Idéo 165
Mon Idéo Va, Court, Vole et Tombe sur…:
Périphrase Périlleuse
Depuis quelque temps avec l’approche des élections toutes sortes de propos insensés fusent d’un peu partout, qui frisent souvent du n’importe quoi. Mais le mal dire qui trahit le mal penser est partout de nos jours, à commencer par la presse qui le colporte avec alacrité.
« Trois cohabitants résidant à Zohoungo Takon, un quartier de l'arrondissement de Lokossa sont passés de vie à trépas au petit matin du samedi passé alors qu'ils creusaient un puits. » peut-on lire dans un journal béninois.
Quoiqu’on dise, la périphrase « passer de vie à trépas » malgré son aspect poétique, ne passe pas. Pourquoi utiliser une expression dont la connotation ironique est pour le moins inconvenante car incompatible avec le malheur qui frappe son semblable ? À moins de vouloir jouer les faux poètes, on n’imagine pas un fils annoncer à sa mère : “Maman, Papa est passé de vie à trépas ! “ . Pendant qu’on y est, pourquoi ne pas dire de ces trois malheureux, qu’ils « sont allés ad patres » ou qu’ils ont « dévissé leur billard », ou pire « mangé les pissenlits pas la racine » ?
L’information sur des faits dramatiques requiert un peu d’empathie. En l’occurrence, il serait plus sain et plus simple de dire « Trois cohabitants résidant à Zohoungo Takon, un quartier de l'arrondissement de Lokossa sont morts au petit matin du samedi passé alors qu'ils creusaient un puits ». Point barre ! Et si l’on veut faire ressortir le caractère tragique de cette mort, on a tout loisir de le faire après coup. Car en l’occurrence, la simplicité informative n’est pas un luxe, mais une obligation éthique Elle était de mise. On n’a pas idée que celui qui emploie une telle périphrase dans une circonstance aussi malheureuse soit vraiment conscient de la charge ironique qu’elle contient.
Le manque d’empathie peut renvoyer à une distance affective sans être signe ou preuve d’objectivité ; mais en l’occurrence, il trahit surtout la distance culturelle, qui n’est pas seulement à mettre au compte de la méconnaissance du sens des mots. On ne parle pas la langue d’un autre, on n’a pas les mêmes libertés et la même désinvolture avec une langue étrangère qu’avec sa propre langue maternelle. Dans certaines circonstances, il y a des choses qu’on dirait facilement dans la langue étrangère, comme lorsqu’on boit une bouillie chaude à l’aide d’une cuiller, au lieu de porter le bol aux lèvres. La langue étrangère quelque part est une prothèse que l’on utilise à tort et à travers, sans scrupule, comme si on était dans un jeu, où l’on joue à mettre sa cervelle et ses tripes entre parenthèses..
Enfin de compte aussi banale que soit cette histoire, elle prouve toute l’importance de donner leur dignité politique, sociale et épistémologique à nos langues de chez nous, pour que nos gens ne disent pas n’importe quoi lorsqu’il n’est pas nécessaire de dire n’importe quoi... Et pire, lorsqu’il peut être périlleux de dire n’importe quoi…
Comme, sur le registre politique, l’idée agitée par quelques intrigants de la place de Cotonou consistant à suggérer in fine à l’électeur du sud de voter pour un homme du Nord au premier tour des élections de 2011. Il n’y a qu’en français que ce genre d’incitation loufoque peut être tenue. Tenter de la traduire en fon, adja, goun, yoruba, mina, aïzo, etc. et elle apparaîtra telle qu’en elle-même : un pur joyau de n’importe quoi !
Éloi Goutchili
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