrir aux populations un environnement un tant soit peu sain. Ces manquements aux règles de salubrité sont le fait de tous : passagers qui se débarrassent sans crier gare du moindre objet encombrant, vendeurs qui circulent sans prévoir une poubelle portative, acheteurs qui se soucient très peu d’être bons éco-citoyens ; Zémidjans, chauffeurs, etc. Et puis il y a la responsabilité directe des pouvoirs publics. Comment se fait-il qu’une ville comme Cotonou ne possède pas un système adéquat de déchetteries et de poubelles ? La question mérite réponse. Lorsqu’on la pose aux services techniques de la marie à Ganhi les agents laissent entendre que les rues sont nettoyées au moins trois fois dans le mois et que des déchetteries sont implantées presque dans tous les coins de la ville. Reste que leur visibilité, gage d’efficacité, laisse à désirer. Il existe également une équipe chargée du ramassage des ordures ménagères, me dit-on ; mais si de telles équipes ne rayonnent pas sur la ville et se cantonnent à quelques quartiers arbitrairement sélectionnés alors le problème de la pollution par les déchets reste entier.
Certes face au problème de la pollution, on ne peut pas dire que la ville reste inerte. Très récemment de passage à Cotonou, en circulant dans le quartier de Cadjehoun quelle n’a été ma joie de voir un samedi matin dans les rues des dizaines de jeunes qui ramassaient des ordures de manière très organisée et conviviale. Ils étaient vêtus de Tee-Shirts de couleur bleue et blanche avec les logos de la ville de Cotonou et de " Jeunesse Canada Monde ". Bel exemple de solidarité écologique. Cela m’a rappelé les mêmes scènes que j’ai vécues au Japon lors d’un séjour littéraire en mémoire du Maître Soseki. Isolé dans un kiosque d’un jardin à la japonaise pour décrire mes impressions sur la nature du pays du Soleil levant, je voyais chaque jour sur les cours de midi, un groupe discipliné d’hommes en tenue trois-pièces et cravate qui venaient nettoyer de leurs mains la parc public de la ville de Hakodate. Curieux de savoir qui étaient ces nettoyeurs insolites, j’appris que c’étaient les P.D.G. de sociétés qui se trouvaient dans la zone franche bordant le parc public d’en face. Je voyais là une illustration de la force du lien social sous-tendue par les valeurs de discipline, d’unité et du bien commun, en vigueur au Japon. Je me disais : « Confucius est toujours vivant ! » J’étais loin de penser que le même sens du bien commun pouvait se donner libre cours au sein de la jeunesse de mon pays. Comme quoi, dans les questions de mentalités, de culture et de valeurs, il ne faut jurer de rien !
Binason Avèkes.
© Copyright, Blaise Aplogan, 2006
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