»Écoutez-moi bien, nous sommes entre frères, je peux vous dire la vérité. Je ne suis pas un balayeur mais un docteur en mathématiques. J’ai fait ma thèse à Jussieu sur la symbolique du nombre 41 au Dahomey. Après mon diplôme, j’ai enseigné les maths pendant quatre ans comme maître auxiliaire dans des lycées. Pendant que je travaillais, la vie, n’a pas été facile, entre violent mépris du Noir et indifférence agressive. Dans tous les lycées où j’ai travaillé, rares étaient les Blancs qui m’accueillaient à bras ouverts. Ils auraient été plus à l’aise si j’avais été nettoyeur et ne manquaient pas de me le laisser comprendre ; les gens étaient gênés de vous voir à côté d’eux. Travailler au même niveau qu’un Noir, c’est comme s’ils avaient raté leur vie ou leur carrière et ils ne cessaient de se défouler sur moi. Mais remarquez, moi je m’en souciais comme d’une guigne. Ah, oui, je m’en tapais franchement ! Pour nous autres Noirs, ce qui est important c’est le travail, et le salaire pour faire vivre les nôtres ici et au pays. Malheureusement, depuis deux ans, c’est ce travail qui me manque. Je n’ai plus eu de poste et ma carte de séjour est périmée.
» Pour tout vous dire, mon vrai nom est Michel Houécinon, je suis originaire de Ouidah. Je suis en France depuis onze ans. Marié et père de deux enfants. Ma femme est béninoise ; oui, je ne suis pas de ceux qui ramassent leurs charognes, femmes à nègre et autres invendues du marché érotique des Blancs pour en faire des métis que les générations se chargeront de reblanchir ; oui ma femme est béninoise pur sang ; elle garde les enfants à la maison ; je vis en donnant des cours particuliers ou en travaillant au noir les soirs à Rungis. Si je porte l’uniforme des balayeurs et le balai c’est pour tromper les policiers parce que je suis, comme on dit vulgairement, en situation irrégulière. Les flics sont à mes trousses depuis quelques jours. Ils m’ont envoyé des convocations pour me présenter à la préfecture et je n’y suis pas allé ; ils m’ont envoyé une injonction à quitter le territoire qui est venu à expiration la semaine dernière, voilà pourquoi ils me recherchent »
Le type marqua une pause, et jeta un regard méfiant du côté de la rue. « Eh, oui, répéta-t-il, après un bref silence, ils me recherchent mais, ils ne m’auront pas, nous on est plus malin que ça. » Sur ces mots, il se leva, saisit son balai d’une main, s’inclina respectueusement et prit congé en me laissant sur ma faim.
Par Blaise APLOGAN
À paraître
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