Mon Idéo Va, Court, Vole et Tombe sur…:
Violence Symbolique
Hier, lors de la cérémonie d’ouverture du 7ème Festival des Cultures du Dahomey, un vent violent a mis fin à la noria des discours qui se succédaient à la tribune. Au rang des invités se trouvaient toutes sortes de personnalités – Ministres, Maires, M. et Mme Soglo, Mr. Yayi Boni, des personnalités du corps diplomatique, des Européens ( au titre de l’Union européenne) des diplomates français ( au titre de l’histoire et de la persistance du colonialisme français…)
Si on n’utilisait pas la langue de Béhanzin en ce moment précis où se fêtait la culture du Danhomey, bon Dieu, où et quand l’utiliserait-on jamais comme cela se doit ? On imagine que les Français dont l’utilisation de la langue, en l’occurrence venait rappeler leur supériorité symbolique perpétuelle, leur victoire militaire et économique sur le Danhomey, se frottaient les mains. Ils se frottaient les mains par fierté, mais aussi par satisfaction de voir que nous autres Nègres étions bien dans le creux profond du fossé de l’aliénation qui nous va comme un gant et d’où, ils avaient encore des siècles de pouvoir à exercer sur nous ! Car bien sûr le pouvoir de l’homme vient de son esprit et la langue et l’esprit sont frère et sœur. La réalité historique et actuelle est ce qu’elle est et nul ne peut l’abolir d’un coup de baguette magique. Mais rien ne nous empêche de résister à ses effets aliénants, de rester droits, de faire preuve d’imagination et de créativité au service de notre liberté. Nous ne sommes pas obligés de nous laisser aller au fil de l’eau impure de l’aliénation, car avec un peu d’effort et d’imagination nous pouvons refuser le cours facile de la réalité héritée de l’histoire, surtout dans ses aspects les plus stupides qui interrogent notre dignité et notre liberté. Le drame permanent des Noirs colonisés que nous sommes réside dans la naïveté infantile et l’alacrité étourdissante avec lesquelles nous reconduisons les conditions et les effets de l’aliénation. C’est ce que Pierre Bourdieu a caractérisé dans son concept de violence symbolique. En effet, selon le sociologue français, la violence symbolique n’est pas seulement dans la violence en tant qu’elle met en jeu les structures symboliques, mais aussi en tant qu’elle est relayée et reconduite inconsciemment quoique passionnément par ses victimes. Comme un condamné qui fabrique et entretient sa propre chaine qui le retient prisonnier. Ainsi la femme est encore celle qui apprend à son garçon à être un homme avec ce que cela implique à terme de domination de la femme.
En l’occurrence, qu’est-ce qui empêche les organisateurs de la cérémonie en l’honneur de la fête de la culture du Danhomey d’exiger que tous les discours à cette cérémonie d’ouverture fussent délivrés en langue fon ? Rien, sinon la violence symbolique dont nous sommes victimes depuis des siècles ! Les étrangers peuvent avoir une traduction simultanée, comme cela se fait dans toutes les réunions ou colloques internationaux. Et un Président qui dirige un pays dont il ne peut parler une langue que parle une bonne moitié de ses citoyens a tout loisir de s’interroger sur sa propre légitimité symbolique. Car il s’en faut de beaucoup que la légitimité soit seulement constitutionnelle : elle est aussi symbolique. Ce n’est pas parce que le français est une langue dite officielle qu’elle doit sévir ou régner partout jusque et y compris au moment où la bienséance exige d’elle une certaine réserve.
À y penser de près, on se demande si la furie du vent mystérieux qui a mis fin à ce ballet de singes n’était pas celle de l’esprit de Béhanzin qui n’aurait pas toléré un tel outrage !
Éloi Goutchili
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