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& Nécessité de la fédéralisation
Par Edgard Gnansounou, (ICAD)*
Avec la célébration du 46ème anniversaire de son indépendance le 1er août dernier, le Bénin a ouvert le bal des fêtes nationales du mois d’août qui s’est poursuivi par le Niger, le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Tchad, la République Centrafricaine, le Congo-Brazzaville et le Gabon. Ces événements ont donné lieu à de nombreux écrits et de déclarations sur ces pays, leurs gouvernants passés et présents et leurs politiques. Dans son allocution, le Président du Bénin a, pour sa part, rappelé sa vision économique en mettant l’accent sur les atouts de son pays dont « la position géographique en fait une porte d’entrée pour le Nigéria et les pays de l’hinterland et un carrefour naturel entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale ». La vision de Boni Yayi, élu massivement par les Béninois en mars 2006, s’articule en quatre axes stratégiques : la bonne gouvernance ; le renouveau économique ; le développement à la base ; la sécurisation sociale, en particulier en faveur des populations vulnérables que sont les femmes et les jeunes. Il n’y a pas de doute qu’il s’agit là d’une perspective exaltante capable de sortir le Bénin du marasme économique. Toutefois on est en droit de s’interroger sur la relation entre la vision de Boni Yayi et l’indépendance. Le cas du Bénin illustre en fait une tendance générale en Afrique subsaharienne où, dans les discours des chefs d’Etats, le thème de l’indépendance s’efface devant les impératifs économiques et sociaux. Pourtant la célébration de l’émancipation des peuples africains du joug colonial aurait dû fournir l’occasion à nos dirigeants de faire le point sur le chemin qui reste à parcourir sur la voie d’une prise en mains par nos peuples de leur avenir. Faut-il croire que l’indépendance est passée de mode ou qu’elle est un événement bien circonscrit dans le temps, la naissance des nouveaux états et leur reconnaissance par la Communauté internationale ? Quelle est en 2006 la valeur de l’indépendance dans nos pays ? Sommes-nous collectivement disposés à en payer le prix ? Nos politiques nationales sont-elles inspirées par le génie de nos peuples ou sommes-nous à la remorque des « partenaires au développement » ? L’indépendance et le bien-être L’indépendance est-elle une condition nécessaire pour être heureux ? Haïti est le premier pays « noir » jouissant d’une souveraineté nationale, la première nation indépendante « noire ». Elle a en effet acquis son indépendance en 1804. Malgré plus de deux siècles d’exercice (par intermittence il est vrai) de la souveraineté nationale, nos sœurs et frères Haïtiens restent une des populations les plus pauvres du monde, placés au 153ème rang sur 177 pays au classement 2005 du développement humain. En revanche, les pays tels que la Guadeloupe et la Martinique, restés dans le giron français ont un revenu par habitant de loin plus élevé qu’Haïti. En 2006, aussi bien les Haïtiens que les autres Antillais des DOM-TOM vivent sous une forte dépendance même si le niveau de vie des seconds est incomparablement plus élevé. S’il suffisait d’être riche pour être heureux, sans doute que les Haïtiens regretteraient d’avoir si longtemps été « indépendants » ! Cependant c’est oublier qu’alors que l’Haïtien peut être fier d’avoir son pays à lui, l’Antillais en France métropolitaine aurait quelques raisons de se sentir emprunté dans sa condition française. Il n’est pas souvent considéré par beaucoup de ses compatriotes comme un Français ordinaire. Mais ceci ne suffit sans doute pas pour que la majorité des Antillais deviennent favorables à l’indépendance ! Devenir indépendant quand on est Antillais, c’est renoncer aux avantages sociaux de l’Etat providence français et aux aides importantes de l’Europe. Pourtant, ce choix en faveur de l’indépendance a été fait par certains mouvements et partis politiques antillais, en connaissance de cause. D’autres Antillais sont cependant fiers d’être Français au nom d’idéaux universalistes inclus dans la Révolution française. D'autres encore ne se posent tout simplement pas la question et se contentent de faire bonne fortune des conditions qui leur ont été léguées. Quant aux Haïtiens, malgré l’état de déliquescence de leur Nation, ils sont sans doute très majoritaires à refuser farouchement d’être recolonisés ! Mais ne le sont-ils pas déjà dans les faits, de manière insidieuse ? L’indépendance est la volonté et le pouvoir de décider de son avenir, de manière souveraine. Elle a un grand prix, celui de la responsabilité de décider pour et par soi-même. Pour un être qui aspire à la liberté, l’indépendance est un projet qui participe du bien-être. Pour une personne qui se résigne à la servitude et à l’humiliation, ou qui simplement ne s’en émeut guère, l’indépendance n’est d’aucun apport, seule compte la prospérité même si elle peut être le fruit de la pitié et de la commisération. En choisissant de devenir indépendants, les pays africains ont opté pour la prise en charge de leur destin par leurs propres peuples. Mais avaient-ils pris la juste mesure de ce choix et sont-ils aujourd’hui disposés à en payer le prix ? L’indépendance ne doit pas être réduite à sa dimension symbolique. Ni Haïti ni aucun pays de l’Afrique subsaharienne à l’exclusion peut-être de l’Afrique du Sud n’exerce aujourd’hui pleinement sa souveraineté nationale. La dépendance économique de ces pays et les déficiences de leurs ressources humaines limitent gravement le pouvoir de leurs peuples à décider par eux-mêmes de leur destin. Mais est-ce une raison pour laisser émousser la volonté d’autonomie ? La commémoration par de nombreux pays africains du 46ème anniversaire de l’accession à la souveraineté nationale fournit l’occasion d’une réflexion sur le sens à donner en 2006 à notre indépendance. Le sens de l’indépendance L’indépendance signifie que nous avons choisi d’être collectivement responsables de notre avenir. Ceci a différentes implications : - au plan économique, nous devons définir par nous-mêmes notre propre programme de développement, certes en coopération avec nos partenaires mais pas en sous-traitant les programmes-cadres prédéfinis pour nous par les « donateurs » et leurs consultants ; nous ne devons pas choisir de vivre au-dessus de nos moyens et dépendre des dons pour boucler nos budgets ; les aides doivent servir exclusivement à renforcer nos propres capacités à nous prendre en charge ; - au plan politique, nous devons apprécier collectivement les défis et les principaux enjeux qui imposent de réunir un consensus suffisant au sein de la société et de consacrer l’effort commun aux objectifs choisis ensemble ; - au plan social, nous nous devons de définir les modalités de redistribution des revenus et parvenir à un pacte en relation avec les standards sociaux à satisfaire et les échéances correspondantes. Lors de leur accession à l’indépendance, les pays africains avaient signé de nombreux accords d’assistance avec les anciennes métropoles coloniales qui limitaient leur propre capacité d’initiatives et instauraient des relations de nature paternaliste. Les « enfants » qu’étaient les nouvelles nations indépendantes devaient encore apprendre de leurs « pères ». Mais pendant combien de temps était-ce nécessaire ? Ce qui au départ revêtait un caractère pragmatique, a acquis une dimension structurante. Les réseaux d’affaires y ont beaucoup aidé, vidant l’indépendance de sa substance et la réduisant à sa plus simple expression symbolique. Etant donné l’effort herculéen qu’il faudrait consentir pour devenir véritablement indépendant, on peut se demander si de nombreux dirigeants africains n’ont pas choisi la voie moins exigeante de la dépendance permanente. La justification que beaucoup donnent à ce choix implicite est qu’avec la mondialisation et l’interdépendance des économies, l’indépendance serait devenue une valeur surannée qu’il conviendrait néanmoins de fêter par respect de la tradition et pour inciter la population au patriotisme. Que représente aujourd’hui l’indépendance pour la jeunesse africaine qui n’a pas connu la colonisation et n’a vécu que la dépendance et les plans d’ajustement structurel ? L’indépendance doit-elle se limiter à un événement à commémorer chaque année, comme le 14 juillet en France, par un défilé militaire, un discours présidentiel et un entretien accordé par le Président de la République à la presse audio-visuelle ? Ne devrions-nous pas faire de cette commémoration une étape plus signifiante pour nous-mêmes, un rendez-vous annuel sur notre marche vers une véritable émancipation ? Indépendance et mondialisation La discussion autour de l’indépendance renvoie aujourd’hui à la mondialisation et à la limitation qu’elle impose à l’exercice de la souveraineté nationale. L’importance des flux monétaires internationaux et la dématérialisation de l’économie, la globalisation des transactions et de leurs effets, les délocalisations et relocalisations des industries et le poids des entreprises transnationales feraient voler en éclats les frontières nationales. Le monde serait entièrement globalisé sous la férule de big brother et de ses affidés. Selon les nouvelles valeurs qui découlent de cette vision, toute volonté d’indépendance est assimilée au nationalisme le plus rétrograde ou à la démagogie souverainiste. Une analyse plus fine de la situation conduit cependant à davantage de nuances. La globalisation est compatible avec un certain niveau d’autonomie des nations. Celles qui s’organisent pour se doter d’un marché intérieur de dimension critique, parviennent mieux que les autres à acquérir l’autonomie qui fait d’elles des entités viables alors que les pays africains du fait de leur fragmentation excessive sont très affaiblis et ne peuvent valablement négocier la répartition des richesses au niveau mondial. Le cas des négociations sur le coton dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) montre bien la fragilité actuelle des pays africains et leur extrême faiblesse dans un environnement international dominé par les grands pays. Dans ce cas, pour une fois les pays africains avaient un avantage compétitif comparés à l'Amérique et à l'Europe et étaient en position de réclamer de ces grands blocs l’application des règles de libéralisation du commerce international qu'ils ont eux-mêmes érigées en dogme. Pourtant, malgré les déclarations d'autosatisfaction faites par les uns et les autres à l'issue de la 6ème Conférence ministérielle de l'OMC à Hong Kong en décembre 2005, il faut bien admettre que les pays africains sont repartis quasiment bredouilles. Comment cela aurait-il été autrement quand 54 pays africains faibles de leur nombre et de leur pauvreté doivent négocier avec l'Europe solidement représentée par un seul négociateur, comme le sont les autres grands pays tels que les USA, la Chine, le Japon, l'Inde, le Brésil? La fragmentation excessive de l'Afrique constitue aujourd'hui un handicap sérieux qui requiert un engagement bien plus osé et hardi que les démarches trop administratives d'intégration en cours au niveau sous-régional et continental. Sans bouleverser les cadres existants, il s'agit de les dynamiser en hâtant l'intégration politique effective pour atténuer certains facteurs qui constituent des obstacles aux processus en cours. Mais l'intégration politique, pour être viable doit procéder d'une construction progressive de proximité, sans tapages, avec les pays qui sont prêts à l'embarquement, tout en ménageant la possibilité pour les autres d'intégrer le navire plus tard. Prenons par exemple les 15 pays de l'Afrique de l'Ouest regroupés au sein de la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Théoriquement, cette Communauté présente les caractéristiques d'une union totale avec la suppression entre les pays membres des droits de douane sur les matières premières, une réduction des droits de douane pour les produits industriels, une mise en place dans un avenir indéterminé d'une seconde zone monétaire pour les pays non membres de l'UEMOA et la recherche d'une convergence des politiques macroéconomiques nationales. Dans la réalité, de nombreux obstacles empêchent la réalisation effective de cette union parmi lesquels le poids démographique et économique du Nigeria n'est pas le moindre. En effet, avec 126 millions d'habitants, le Nigeria représentait en 2003 la moitié de la population de la CEDEAO (248 millions). La deuxième moitié est très inégalement répartie entre les 14 autres pays parmi lesquels seulement deux avaient une population supérieure à 15 millions en 2003 (Le Ghana, 21 millions et la Côte d'Ivoire, 18 millions). Pour chacun de ces 14 pays, la réalisation d'une union totale signifierait une perte importante de recettes fiscales issues des droits de douanes, sans la garantie suffisante d'une bonne péréquation une fois que l’union sera réalisée. Par ailleurs, les facteurs réels et potentiels d'instabilité au Nigeria ainsi que l'image extérieure de ce grand pays miné par la corruption ne sont pas de nature à rassurer les autres alors même que le Nigeria constitue un des atouts majeurs de l’avenir de la sous-région. Enfin, chacun des pays pris isolément a des échanges commerciaux tournés davantage vers l'Union Européenne que vers les pays voisins. Voilà autant d'éléments qui contribuent à entretenir un énorme fossé entre les grandes ambitions et la réalité. Cependant il est clair que la faiblesse démographique et économique de chacun des 14 pays limite fortement la taille des industries qui peuvent s'y implanter alors même que les blocages vers une véritable union économique empêchent ces industries de tirer parti de l'ensemble du marché de la CEDEAO. Une manière de débloquer cette situation est de limiter la fragmentation au sein de la Communauté en favorisant l'émergence d'autres fédérations à côté de celle du Nigeria tout en poursuivant l'objectif d'une union totale au niveau de la sous-région. Dans des articles précédents j'avais proposé la création de deux nouvelles fédérations: celles du Golfe de Guinée et du Sahel. La première réunirait les pays suivants: Bénin, Togo, Ghana, Côte d'Ivoire, Guinée, Guinée Bissau, Cap-Vert, Liberia et Sierra Léone. La deuxième comprendrait le Niger, le Burkina Faso, le Sénégal, la Gambie et le Mali. Ces deux nouvelles fédérations réuniraient respectivement 72 et 51 millions d'habitants en 2003 puis 92 et 72 millions en 2015 année au cours de laquelle la population du Nigeria aura atteint 160 millions. Le pari d'une telle fédéralisation est de construire des unités de base plus solides, les trois fédérations, disposant chacune d'un marché intérieur potentiellement viable, permettant ainsi de rendre la compétition économique plus efficace dans chacun de leur espace et au sein de la CEDEAO en gestation trop lente et qu’il faudrait dynamiser. Le préalable à une telle fédéralisation est le partage d'une communauté de valeurs démocratiques et éthiques telles que la laïcité ainsi que l'harmonisation des politiques économiques, fiscales et sociales. La construction ainsi proposée pour l’Afrique de l’Ouest est aussi valable pour les autres sous-régions africaines : approfondissement de la démocratie dans chaque pays par une décentralisation efficace, fédéralisation des pays pour atteindre une dimension critique, dynamisation des unions sous-régionales par les fédérations. L’Union africaine reste un idéal à atteindre dont la concrétisation ne sera cependant pas probante sans la réalisation effective des unions sous-régionales. Toute union politique au niveau continental restera sans impact significatif si les fondations à la base ne sont pas solides. Sans un sursaut pour prendre en mains la construction africaine de manière rationnelle, en dépassant les nationalismes étroits, nos pays pourront continuer à se plaindre de leur impuissance à résoudre leurs problèmes de développement socio-économique. Ce ne sera pas la faute de la mondialisation mais celle de la prépondérance chez nous des symboles sur la réalité. La voie qui mène à l'émancipation passe aujourd'hui et demain par la fédéralisation. L'Union Européenne l'a bien compris, elle qui a su franchir de nombreuses inimitiés entre certains de ses membres pour construire une confédération et renforcer ainsi le pouvoir de négociation de chaque pays Européen au niveau mondial. Mais souhaitons-nous toujours cheminer vers une indépendance véritable? Plaidoyer pour une indépendance véritable Il n’est pas futile de chercher à convaincre aujourd’hui de la valeur de l’indépendance véritable qui dans le monde contemporain signifie l’accession à un degré suffisant d’autonomie. Une autonomie qui ferait de nos pays des partenaires fiables et crédibles pour les autres nations. La tendance qui domine au sein de nos élites et des « donateurs » est de considérer que seule devrait compter la bonne gestion ou encore la bonne gouvernance économique dans chaque pays pris isolément. On ne saurait nier l’importance de la bonne gestion des affaires publiques, de l’amélioration des performances de l’administration. Mais comme on l’a vu avec les DOM-TOM, la bonne gestion n’implique pas forcément l’indépendance. En réalité, la quête de l’indépendance véritable exige la mise en mouvement de l’ensemble de nos sociétés. Le volontarisme le plus forcené d'un Président de la République ne suffirait pas ! L’horizon politique présidentiel et encore moins celui des gouvernements ne permettent pas à ces institutions toutes seules de trouver des solutions durables aux problèmes auxquels nous sommes confrontés, problèmes qui sont de nature à s’aggraver à long terme. Nos sociétés doivent se mobiliser, toutes ensemble, sereinement et dans la durée autour d’une stratégie partagée. De ce point de vue, la perspective de l’indépendance véritable est le seul gage de succès durable que nous pouvons nous donner dans notre quête collective d’un épanouissement. Nous devons alors nous convaincre d’un certain nombre de faits : - si les problèmes de nos pays étaient similaires à ceux d’une entreprise, il aurait suffi à nos dirigeants d’avoir les meilleurs conseillers techniques ; or malgré toute l’assistance dont ils ont pu bénéficier au cours des décennies précédentes, nous tournons en rond ; il faut croire que la quête de l’épanouissement est une problématique plus complexe ; - il n’existe aucun pays au monde, ni le Chili, ni la Chine, ni a fortiori les pays industrialisés, qui ait réussi à réaliser l’épanouissement de sa population en sous-traitant les programmes pensés par les « donateurs » aussi désintéressés soient-ils ! - l’attitude la plus saine est de compter d’abord sur nos propres capacités d’initiatives et de faire appel aux partenaires uniquement dans le cas où leurs actions contribuent à la réalisation de nos objectifs stratégiques. Cependant, la technocratie qu’on nous concocte un peu partout, au risque parfois d’entorses à la démocratie comme ce fut le cas au Togo, cette technocratie n’est pas sans intérêt. Elle est plus prometteuse que les oligarchies politiques fondées sur l’incompétence et le fait du prince ! La technocratie peut résoudre des questions ponctuelles dans les limites d’un mandat présidentiel et permettre une réélection, mais elle est incapable de parvenir à insuffler un développement socio-économique robuste. L’approche purement pragmatique est insuffisante pour produire les effets durables que nos peuples sont en droit d’attendre. La mise en mouvement de nos sociétés suppose une véritable ambition politique, au sens le plus noble du terme, et une stratégie pour la réaliser sans précipitation, une stratégie qui fasse une place prioritaire aux forces sociales, au génie du peuple, sans populisme, sans démagogie, ni dogmatisme. Pour devenir prospère, il n’est pas besoin d’être grand, des pays tels que la Suisse, Luxembourg et d’autres l’ont bien montré. Chacun de nos pays peut mettre en place sa vision économique pour s'en sortir tout seul. Ceci peut marcher un moment mais cette prospérité peut-elle être durable si les pays voisins restent pauvres? Tirons les leçons de l'exemple de la Côte d'Ivoire ; elles nous montrent la grande vulnérabilité d'un tel modèle. Le modèle « champignon » plie avec le temps sous le poids de la pauvreté environnante et laisse la place à la xénophobie et à la guerre civile pour le contrôle de la richesse nationale. Il appartient donc aux sociétés civiles de nos pays de lancer de vastes mouvements pour dépasser les nationalismes qui font les affaires d’une partie des élites dirigeantes en mal de leadership mais si peu celles des peuples. Cependant, les fédérations ne pourront pas se construire contre les nations. Il s'agira en réalité de mutualiser certaines fonctions et activités entre les nations fédérées en laissant par exemple aux gouvernements nationaux l'approfondissement de la gouvernance politique et économique à la base. Ainsi, si en 1960 l'indépendance signifiait l'émancipation par rapport à la colonisation, en 2006, il s'agit davantage de rechercher le degré suffisant d'autonomie qui nous permettra de décider de notre avenir par nous-mêmes dans un monde de plus en plus complexe. La stratégie de la fédéralisation progressive se révèle ainsi comme une alternative raisonnable au souverainisme autarcique inefficace et à la dépendance résignée et humiliante. Elle reste compatible avec l'utopie des Etats-Unis d'Afrique si chère au panafricanisme, tout en procédant d’une manière progressive et concrète. Cependant la fédéralisation ne constitue pas une fin en soi mais un moyen, le meilleur, pour réaliser un programme économique ambitieux qui conduirait les pays africains à ajouter de la valeur à leurs matières premières plutôt que de continuer à geindre dans le rôle que la Communauté internationale semble leur avoir réservé, celui de fournisseurs de produits de base demandés par les autres régions du monde pour leur propre développement, celui de victimes expiatoires de la détérioration continue des termes de l’échange.
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