...Par Cossi Bio Ossè
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A bien des égards, Yayi Boni réalise le portrait balancé du Béninois. A commencer d’abord par ceux de ses prédécesseurs, Présidents de la République avec la synthèse desquels sa personne, située à un moment singulier du cours de l’histoire nationale, entretient une analogie. Analogie souvent cohérente, parfois troublante. Dans le détail, il n’y a guère qu’avec le Président Sourou Migan Apithy, (en 1964 à 51 ans) et dans une moindre mesure Justin Tometin Ahomadégbé ( en 1972 à 55 ans) qu’il emprunte peu ses traits. Et encore ! Si l’on songe que le premier était Expert-comptable de formation, une branche technique de l’économie, et le second médecin dentiste donc assimilé docteur, on voit que des rapprochements ne font pas défaut.
Pour ce qui est des autres Présidents considérables de l’histoire politique mouvementée de notre nation, on peut aisément constater que chacun a payé de sa personne aux traits du nouveau Président ; ou plus exactement, celui-ci a pris bien de ses traits chez ceux-là.
Ainsi Yayi Boni (en 2006 à 54 ans) se fait appeler Docteur comme on le disait jadis du Président Emile Derlin Zinsou ( en 1968 à 50 ans).
Sur le marché des traits, Yayi Boni n’est pas que Docteur, il est aussi Fonctionnaire International, et économiste, comme le Président Soglo ( en 1991 à 57 ans.)
Par rapport à la géographie, Yayi Boni est originaire du Borgou comme le Président Hubert Maga ( en 1960/1970 à 44/54 ans) ; et comme lui, Thomas Yayi est chrétien converti de parents musulmans. Peul et Bariba de par sa mère, on peut aussi le considérer, à l’instar de Mathieu Kérékou, comme un chrétien du Nord.
Si on doit enfiler le trait jusque dans les contrées de la vie matrimoniale, force est de constater que le Président Yayi Boni nourrit une analogie presque parfaite avec son bienveillant prédécesseur, le Président Soglo : leurs épouses sont originaires de Ouidah et de familles alliées dont les noms ne sont pas sans rappeler le flux et reflux des marrées violentes de notre histoire sociale ambiguë.
Conscient de l’effet d’atout que peut avoir sur son destin ses traits qu’il a en héritage, Thomas Boni Yayi, en bon croyant, bénit sans doute le Ciel pour les lui avoir prêtés. De fait, ces traits ne l’ont pas desservi, tout au moins dans la réalisation de ses desseins présidentiels. Pour ce qui est de sa carrière politique naissante, tout dépendra de son attitude. En bon pragmatiste, le Président entend bien tirer parti de la vertu agissante de ces traits ; et le cas échéant, mettre ses pieds dans le traces de ses illustres modèles, quoi de plus douillet, quoi de plus rassurant !
Mais, dans la caverne la plus réconfortante, à tout moment peut surgir le gouffre des illusions. Alors que faire lorsqu’on sait que certains de ces traits sont irréversibles ? Par exemple l’origine géographique, le fait d’être originaire de Tchaorou, localité du Borgou, là-dessus, rien à faire, tomassago, comme on dit, le fleuve ne change pas de cours, comme un promeneur qui rebrousserait chemin.
Et puis, aussi troublants que puissent paraître les éléments d’identité, l’analogie n’est pas toujours aussi parfaite qu’il y paraît à première vue ; elle reste du domaine lâche qu’affectionnent les médias avides de comparaisons rapides. Ceux qui aiment couper le cheveu en quatre, n’hésitent pas à observer ces détails à la loupe et entonnent l’air du bémol. Par exemple, pour ces délicats, le trait de fonctionnaire ou banquier international emprunté au Président Soglo mérite analyse. En l’occurrence, disent-ils, la rigueur voudrait qu’on comparât ce qui est comparable ; la Banque Mondiale peut-elle être mise sur le même pied d’égalité qu'une banque sous-régionale africaine ? Peut-on comparer un joueur de quartier à un sélectionné du Mondial sous prétexte qu’ils sont tous des footballeurs ? La question ne manque certes pas de sens. On a beau dire, il y a quand même une petite différence de niveau, même si référée à l’ethos professionnel, l’analogie reste valable.
En revanche, pour ce qui est de sa qualité de Docteur, l’analogie est pour le moins spécieuse. De nos jours, le modèle, le Président Zinsou, ne se réclame plus de cette particule controuvée et du reste ne s’en porte-t-il pas plus mal ! Remarquons qu’en cette matière il existe comme en physique une loi de conservation qui veut que le produit de la Masse de notoriété et de la Valeur historique de celui qui s’en réclame soit constant. (MxV = k) Ce qui fait que moins on a de la Valeur historique, plus on a intérêt à majorer la Masse de notoriété de toutes les manières possibles : Docteurs, Maîtres, Professeurs, Honorables, etc.… Ainsi, au Bénin, un tourneur-fraiseur ou un garagiste auront du mal à accéder, comme c’est le cas par exemple en France, aux plus hautes fonctions politiques.
Sans compter l’effet boule de neige. Emile Derlin Zinsou a été étudiant en médecine. Cela explique ce titre dont la référence, à l’instar du fameux « Daktari » swahili, traduit l’éminence de la valeur sociale du médecin. Le fait de l’utiliser au titulaire d’un doctorat sans aucun rapport direct avec une carrière universitaire avérée est un jeu d’étiquette sur du velours abstrait. Deux explications possibles rendent raison de cet usage spécieux.
1. Une explication par métaphore religieuse qui, dans un Bénin économiquement malade et moralement perturbé, verrait en Yayi Boni le Messie/Docteur, sauveur parce que détenteur du remède miracle attendu.
2. Une explication psychologique traduisant la volonté d'amortir la chute du nouveau Président dans le marigot politique national déjà rempli de redoutables crocodiles parés en Maîtres, Professeurs, et autres Honorables. Il fallait donc anticiper sur les honneurs en faisant briller le blason intellectuel du nouveau Président, quitte à faire sourire dans leurs tanières les « vrais Docteurs », c'est-à-dire les Médecins et les Universitaires distingués.
Donc, comme dans le cas de son modèle, ce dernier trait ne perdra rien à être remisé, une fois qu’il aura atteint le but pour lequel il a été conçu, lorsqu’on sera passé du statut de la métaphore à la stature du Chef d’Etat fort.
En ce qui concerne la coïncidence de l’origine familiale des épouses Soglo et Yayi, elle est chose heureuse, et on ne poussera pas le vice jusqu’à demander à l’actuel Président de changer d’épouse pour paraître plus originale que de raison.
Volontairement ou non, synthèse de traits des anciens Présidents du Bénin, Yayi Boni est lui-même, sociologiquement et moralement une synthèse du Béninois. De par sa biographie, son cursus et cette modestie ou humilité naturelle qu’il semble avoir en partage avec Mathieu Kérékou. En effet, on a tout dit sur les raisons ou les auteurs du retour en grâce du Général, mais on a oublié tout simplement que la vraie raison se trouve ailleurs, dans le cœur, et dans cette simplicité de l’âme qui colle à la peau de l’ancien Président, et qui fait la substance de désir privilégié par le Peuple. Et comme Yayi Boni possède aussi cette humilité en dépit qu’il en aie, ce n’est pas exagéré de dire qu’il détient là un gisement de confiance populaire.
Mais la chance de tenir un peu de tous, si elle fait de celui qui l’a un digne continuateur de ses prédécesseurs, si elle est un élément rassurant pour sa bonne gouverne, elle porte aussi en elle un germe de sérieuse inquiétude. A moins de faire siens quelques principes. Le premier de ces principes, c’est d’être conscient que qui imite sans limite se limite : tout mimétisme aveugle est stérile. Le deuxième principe c’est de ne prendre chez ses modèles que ce qu’ils ont de bon. Le troisième c’est de savoir que le mimétisme n’est pas une fin en soi, et qu’à un moment donné il faut bien se décider à faire parler son propre génie.
Dans la situation actuelle du Bénin, tenir compte de ces principes est impératif si nous ne voulons pas être condamnés à marquer le pas, et à tourner en rond dans les mêmes errements, et nous heurter aux mêmes écueils du passé. Cet impératif n’est pas seulement catégorique, mais aussi catégoriel : il vaut pour chaque catégorie de Béninois, chaque institution, le Président de la République au premier chef. Dès l’entrée en fonction de Yayi Boni on a pu éprouver une certaine inquiétude au regard de la manière dont le nouveau Président prenait ses marques en puisant dans les traits de ses prédécesseurs.
Qu'on le veuille ou non on est obligé d'admettre que le concept de Changement ou le slogan « ça va changer » qui l’accompagne ont quand même un air de famille avec la Révolution de Mathieu Kérékou et son « Ehuzu Dandan ! » d’antan. Certes la traduction stricte de « ça va changer », ce n’est pas « Ehuzu ! » mais plutôt « Enahuzu ». Une différence, qui nous osons l’espérer, en dépit des apparences, n’est pas anodine. Car elle mesure tout l’écart entre l’incantation et la promesse. Mais la promesse ne doit pas s’ériger en messe car les apparences ici sont tenaces. Par rapport au révolutionnaire Mathieu Kérékou, avec un peu de recul, l’observateur attentif peut noter une similarité dans la volonté, la détermination à faire bouger les choses, à changer les mentalités, l’enthousiasme au travail, la sincérité dans la démarche. Mais en même temps, de grandes différences séparent les deux régimes et les deux hommes. Ces différences sautent aux yeux, et sont de nature psychologique, stylistique, idéologique, biographique, pragmatique et culturelle. Kérékou était spontané et agissait avant toute réflexion de fond ; Yayi Boni paraît tout le contraire. Alors que sous Kérékou le marxisme était « notre guide », hormis le légitime souci de l'urgence économique sur fond d'un développementarisme passablement académique, il n’y a pas vraiment d’idéologie structurée qui informe l’action et la démarche du nouveau Président. Action et démarche qui, il faut le souligner, s’inscrivent effectivement dans le cadre du Renouveau démocratique bien assumé.
Dans l'ensemble, ces différences sont à l’avantage de Yayi Boni. Elles montrent bien que le mimétisme n’est pas aveugle et que l’homme maîtrise les traits de son portrait. Cette maîtrise se traduit dans l’avis final du chef de l’Etat sur certaines questions cruciales. Ainsi en est-il de la question de la création du parti du Président. Autour de cette question, deux positions étaient en lutte et en butte : les passionnément pour et les farouchement contre le fait que le Président eût son propre parti. En somme c'était un duel de traits dans le camp des amis du Président : Soglo versus Kérékou. Chacune des deux parties avait ses raisons tout à fait valables. Mais comme à l’observation mais aussi à la réflexion, il ressort que Soglo n’a tiré aucun profit politique notable de son choix de créer un parti, alors que Kérékou a su exploiter avec astuce le fait de n’en avoir pas créé, Yayi Boni a tranché dans le sens d’une réserve sur la question : il a opté provisoirement sans doute pour les traits auxquels on s’attendait le moins, ceux de Mathieu Kérékou. Allant plus loin, l’homme du Changement anticipe les impasses du mélange des genres entre famille politique et famille biologique, entre vie privée et vie publique et les fantasmes dynastiques qui ont déchiré la Renaissance du Bénin et affaibli politiquement son Chef charismatique. Non seulement Yayi Boni récuse toute analogie avec Soglo sur ce sujet, il préfère en écarter le spectre en conseillant à son épouse de rester à l’écart de toute effervescence partisane.
Comme on le voit, sur ce sujet déterminant, Yayi Boni, en homme réfléchi et sans dogme a fait le bon choix. Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, dit-on. De même pourrait-on dire, traits pour traits n'est que ruine du portrait. Au carrefour de maint trait de ses illustres prédécesseurs, Yayi Boni sait les choisir à bon escient pour son propre portrait, avec une redoutable lucidité. Cet éclectisme est prometteur pour le Changement, car il lui confère sa nature propre. C’est sans doute là que se révèle, dans l'autonomie de la conscience agissante, la subtile doctrine du Dr Thomas Boni Yayi !
Par Cossi Bio Ossè.
© Copyright, Blaise APLOGAN, 2006
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