Dictionnaire des raccourcis et abus de langage de la presse béninoise.
« Le Ministre Lawani Désavoué...»
L’usage du verbe désavouer pose problème dans ce titre, d’un article signé Benoît Mètonou dans la Nouvelle Tribune 25 avril. En effet, l’utilisation de ce mot interroge sur le sens profond du participe "désavoué" et, compte tenu de ce qu’on sait des acteurs et des institutions, est sujette à caution et induit en confusion.
En fait, comme on le voit, le mot associe deux acteurs distincts de deux institutions non moins distinctes que sont ici la Cena et le gouvernement. La Cena est créée et s’affirme par autonomie par rapport au Gouvernement. Et dans la tâche d’organisation des élections qui incombe à celle-là, il y a entre les deux institutions et leurs représentants respectifs un conflit dialectique qui s’instaure ; aussi bien au niveau politique qu’au niveau financier à travers le soupçon de contrôle de la part du gouvernement. Il y a aussi un conflit permanent dans la lecture des textes régissant les rapports entre les deux parties en présence.
Donc les deux acteurs associés dans l’emploi de ce mot sont au départ bel et bien en opposition aussi bien institutionnelle que personnelle ; on ne peut pas les confondre, ni dans leur position ni dans leur proposition ; et l’un n'est pas censé souscrire aux déclarations de l’autre, sauf ci celles-ci sont conformes à une interprétation objective des textes régissant leurs rapports ; ce qui veut dire en l’absence de toute polémique.
Or le point de départ se situe justement dans la polémique suscitée par les ratés de l’organisation des élections, la grande cacophonie et les manquements graves qui l’on émaillée.
Et l’article déroule bien l’enchaînement logique de cette polémique lorsqu'il nous dit que :
« Mercredi dernier, Michel Makpénon, coordonnateur du budget à la Cena n’est pas allé par quatre chemins pour réagir aux propos du ministre Lawani qu’il a accusé d’avoir fait économie de vérité. En effet, accusé de n’avoir pas correctement joué son rôle, le coordonnateur au budget s’est indigné de ce que le ministre se soit basé sur des bruits de couloir pour intervenir. Il a battu également en brèche les allégations du ministre au sujet de la date de la création de l’imprimerie retenue pour exécuter les travaux d’impression du bulletin de vote. Selon Michel Makpénon, tout ce que le ministre a déclaré lundi dernier, n’est que contrevérité. »
Donc loin d’abonder dans le sens l’un de l’autre, chacun des acteurs en présence défend sa position et avance ses propositions. C’est dans le feu de cet échange d’arguments que le journaliste en vient à écrire que « Le Ministre Lawani [est] désavoué. »
A lire ce genre de titre, et compte tenu de ce qu’on sait des acteurs en présence, on sent qu’il y a confusion et on se demande s’il sied de parler de désaveu dans un tel contexte. Et le premier réflexe est de se tourner vers les dictionnaires, ces gardiens objectifs du temple du sens des mots que les usagers n’hésitent pas à tordre pour le meilleur mais aussi pour le pire...
Que nous disent les dictionnaires du mot « désavouer » ?
I. Le Petit Robert
1. Désavouer : ne pas vouloir reconnaître pour sien ; désavouer un ouvrage ; désavouer la paternité d’un enfant. Déclarer qu’on n’en est pas le père.
2 Rétracter. Désavouer une opinion qu’on avait soutenue ; désavouer le propos qu’on avait tenu.
3. Déclarer qu’on n’a pas autorisé quelqu’un à agir comme il l’a fait. Désavouer un mandataire, un ambassadeur,
4. Refuser son approbation à : désavouer la conduite de quelqu’un.
II. Le Littré.
1. Refus d’avouer une personne en ce qu’elle a dit ou fait. La Reine qui m’entend peut me désavouer (Racine)
2. Ne pas avouer, ne pas ratifier, en parlant des choses. On doit désavouer de pareils moyens. Nous désavouons tous les meurtres de Zopitre(Voltaire).
3. Etre en contradiction avec. De la religion c’est ainsi qu’ils se jouent ; ils ont un air pieux, répandu sur le front que leurs actions désavouent (Deshoulières)
4. a) Prétendre qu’on n’a pas dit ou fait quelque chose ; Vous l’avez dit, vous, ne pouvez pas désavouer ; b) Désavouer hardiment les choses les plus évidentes ; ces femmes ne songèrent qu’à désavouer leurs fautes. Pourquoi [Ô Homère] viens-tu me désavouer [à moi Achille] que tu me dois la gloire de ton plus beau poème (Fénelon)
5. Ne pas reconnaître comme sien. Il désavoua effrontément son seing. Ma valeur n’a point lieu de te désavouer (Corneille). Je le désavouerai pour frère et pour époux. (Corneille)
6. Renier, condamner. Lui-même désavoua les doctrines qu’il avait soutenues. Des principes que la morale désavoue. Qu’il s‘en prenne à ses vers que Phébus désavoue (Boileau) Va faire chez tes Grecs admirer ta fureur ; va je la désavoue, et tu me fais horreur (Racine)
7. Se désavouer. De pareilles paroles ne se désavouent pas aisément.
III. Le Petit Larousse
1. Revenir sur ce qu’on a dit ou fait. Désavouer une promesse. Refuser de reconnaître, désavouer sa signature, un enfant.
2. Déclarer qu’on n’a pas autorisé quelqu’un à agir comme il l’a fait ; désavouer un ambassadeur.
3. Fig. condamner, blâmer condamner une politique
L’exploration de ces trois dictionnaires nous fait voir qu’on désavoue quelqu’un qui au départ a parti lié avec vous, légalement ou logiquement. Dans la grande partie des cas, cette personne est soi-même ; mais il se peut que ce soit quelqu’un qui relève de votre côté ou partie et dont on se démarque. Or tel n’est pas le cas ici puisque, comme nous le savons, les deux acteurs ou institutions en présence sont bien distincts et l’un ne saurait a priori répondre des actes et des déclarations de l’autre ; ils n’appartenaient pas au départ à une même obédience institutionnelle, morale ou logique. Donc si l’on se base sur ces acceptions du mot, on ne voit pas en quoi une des deux parties serait fondée à désavouer l’autre. On peut, pour ne pas tenir rigueur à cet emploi, concéder que le sens figuré que donne le petit Larousse à la fin parle de condamner, surtout dans son acception politique. Mais là encore c’est en ce que la rhétorique du discours politique suppose ici une certaine morale sociale partagée dont on ne saurait s’affranchir sans susciter la réprobation générale. Dans le cas qui nous occupe ici, il y a manifestement controverse. Et dès lors, on peut parler, comme l’a fait l’un des deux acteurs, de contrevérité, on peut récuser, on peut s’inscrire en faux, battre en brèche mais certainement pas désavouer ! Un tel désaveu serait pour ainsi dire autoproclamé.
Et pour parler comme un homme politique ivoirien parlant d’un autre qui se serait autoproclamé chef de l’opposition : « Mais qui l’a autoproclamé ? »
Enfin, en tant que membre de la même confrérie des gens de lettres que le journaliste, rien n'empêche d'opposer un désaveu formel à cet usage du mot "désavoué".
Binason Avèkes.
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