1. MITCHIN
Norbert, le chauffeur de la maison, raconta à Sènami une histoire émouvante, et pour cause c’était une tendre histoire d’amour, comme il n’en n’arrive que dans les romans. Sènami n’eut de cesse de me la raconter à son tour. Elle savait mon goût pour les histoires vécues. Mais ce faisant, elle voulait surtout me convaincre. En effet, plus d’une fois, je lui avais dit que, de mon point de vue, le sentiment d’amour pur n’existait pas sous nos cieux et que les rapports hommes femmes étaient plutôt motivés par l’argent. Elle soutenait le contraire, et dans son langage imagé me disait « Hé Yovo, il n’y a pas que chez vous qu’on honore le dieu de l’Amour !» C’est pour cela qu’elle tenait à me raconter cette histoire que Norbert lui avait racontée lors d’une traversée d’Abomey à Cotonou. Quand j’entendis l’histoire de la bouche de Sènami, je trouvai qu’elle était d’une tendresse accomplie ; elle me parut si belle que je ne résistai pas à la tentation de la consigner... Ce n’était pas pour déplaire à Sènami.
Je ne me souviens plus de comment ils en étaient arrivés de fil en aiguille à parler d’une fille de 14 ans qui, l’année dernière, ne cessait de venir voir Sèdo, âgé de 8 ans et dont, à en croire Norbert, elle serait amoureuse. Après avoir parlé de l’assiduité passionnée de la fille – et ce tellement en longueur que Sènami finit par s'en lasser– Norbert aurait dit que la fille avait l’air « mitchin ». Je n’ai pas compris ce que voulait dire ce mot, même si je savais que la méticuleuse préciosité de Norbert le portait à faire usage de mot recherchés, rares, spontanés, ésotériques ou vieillots. Et Sènami qui était du même pays que lui, me dit que Mitchin veut dire " belle fille" ; " tchin" voulant dire sans doute brillante. Sènami m’apprit que le prénom Mitchin était courant à Abomey. Et elle me raconta la merveilleuse histoire d’amour d’une des cousines de Norbert nommée Mitchin et d’un certain Léonard.
Mitchin avait dix ans lorsque naquit Léonard, un cousin éloigné qui habitait le même village. Lorsque Léonard était bébé, Mitchin demandait à sa mère à le porter sur son dos, à jouer avec lui. Elle prenait soin du bébé et tout le monde dans le village disait qu’elle était sa petite mère. Mitchin appelait Léonard "Assoutché" Ce qui était ambigu. Mais l’ambigüité ne fut pas de longue durée. Très vite, Mitchin proclama son amour pour Léonard, bien qu’il ne fût que bébé. Elle promit alors, chose incroyable qui faisait sourire le village, qu’elle allait l’épouser.
Léonard grandissait. Atteignit l’âge de l’école primaire qu’il fréquenta toujours dans la bienveillance amoureuse de Mitchin. Bon élève, Léonard entra six années plus tard au collège et Mitchin continuait de l’aimer. Au collège, Léonard bénéficia d’un " secours scolaire" qui lui permit de s’acheter une bicyclette. Les deux cousins allaient souvent faire de longues promenades amoureuses à bicyclette dans la ville. Mitchin faisait le commerce et aidait Léonard.
Lorsque Mitchin eut 28 ans, Léonard en avait 18. Bercé dans l’amour de Mitchin, le cœur de Léonard y éclot tout naturellement : il était amoureux d’elle. Un jour, Mitchin alla acheter tout ce qu’il fallait pour doter une fille et les remit à Léonard. Celui-ci présenta la dot chez les parents de sa bien-aimée. Et ainsi, les deux amoureux devinrent mari et femme.
Ils restèrent dix années ensemble sans avoir d’enfant, le fruit d’un amour patient, vrai et fort. Alors Mitchin se mua à nouveau en petite mère et alla chercher une plus jeune épouse à Léonard afin qu’il pût avoir un enfant. Lorsque la nouvelle épouse arriva sous le toit conjugal, quelques mois après, la voilà enceinte. Et coup du sort, au cours de la même période, Mitchin qui ne s’y attendait pas, tomba à son tour enceinte et donna naissance à deux jumeaux !
Belle histoire ! Si belle que je me demande s’il ne s’agit pas d’un simple conte de fée, mais Norbert m’assure que Mitchin est sa cousine, et qu’elle vit avec sa coépouse et son Léonard chéri, quelque part à Cotonou, comme maint Béninois qui monte dans la capitale pour y chercher fortune...
Binason Avèkes
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